Pour
moi, donc, quatre déterminations fondamentales imprègnent et irriguent
mon expression professionnelle et personnelle : l’expérience, la création, l’analyse, la relation, quatre concepts
expérientiels qui fondent la
structure kaléidoscopique du titre que j’ai donné par ailleurs à ma réflexion :
EXPÉRIENCE
CRÉATRICE / RELATION ANALYTIQUE
EXPÉRIENCE
ANALYTIQUE / RELATION CRÉATRICE
DANS
L’INSTITUTION DE SOIN
L’Expérience
est le lieu opératoire de tout processus de transformation dynamique de la
personne. Aucune transformation significative satisfaisante de la personne ne
peut procéder d’une démarche intellectuelle (enseignement), ni de
l’identification mimétique à une école de pensée (même et peut être surtout
lorsqu'elle est métapsychologique),
ni d’une idéologie des apprentissages comportementaux et du renforcement
conditionnel. Encore moins du traitement des symptômes produits par la
souffrance affective au moyen des molécules psycholeptiques ou des prescriptions
arthopédiques.
L'analyse
:
Le
marqueur instituant de ce cadre expérientiel est donné par le terme "analytique".
L’expérience analytique est la "matière" et la finalité de toute
rencontre professionnelle entre l'analyste et la personne en demande de résolution de ses souffrances affectives
invalidantes.
J'ai
choisi une fois pour toutes d'inscrire le terme "analyse" dans la filière étymologique.
Le
mot analyse
renvoie au mot grec analuein qui veut littéralement dire résoudre. Cela décentre de façon significative l'induction
freudienne qui circonscrit le travail analytique à celui de la mobilisation
anamnétique par le procédé des associations psychiques. Et en vieux français, résoudre est porteur du mot souldre qui signifie : payer le
solde. Pour ce qui nous concerne, en lacanien simplifié : traiter le contentieux que nous entretenons
avec les figures affectives originaires, avec les imagos.
La dimension créatrice de
la relation analytique - et la dimension créatrice dans l'expérience analytique - sont la condition nécessaire et
suffisante d’actualisation du travail métamorphique. La dimension Créatrice s’oppose
radicalement ici à la dimension instrumentale qui gouverne largement le discours institutionnel de la psychiatrie (Tosquelles, Oury, Gentis…au secours!) et dans une certaine
mesure, celui de la psychanalyse.
La relation qui s’instaure entre les
deux partenaires du travail analytique constitue l’objet de la communication
analytique…de toute communication analytique. Elle est à la fois
produit de la relation affective entre deux subjectivités interagissants et
productrice d'une matière affective singulière et de ses efflorescences
psychiques. Elle constitue une scène privilégiée des mouvements émotionnels, et
ce, quel que soit le contrat passé entre analyste et analysant : formation,
thérapie ou éducation.
Le
cadre inaugural de
l’Atelier
d’Expression
Créatrice Analytique
Cinq règles basiques définissent le mode de structuration de
l’expérience de l’Atelier d’Expression Créatrice Analytique par le praticien :
1°) L’ énonciation
inaugurale de l’invitation à centrer
l’expérience créatrice sur la formulation
(sur la mise-en-forme) de ce qu’
éprouve, ressent, conçoit (manuellement et imaginairement) le sujet dans la situation singulière de l’atelier, en prise sur ce qui
surgit de ses sentiments, de ses émotions, des évocations imaginaires liées à
son histoire propre, des résurgences mnésiques ; et sur ce qui émerge à partir
des communications engagées avec les autres participants de l’atelier et avec
l’animateur.
2°) L’absence totale de direction de la production du sujet, et l’abstinence de toute intervention à visée
d’enseignement technique, de toute suggestion thématique, de toute correction
formelle, d’injonction émotionnelle, d’évaluation esthétique ou morale.
C’est dans l’affrontement direct, non médiat, de la matière que
le sujet va se mesurer à ses lois intrinsèques, aux problèmes prétendus techniques surgissant de sa
manipulation, et aux réticences à l’évocation de certaines formes
particulièrement impliquantes pour lui. Lorsque j’interviens pour étayer le
travail d’un participant, sous certaines conditions que j’évoque longuement
dans mes récits, c’est toujours dans un processus de communication qui se joue
à un autre plan que celui de l’aide technique, qui est celui de la relation
intertransférentielle.
3°) L’abstinence
d’interprétations des contenus latents des productions. Ce qui n’exclut pas
de ma part certaines interventions verbales (parfois plastiques) apportées dans
le cours du travail de création, lorsque, d’une façon ou d’une autre, sollicité
par la personne, il m’arrive de faire description purement narrative d’éléments
posturaux ou émotionnels évoqués dans/par
l’objet, énonciations qui fonctionnent à la manière de la reformulation
rogerienne, comme surlignage empathique…
des sortes de ponctuations telles que : “Il
semble qu’il est très en colère” à propos d’un petit personnage dont le
visage est crispé, les poings serrés... ou bien, à propos d’un couple tendrement
enlacé : “Il semble que ces deux-là
s’aiment beaucoup”, interventions qui ouvrent la plupart du temps à un
court dialogue autour de, ou en prise sur l’objet.
4°) La possible mise à
disposition des personnes et du groupe, dans certaines situations intertransférentielles, de mon propre
champ associatif traduit dans le langage de création qui est
institué dans l’atelier. Le lecteur trouvera nombre d’illustrations de
cette position dans les aventures
æsthétiques que je relate dans mon livre : "Argile vivante".
5°) L’ouverture, enfin,
d’un espace analytique destiné à
permettre aux participants d’explorer les incidences de l’expérience vécue de
leur engagement dans le travail de création. Clarification des éprouvés
actuels, des résonances émotionnelles, des retentissements psychiques...Il
s’agit là d’une modalité d’analyse processuelle
plutôt que de décryptage interprétatif des productions, sauf lorsque la
personne s’engage spontanément elle-même dans cette aire d’exploration de son
implication.
Par
“analyse processuelle”, j’entends une
certaine façon de nommer ce-qui-est-là, une façon de description littérale,
dans le langage des zones érogènes du
corps (pour reprendre les termes de
Françoise Dolto) tel qu’énoncé par le sujet ; de rendre compte de l’itinéraire
associatif formellement inscrit dans
l’objet et des composants affectifs, émotionnels et psychiques lisibles “ à vue “, qui ont présidé
(déterminé et accompagné) l’élaboration de l’œuvre.
@
C’est la mise en synergie de ces cinq dispositions qui définit
pour moi l’attribution d’une garantie minimale d’authenticité vis-à-vis du
vocable expression utilisé dans ce mode d’expérience centré sur les
médiations créatrices quelle qu’en soit la visée : éducative,
artistique/culturelle, thérapeutique ou de formation professionnelle à la
fonction d’animateur/analyste. De plus, l’utilisation du terme expression,
dans tout autre orientation de l’action où l’animateur se pose, d’une façon ou
d’une autre, en directeur de la formulation subjective doit être refusée sans
ambiguïté.
L’application de ces dispositions qui requièrent une réelle
ascèse de la part de l’animateur / analyste, engage très rapidement les
participants dans un champ de projections trans-férentielles à de nombreux niveaux, dont les
productions constituent les formulations et les traces.
Ainsi
se trouve résumée l'essentiel du cadre de mon expérience professionnelle de
d’analyste (thérapeute ou formateur) et de l'élaboration théorique qui en
soutient le développement. La conviction qui m'anime s'est formée au point de
rencontre de mon métier d’analyste et de thérapeute, dans ma pratique
quotidienne de la formation, dans celle du travail analytique individuel avec
des personnes en grande souffrance affective que j'ai accompagnées, et de la
rencontre intellectuelle de marqueurs
idéographiques puissants que j’ai déjà cités : Carl ROGER'S et son passeur
français Max PAGÈS, Arno STERN, WINNICOTT, Harold
SEARLES, Mélanie KLEIN, Daniel STERN,
l'Antipsychiatrie, l'Analyse Institutionnelle, le Théâtre du Corps et
les recherches électro-acoustiques d'avant garde des années 70, le théâtre
BUTO, l’ Expressionisme, DUBUFFET et
l’Art BRUT.
@
Le lecteur comprendras ce que peut signifier ce niveau d’exigence dans le cadre de
la formation de personnes qui recherchent une formation centrée sur
l’expérience créatrice comme lieu de transformation dynamique de la personne. Et que tout ce qui ne se pose pas comme une
solide formation à l’accompagnement émotionnel,
à l’écoute analytique active non-directive relève des thérapies
comportementale inspirées du Dr PAVLOV.
Cette
exigence basique porte essentiellement sur l’expérience créatrice comme Parole
(non verbale). Sur la conduite non-directive d’un espace/temps régulier
consacré à l’élaboration de l’expérience vécue dans un temps de parole
(verbale). Sur l’accompagnement latéral des manifestations affectives et
émotionnelles qui en sont le dividende.
Je
voudrais dire pour terminer ma réflexion que
l’expérience créatrice n’est pas une médiation (médiation
expressive, médiation créatrice etc…) mais le point focal du travail de
transformation dynamique du sujet (ce que je nomme le travail métamorphique). Expérience créatrice et changement tonique sont un unique et même
processus.
Ce
qui est opérant, ce qui produit la transformation créatrice, c’est le processus
de la Parole dans le jeu de la création. L’expérience créatrice est
fondamentalement Parole.
C’est
le processus de la création et le travail de la parole qui constituent le
centre de l’expérience créatrice aussi bien que de l’expérience analytique.
C’est très simple !
Il
n’est pas concevable qu’un cadre institué comme thérapeutique ne soit pas
constitué comme analytique, c’est à
dire donnant lieu à un travail de co-élaboration entre le thérapeute/analyste
et le sujet acteur de la Parole ? Tout ce qui se donne comme procédé créatif, toute manipulation de
l’imaginaire par le biais de propositions mimétiques, (thèmes, procédés
techniques, interventions correctives, suggestions) tout ce qui s’interpose à
la spontanéité réelle de la personne, constitue une entrave ou une perversion
de la pulsion métamorphique.
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Le
lecteur pourra consulter la charte des Ateliers d’Art CRU sur Internet :
Charte Art Cru
Guy Lafargue
Octobre
2014
guy.lafargue@art-cru.com
art-cru.com
Je remercie Guy Lafargue pour sa contribution à l'Association de Recherche en Art et Thérapie.