dimanche 12 avril 2020

Coronavirus et moi, et moi, et moi....*


D'après une histoire vraie, la mienne !

Le 19 septembre 1983, j'entre à l'Ecole d'infirmiers-ières du Centre Hospitalier Général de Béziers.
Ce n'est que plus tard que l'Ecole est devenue un IFSI !Tout ça pour vous dire que c'était dans l'ancien monde, dans un autre temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître...*
A l'époque, j'avais la vocation, servir dans la fonction publique hospitalière et soigner les malades.


Déjà dans ce vieil Hôpital Perréal, le discours du directeur était "l'hôpital-entreprise" comme un mantra magico-religieux. La gestion mise en avant comme remède à tous nos maux. La perversion de la doctrine néo-libérale à la place de l'humanisation des hôpitaux.


Puis le 10 juin 1986, j'obtiens le DEI et je suis embauché le 16 juin 1986 comme infirmier (IDE).
Lors de mon entrevue au Service du Personnel, l'adjoint des cadres me dit qu'il y a pénurie d'infirmiers à l'hôpital ! On peine à embaucher des soignants en 1986.
1986-2020, 34 ans après qu'avons nous fait pour prévenir la crise ?

Embauché en psychiatrie au service Grasset-Charcot, un destin prémonitoire m'attendait, puisque je vais y passer 30 ans de ma vie (en services de psychiatrie).


Et là en psychiatrie, j'assiste à la destruction de notre hôpital et de notre système de santé.
D'abord les restructurations de service qui s'accompagnent de fermetures de lits et d'une compression du personnel. Là aussi le leitmotiv des cadres-managers de l'hôpital-entreprise, c'est iso-moyens, ça veut dire gérer la pénurie avec le même personnel pour faire tourner le service.
Les audits pleuvent, on nous demande de chronométrer les soins infirmiers pour toujours plus de rentabilité. Le travail relationnel est balayé, l'infirmier-thérapeute est supprimé au profit du technicien-exécutant.


Sentant confusément que quelque chose m'échappe, que l'on nous manipule, je devient syndicaliste et délégué du personnel. Je siège au CTE (Comité Technique d'Etablissement) qui n'a qu'un rôle consultatif.
Je rencontre les gestionnaires de l'hôpital public. J'ai accès à des compte-rendus du la CME, du CTE, de la CDU, CLAN, CLIN, CLUD...des onomatopées barbares qui diluent l'humain à de simples numéros de matricules. 
Confrontés aux gestionnaires plénipotentiaires les médecins perdent leur pouvoir.

C'est un déferlement de lois pour la nouvelle gouvernance des hôpitaux, HPST,  T2A (tarification à l'acte), mise en Pôles et mise au pas du médical, le tout gestionnaire technocratique règne sans partage sur le système de santé français.

C'est l'agonie de l'hôpital, les grèves se multiplient sans succès, les syndicats sont inefficaces face à la machine néo-libérale. Le personnel soignant essaye de quitter le navire-hôpital qui prend l'eau de toutes parts. Les médecins démissionnent mais rien n'alerte les politiques qui inexorablement votent la destruction de notre système de santé...etc...etc...
Tous, nous avons contribuer à la mise à mort de l'hôpital, les cadres, les cadres sup, les médecins et les soignants. 
Avons-nous essayé de nous opposer à la logique comptable des directions hospitalières ?

Aujourd'hui, le coranavirus est le révélateur de l'incurie des hommes et des femmes politiques à gérer le pays, la santé, l'hôpital...
Le temps de penser notre vie autrement est venu, mais auront nous la sagesse d'y croire et d'agir...

A lire également l'excellent article du Dr Sulaiman, Psychiatre des Hôpitaux :
Quel gâchis !
https://blogarat.blogspot.com/2020/04/quel-gachis.html


Je termine en citant Stéphane Hessel : "Indignez-vous !"

Jean-Louis Aguilar-Anton

*Jacques Dutronc - Et moi, et moi et moi
https://www.youtube.com/watch?v=3GmNh9R2Deo&fbclid=IwAR0c0ZOTlq4XvSmIq2w-DOs37M30scyDJ5f2H_f1xlNITZ_wn44z4pv1Nvk

*Charles Aznavour - La Boheme - B&W - HQ Audio
https://www.youtube.com/watch?v=hWLc0J52b2I

jeudi 9 avril 2020

Quel gâchis !

L’hôpital broyé par le léviathan technocratique 

2 AVR. 2020 PAR A.G.SULAIMAN 

BLOG : LE BLOG DE A.G.SULAIMAN

En octobre dernier, le journal le Monde avait demandé aux praticiens de santé de s'exprimer au sujet de la crise des Urgences. J'ai envoyé ce billet, qui reflète mon vécu. Le drame qui se déroule sous nos yeux, celui d'un hôpital public qui se noie et se meure m'incite à publier ce billet...

Après 30 ans d’exercice hospitalier public, le constat est là… quel gâchis.

Cela a commencé depuis le début des années 2000, avant d’être sanctuarisé par une loi, HPST en 2009 pour (Hôpital, Patients, Santé et Territoire) que des syndicalistes interprètent autrement (Hôpital privatisé sans turbulences…). Cette loi a été suivie par d’autres, aboutissant à un dé-tricotage du statut des praticiens hospitaliers, devenus des salariés comme les autres.

En corollaire, la T2A (tarification à l’activité) faisait la pluie et le beau temps à l’hôpital, les services se regroupent en mastodontes appelés « pôles » ayant à leur tête un médecin « manager » nommé par le directeur et porteur d’une feuille de route qui se résume à faire le maximum d’actes « rentables » pour rester dans la course et pour parvenir à un équilibre financier.

La T2A devait aboutir à la suppression des services et des établissements « peu rentables » suivie, logiquement, par un « rapatriement » des agents titulaires vers des services et des établissements rentables, comme toute entreprise qui se respecte.

Or, a été exclus de ce dispositif des services hautement sensibles, dont les Urgences et la Psychiatrie, qui fonctionnent au forfait. C’est, bien entendu, le ministère qui fixe les tarifs des actes et les montants des « forfaits ».

En conséquence, ces structures, extrêmement coûteuses, ayant des activités difficiles à prévoir et à quantifier, ont servi de variables d’ajustement pour de nombreux établissements, dans un sens ou dans l’autre. Ces mêmes services sont confrontés à toutes les crises, de la société et de l’hôpital et sont sollicités de toutes parts alors que leurs moyens sont, sans cesse, sous-évalués.

Un effet pervers de cette stratégie était « la possibilité » de diminuer les effectifs des « producteurs de soins » dans ces structures aboutissant, mécaniquement, à la baisse de la masse salariale, sans impact sur le « forfait » ! En effet, le poids de l’absence des médecins et des infirmiers pèse seulement sur les collègues encore sur place et sur les malades, d’où la crise des Urgences et de la Psychiatrie.

Un autre effet pervers de « l’hôpital entreprise » est « les médecins entrepreneurs ». En effet, pourquoi un médecin « produirait » des soins et des activités tout en subissant la pression et la tension des managers ? D’où l’hémorragie des médecins pris entre le marteau et l’enclume et la naissance des « intérimaires » surpayés au détriment des autres.

L’Hôpital Entreprise est un état d’esprit, accompagné de textes qui ont « démédicalisé » l’hôpital et ont créé une organisation pyramidale dont la « gouvernance » est le mot clé.

En haut de la pyramide un « directeur » qualifié de super manager, dont les yeux doivent rester rivés sur ses tableurs et livres de compte, avec des entrées financières qui se diminuent jour après jour avec des dépenses qui explosent compte tenu du vieillissement de la population et des besoins, (réels ou imaginés) qui augmentent.

La pression va du haut en bas, les managers dictent la bonne parole aux médecins et cadres infirmiers managers « chefs » qui la transmettent aux médecins et infirmiers « employés », et ainsi de suite... Cela explique pourquoi la crise a commencé, avec les infirmiers et les aides-soignants qui n’ont plus personne à qui transmettre « la bonne parole ».

La bonne parole des managers ? « Y a qu’à » ce qui signifie en vérité : « toi le toubib ou l’infirmier, tu te débrouilles… ».

Alors que l’hôpital public s’appauvrit, les cliniques privées, quant à elles, se portent à merveille.

Les obligations s’accumulent et sont majoritairement, pour ne pas dire exclusivement à l’intention de l’hôpital public : la précarité, les détenus, les soins sans consentement, les obligations de soins, la violence conjugale, l’exclusion et même la radicalisation ! Et l’on est sommés de s’occuper des malades, des personnes handicapées, des maladies chroniques, des toxicomanies, des sevrages, etc. Tout cela avec des moyens revus toujours à la baisse….

Entre temps, le privé lui fait son travail et rien que son travail.

À charges égales, l’hôpital public n’a pas à rougir de ses performances, mais quand on est noyés sous les obligations de toutes sortes, que reste-t-il pour la qualité et la sécurité des soins ?

Les Urgences sont la porte d’accès à la cour de miracle qu’est l’hôpital public, une sorte de caverne d’Ali Baba où on va quand on est malade, quand on n’a pas de toit, quand on est vieux, quand on tombe, quand le médecin de famille est absent ou quand le médecin coordonnateur se contente de coordonner sans soigner. On y adresse les personnes âgées en l’absence d’infirmière de nuit dans la maison de retraite.

Alors qu’on taillait dans les effectifs et les moyens de l’hôpital public, les droits des malades et les offres de soins augmentent, ce qui est une excellente chose. Cependant, comment faire quand l’administration ajoute des droits pour les malades, des évaluations et de nouvelles missions avec augmentation des horaires et des périmètres des interventions (qui sont, je le répète, des bonnes avancées) mais avec des moyens qui diminuent ? Une formulation contemporaine de la quadrature du cercle.

Alors, on « administre » l’hôpital, on donne une mission aux directeurs d’être des super mangers et qu’il est de leur devoir de réussir la transformation d’un service public en une Entreprise.

Cela ne vous rappelle-t-il pas quelque chose ? Oui, exactement : France Télécom dans ses années les plus noires.

Ayant une activité d’expertise psychiatrique, j’ai été le psychiatre expert pour France Télécom, avant, pendant et après les années noires. Je suis toujours expert, mais je ne vois actuellement que très peu d’employés d’Orange. En revanche, je vois de plus en plus d’agents hospitaliers, d’infirmiers, des cadres, des médecins et même des attachés de direction.

Tous décrivent la même chose, plus ou moins, la déshumanisation, la dévalorisation de leur métier et de leur personne, le mépris de leurs supérieurs, l’impossibilité de faire leur travail et les équations insolubles auxquelles ils sont confrontés, sans réponse et sans soutien. Ils évoquent une absence de sens et d’humanité.

Quand ils se plaignent à leurs supérieurs, à tous les niveaux, ils reçoivent des réponses standardisées. Les plus gentils des managers leur disent « vous prenez les choses très à cœur… » ou « vous vous impliquez au-delà du raisonnable, prenez de la distance ». D’autres ont des réponses plus destructrices : « si vous n’y arrivez pas, ce que vous ne savez pas vous y prendre » ou « d’autres y arrivent pourquoi pas vous ? ». La réponse fatale n’est pas si rare « si vous n’y arrivez pas, c’est que vous êtes incompétent ou nul… »

Alors les gens « craquent » et s’effacent, les uns après les autres, certains démissionnent pour sauver leur peau, d’autres se mettent en arrêt-maladie (voire longue maladie) ou en accident de travail. Les plus malins font tout pour « se caser » sur des postes moins exposés et s’y tiennent coûte que coûte.

La différence essentielle avec France Télécom se trouve dans le « matériel ». À l’hôpital public, ce sont des personnes vivantes, qu’ils soient personnels ou « clients — malades » et non pas des fils de cuivre ou des combinés téléphoniques ! Ce qui ne fait qu’augmenter la souffrance des soignants qui doivent « choisir » entre qui va vivre et qui va prendre des risques, entre qui va passer sa nuit au chaud avec un repas et qui retournera chez lui ou à la rue. Qui va être soigné et qui ne le sera pas, bien entendu à condition d’avoir bien fait le tri entre la « bobologie » et la maladie réelle.

Comme à France Télécom, la personnalité du « manager » avec son degré d’humanité et sa capacité à se sacrifier pour protéger leurs subordonnées au prix de leur propre souffrance font la différence. Le fonctionnement « sacrificiel » des employés, à tous les niveaux, est la conséquence de l’hôpital entreprise, ce dernier ne peut fonctionner sans le dévouement de ces personnes qui s’épuisent jour après jour.

Quid de la médicalisation de la gouvernance ? La CME (Commission Médicale d’Établissement) fonctionne comme une chambre d’enregistrement, on entend la bonne parole soporifique des managers et du président de la CME : ce dernier est le seul médecin avec un semblant de « pouvoir ». Le président de la CME est élu par les membres de ce comité, qui sont soit élus par les praticiens, soit nommés par le directeur. Là aussi, le président de la CME se trouve face à des choix « sacrificiels »… ou pas.

Le fin mot de tout cela est évident : la privatisation de l’hôpital public est sur le point d’aboutir. Tout est fait pour que la privatisation soit le remède ultime et la réponse unique aux maux de l’hôpital.

Tel est notre dilemme : choisir entre sauver l’hôpital public, sauver ceux qui s’y sacrifient ou... Sauver sa peau.

Dr SULAIMAN Ahmad,   Psychiatre des Hôpitaux, mais plus pour long temps…

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Mis en ligne avec l'aimable autorisation du Dr SULAIMAN AHMAD