V. Lescalier Psychologue : http://www.psydire.com/
La psychose, la structure que l’on rencontre la plus fréquemment dans nos institutions, vient pointer toute la difficulté de l’inscription du lien social, de cette capacité à donner existence à son être. Des angoisses massives, des ruptures étranges, des symptômes parfois énigmatiques touchent ces sujets au plus profond de leur être. Ils manifestent parfois des discontinuités curieuses à travers des épisodes qui viendraient révéler un vide. Des désordres dans le corps, des troubles au niveau du langage ou encore des éléments délirants viennent signer cette pathologie. Ainsi, leur parcours peuvent être marqués par des errances ou des passages à l’acte traduisant un problème au niveau de leur arrimage social.
Tous ces symptômes témoignent de leur grande difficulté à être dans le monde avec les autres, à donner une existence à leur être.
N’est-ce pas ce qu’ils viennent parfois nous déposer comme mal « je n’arrive pas à trouver et à garder un travail, j’ai du mal à rencontrer des gens, à être avec les autres, je n’ai pas d’appartement comme tout le monde…je n’arrive pas à me faire un nom. »
Les divers ateliers et pratiques artistiques offrent des voies possibles de donner être à ces sujets. D’ailleurs les intervenants nous en ont donné un témoignage plus que probant ; ainsi que des écrivains comme Artaud ou Joyce, des peintres comme Francis Bacon ou encore des danseurs et chorégraphes tel que Nijinsky, tous de structures psychotiques témoignent de leur capacité à se faire être, à maintenir un lien social. Leurs productions littéraires, artistiques font suppléance au maintien du sujet dans une réalité commune. Ces artistes ont pu pour certains éviter un déclenchement de leur psychose ou localiser à minima toute jouissance mortifère.
Le rapport du sujet psychotique au corps est lié à la question de la jouissance.
Seulement, cette jouissance, n’étant pas soumise à la limite phallique comme dans la névrose, apparaît comme folle, énigmatique, centrée sur le corps du sujet, sur ses organes, sur des objets envahissants (comme la voix, le regard).
En effet, dans la psychose, le signifiant paternel n’intervient pas pour signifier à l’enfant le désir de la mère. Ainsi, celui-ci reste confronté à une angoissante énigme. Le désir de la mère se présente sur le mode d’une jouissance immaîtrisable pour un sujet ne disposant pas du signifiant phallique qui en donne la raison. Donc, le désir de la mère non symbolisé, donne au sujet le risque de s’affronter au désir de l’Autre éprouvé comme volonté de jouissance sans limite. Un réel incontrôlable fait donc émergence dans la psychose ; les signifiants se déchaînent ce qui ébranle radicalement l’identification du sujet, le confronte à une jouissance morcelante dont il ne saisit pas l’adresse d’origine. Le corps du psychotique est ainsi le siège de phénomènes divers agréables ou pénibles, voluptueux ou angoissants.Le sujet est mis à mal, il éprouve une difficulté fondamentale à coupler le corps et les objets ; une confusion et absence de limite du corps est marquée. La non unification du corps témoigne d’un certain morcellement. La dissolution imaginaire répond au déferlement de la jouissance et le pousse vers « la mort du sujet ».Alors pour faire bord à cette jouissance réelle, folle et envahissante, les sujets élaborent quelques solutions pour « recoller les morceaux ».
Par exemple, Francis Bacon, peintre anglais du 20ème siècle a consacré la plus grande partie de ses œuvres au corps humain. On y retrouve dans ces œuvres toute cette problématique de l’existence, du morcellement du corps. Un certain nombre de ces peintures représente le sujet face au miroir. On peut se demander pourquoi Bacon peint-il des corps morcelés, mis à mal ; à quoi cela lui sert-il ? A se donner, se construire un corps, à tenter de le réunifier. Face à la jouissance folle, le sujet peut tenter d’en canaliser quelque chose par la production. Mettre sur un support ce réel incontrôlable, fixer ce trop de jouissance.
De même que la peinture, l’écriture vient canaliser cette jouissance ravageante. En effet, la succession de lettres vient comme fixation de jouissance ; le dépôt de jouissance dans l’écriture s’accompagne d’un chiffrage de celle-ci. Chez Joyce, écrivain irlandais, Lacan a discerné les éléments d’une structure psychotique mais sans que la psychose ne se déclenche. Joyce n’a jamais déliré ni déclenché, toutefois des éléments quand à son rapport au corps, à la langue et au langage laissent repérer la structure psychotique. Ce qui a permis que les choses tiennent ensemble est la fonction de la suppléance de l’écriture.
La suppléance vient pallier un défaut ; elle vient corriger, réparer l’erreur de nouage dans la psychose.L’expérience énigmatique s’atteste à Joyce dans son rapport même à la langue et au langage. Elle apparaît clairement dans ce qu’il écrit sous le nom d’ « épiphanies ». Les épiphanies comme texte sont des décombres de discours, qui se présentent pour la plupart sous forme de fragments de dialogues. Joyce isole dans l’univers du non sens, une particule. Il découpe dans le réel des fragments et il fait de la particule isolée « psarticule », c’est-à-dire une particule de signifiant. La particule n’a pas de signification, elle reste à l’état pur. Dans le non sens de ces fragments, Joyce affirme reconnaître ce qu’il appelle « une soudaine manifestation spirituelle », sur laquelle il fondait la certitude de sa vocation d’artiste. Il appelle cela des épiphanies et va en truffer son œuvre. La qualité propre de l’épiphanie est d’être suffisante à elle-même. Les fréquences des phrases interrompues dans les épiphanies sont révélatrices d’une carence du bouclage de la signification. On peut les rapprocher de certaines hallucinations verbales. De leur caractère énigmatique, se dépose malgré tout pour Joyce, une signification, celle de sa vocation d’artiste.De plus Joyce veut se faire publier, il veut se faire un nom. Joyce n’aura que l’écriture pour se forger un nom. Dés lors, avec son travail sur la lettre, il veut qu’on parle de lui, dans les universités pendant trois siècle. Joyce fait de son être un nom propre ; Joyce a fait avec son nom propre une suppléance au dérapage possible de la psychose ; c’est ce qui fait tenir l’imaginaire. Joyce trouve son appui dans l’écriture contribuant ainsi à retenir son image.Durant toute son existence, Joyce va jouir de son écriture, de sa littérature ; il a réussi à produire des lettres de jouissance dans ses correspondances.Cette jouissance de l’écriture est le versant réel de la suppléance de Joyce. Sa jouissance est appareillée par le langage. Ce qui va lui éviter de faire une crise psychotique, d’être envahie par la jouissance, c’est l’usage qu’il en fait et c’est cela qui va lui donner sa dimension de suppléance. Cette jouissance il va l’adresser, il va la publier dans ses œuvres ; il la cerne et la pacifie.On remarque chez Joyce un « pousse-à-l’écriture » ou à la création qui fait œuvre de suppléance. La lettre mène à penser la suppléance en terme de création artistique. Joyce illustre le concept de « psychose non déclenchée » où se maintient un sujet chez qui ne se présentent pas les phénomènes psychotiques indubitables, que sont les voix accompagnées d’idées délirantes, cette dimension de décompensation manifeste et d’effondrement imaginaire qui l’accompagne.La création s’est offerte à lui comme voie possible à œuvrer à être au monde avec d’autres, à donner du sens à son existence, à se faire un nom.
Pascal Fauvel et Marie Annick Fraboulet, dans leur pratique, laissent la place au sujet de trouver eux même leur meilleur destin à leur pathologie ; ils instaurent un espace où le sujet est libre de créer une signification personnelle qui apaise son rapport au monde et réunifie son corps.Dans l’exemple cité par Pascal Fauvel, on y retrouve tout le rôle de la lettre de fixer la jouissance envahissante du sujet ; de faire un pas de côté de la plainte, de la logorrhée, des pleurs vers quelque chose de plus vivant. Le travail de suppléance, en en passant par la création, permet au sujet de tempérer, de fixer la jouissance et non plus d’en être envahi. Que ce soit par l’écriture ou la peinture, ces productions permettent de cerner un réel envahissant, de pouvoir ainsi donner du sens à son existence et de s’inscrire, ne serait-ce un minima, dans le lien social.
C’est cette espace de création au sujet qu’offre le Forum ; un espace où le sujet est invité à créer sa signification personnelle, a tenté de suppléer par une production, une construction littéraire, artistique au défaut radicale de la fonction phallique. La suppléance a pour fonction de circonscrire, de localiser la jouissance ravageante qui envahit le sujet, de chiffrer le réel qui a fait irruption en brisant la chaîne signifiante qui soutenait le monde.
Dans la psychose, une désorganisation initiale et foncière de l’ordre symbolique s’instaure mais dans le même mouvement, elle souligne la mise en oeuvre d’un travail psychique acharné pour remédier à celle-ci par le moyen de productions multiples. C’est pourquoi un pousse-à-la création s’avère inhérent à la structure psychotique.
Le thérapeute a à trouver la parole qui puisse éviter tant la mort subjective que la mort réelle. Lacan la caractérise d’un « pas sans dire » de « dire que non » au laisser tomber dans l’extrême des effets de jouissance et qui laisse au sujet libre le champ où il peut traiter les coordonnées subjectives. Le mal de vivre, la difficulté d’œuvrer à être au monde avec d’autres, de donner du sens à son existence ne touchent pas seulement les sujets dans nos institutions ; dans notre société, le chômage, le RMI..touchent l’homme au plus profond de son être.
L’atelier de Vincent Spatari cherche à faire émerger de la vie, à redonner de la valorisation à des personnes confrontées à toute rupture social ou en difficulté à retrouver un statut. Comme il le dit « tout sujet a des capacités, il ne reste qu’à les faire advenir. »Les témoignages des personnes qui ont participé à son atelier viennent pointer quelque chose d’inexplicable, un réel qui ne peut pas se dire. Effectivement, ils éprouvent un « bien être », quelque chose s’est passé, à bouger mais impossible d’en dire plus d’expliquer ce qui s’est remanié dans leur position subjective. Certains ont repris leur recherche d’emploi ou sont fixés sur leur désir…
Du côté de la névrose, quelle fonction prend la création ?
Interrogeons la question de la sublimation. Dans « Pulsions et destins des pulsions », Freud énumère le refoulement et la sublimation comme destins des pulsions. Freud fait une distinction entre le refoulement et la sublimation. Le refoulement est une manière de traiter la pulsion grâce au déplacement et à la satisfaction ; le symptôme serait l’échec du refoulement, puisque la protection signifiante n’a pas été suffisamment efficace pour éviter l’angoisse, le symptôme constituant l’expression de cet échec et l’obtention d’une satisfaction pulsionnelle par voie indirecte. Dans cette perspective, le symptôme sera toujours pathologique et la satisfaction obtenue déplaisante. Quant à elle, la sublimation est un destin pulsionnel différent et spécifique. La sublimation traite l’excès pulsionnel en l’orientant d’abord vers « le travail culturel », vers le lien social. La pulsion est une exigence de satisfaction d’annuler l’excès. La source de la pulsion est l’excitation et le but est de faire cesser « l’excitation organique ». Dans la sublimation, la libido échappe au refoulement, se sépare de l’activité sexuelle, inhibe le but de la pulsion et la pulsion se fait créative. La création, l’œuvre ne s’inscrivent donc pas dans le registre des formations de l’inconscient, ce ne sont pas des rêves ; l’art ne dit pas, il se montre, il surgit dans la création même, il ne s’interprète pas. Il ne suffit pas d’entendre la sublimation comme un simple apaisement ou comme un mode de socialisation de la pulsion, il faut l’entendre comme création.
Lacan donne une définition de la sublimation comme une élévation d’un objet à la dignité de la Chose. Prenons l’exemple du potier : le vase du potier l’illustre ; celui-ci est un objet construit autour du vide. A partir du vide, le potier crée le vase. Comment habiter ce vide ? le traiter oblige à la création ; le vide est un vide réel, il est vivant et n’est pas rien. Élever un objet à la dignité de la Chose, c’est prendre l’objet imaginaire pour le convertir en objet réel. C’est en quoi consiste élever l’objet à la dignité de la Chose, de lui donner le statut d’une invention, d’une création qui fait surgir la Chose, la montre. La sublimation appelle la mobilité libidinale et à l’ouverture à ce qui advient, à la possibilité de produire de nouvelles formes. L’opposition symptôme-sublimation devient claire. Le symptôme est une satisfaction substitutive à partir des fixations, la sublimation est l’élévation d’un objet à la dignité de la Chose. Cependant, Lacan vient à modifier sa conception du symptôme. Le symptôme ne sera plus seulement l’expression d’un vouloir dire, une signification métaphorique, un retour du refoulé. Le symptôme est alors la façon dont chacun jouit de son inconscient, ou la façon qu’il a de faire exister hors de l’inconscient un de ses éléments, en dévoilant, par-delà son enveloppe formelle, son statut de condensateur de jouissance. Le symptôme apparaît comme une limite du réel. Si le symptôme est limite alors il est une invention, une réponse particulière ou singulière. C’est en tout cas le « partenaire » du sujet. L’on peut alors mettre en équivalence entre création et symptôme.
Tout sujet a donc affaire à la création : pour certains, la création est suppléance, sinthome ainsi que le construit Joyce comme mode possible de réparation afin de se maintenir dans une réalité commune. Pour les autres, symptôme pour le sujet névrosé comme condensateur de jouissance.La création est alors est une réponse particulière, singulière du sujet face au mal vivre qui touche parfois l’homme au plus profond de son être. La question qui se pose à l’heure actuelle est la place que la société accorde à la pratique artistique, à la production créative. En effet, qu’est-ce qui régit notre société ? c’est le rendement, le coût de production, la baisse du chômage, l’hygiénisme, la guérison par tous les moyens mais le plus vite et le moins cher…et le sujet ?
Les mesures actuelles veulent évaluer pour pouvoir bien contrôler ; mais le sujet avec son mal être, ses questionnements, ne peut ni être évalué, ni rentré dans des petites cases. Les institutions créent des ateliers, soit, c’est très bien mais dans quel but ? dans celui de guérir le patient ou de revaloriser le chômeurs, le Rmiste pour le renvoyer le plus vite sur le marché du travail.
Non le sujet n’est pas un produit de production, c’est un sujet désirant, souffrant parfois au plus profond de son être.
Alors essayons de notre côté de laisser libre les inventions du sujet afin de lui redonner toute sa dignité.
ATRRD | 16 janvier 2015 à 11 h 05 min | Catégories: Ressources | URL: http://wp.me/p3w85x-5u
attribué à Jan Metsys, Un fou, Galerie De Jonckheere
Tous ces symptômes témoignent de leur grande difficulté à être dans le monde avec les autres, à donner une existence à leur être.
N’est-ce pas ce qu’ils viennent parfois nous déposer comme mal « je n’arrive pas à trouver et à garder un travail, j’ai du mal à rencontrer des gens, à être avec les autres, je n’ai pas d’appartement comme tout le monde…je n’arrive pas à me faire un nom. »
Les divers ateliers et pratiques artistiques offrent des voies possibles de donner être à ces sujets. D’ailleurs les intervenants nous en ont donné un témoignage plus que probant ; ainsi que des écrivains comme Artaud ou Joyce, des peintres comme Francis Bacon ou encore des danseurs et chorégraphes tel que Nijinsky, tous de structures psychotiques témoignent de leur capacité à se faire être, à maintenir un lien social. Leurs productions littéraires, artistiques font suppléance au maintien du sujet dans une réalité commune. Ces artistes ont pu pour certains éviter un déclenchement de leur psychose ou localiser à minima toute jouissance mortifère.
Le rapport du sujet psychotique au corps est lié à la question de la jouissance.
Seulement, cette jouissance, n’étant pas soumise à la limite phallique comme dans la névrose, apparaît comme folle, énigmatique, centrée sur le corps du sujet, sur ses organes, sur des objets envahissants (comme la voix, le regard).
En effet, dans la psychose, le signifiant paternel n’intervient pas pour signifier à l’enfant le désir de la mère. Ainsi, celui-ci reste confronté à une angoissante énigme. Le désir de la mère se présente sur le mode d’une jouissance immaîtrisable pour un sujet ne disposant pas du signifiant phallique qui en donne la raison. Donc, le désir de la mère non symbolisé, donne au sujet le risque de s’affronter au désir de l’Autre éprouvé comme volonté de jouissance sans limite. Un réel incontrôlable fait donc émergence dans la psychose ; les signifiants se déchaînent ce qui ébranle radicalement l’identification du sujet, le confronte à une jouissance morcelante dont il ne saisit pas l’adresse d’origine. Le corps du psychotique est ainsi le siège de phénomènes divers agréables ou pénibles, voluptueux ou angoissants.Le sujet est mis à mal, il éprouve une difficulté fondamentale à coupler le corps et les objets ; une confusion et absence de limite du corps est marquée. La non unification du corps témoigne d’un certain morcellement. La dissolution imaginaire répond au déferlement de la jouissance et le pousse vers « la mort du sujet ».Alors pour faire bord à cette jouissance réelle, folle et envahissante, les sujets élaborent quelques solutions pour « recoller les morceaux ».
Par exemple, Francis Bacon, peintre anglais du 20ème siècle a consacré la plus grande partie de ses œuvres au corps humain. On y retrouve dans ces œuvres toute cette problématique de l’existence, du morcellement du corps. Un certain nombre de ces peintures représente le sujet face au miroir. On peut se demander pourquoi Bacon peint-il des corps morcelés, mis à mal ; à quoi cela lui sert-il ? A se donner, se construire un corps, à tenter de le réunifier. Face à la jouissance folle, le sujet peut tenter d’en canaliser quelque chose par la production. Mettre sur un support ce réel incontrôlable, fixer ce trop de jouissance.
De même que la peinture, l’écriture vient canaliser cette jouissance ravageante. En effet, la succession de lettres vient comme fixation de jouissance ; le dépôt de jouissance dans l’écriture s’accompagne d’un chiffrage de celle-ci. Chez Joyce, écrivain irlandais, Lacan a discerné les éléments d’une structure psychotique mais sans que la psychose ne se déclenche. Joyce n’a jamais déliré ni déclenché, toutefois des éléments quand à son rapport au corps, à la langue et au langage laissent repérer la structure psychotique. Ce qui a permis que les choses tiennent ensemble est la fonction de la suppléance de l’écriture.
La suppléance vient pallier un défaut ; elle vient corriger, réparer l’erreur de nouage dans la psychose.L’expérience énigmatique s’atteste à Joyce dans son rapport même à la langue et au langage. Elle apparaît clairement dans ce qu’il écrit sous le nom d’ « épiphanies ». Les épiphanies comme texte sont des décombres de discours, qui se présentent pour la plupart sous forme de fragments de dialogues. Joyce isole dans l’univers du non sens, une particule. Il découpe dans le réel des fragments et il fait de la particule isolée « psarticule », c’est-à-dire une particule de signifiant. La particule n’a pas de signification, elle reste à l’état pur. Dans le non sens de ces fragments, Joyce affirme reconnaître ce qu’il appelle « une soudaine manifestation spirituelle », sur laquelle il fondait la certitude de sa vocation d’artiste. Il appelle cela des épiphanies et va en truffer son œuvre. La qualité propre de l’épiphanie est d’être suffisante à elle-même. Les fréquences des phrases interrompues dans les épiphanies sont révélatrices d’une carence du bouclage de la signification. On peut les rapprocher de certaines hallucinations verbales. De leur caractère énigmatique, se dépose malgré tout pour Joyce, une signification, celle de sa vocation d’artiste.De plus Joyce veut se faire publier, il veut se faire un nom. Joyce n’aura que l’écriture pour se forger un nom. Dés lors, avec son travail sur la lettre, il veut qu’on parle de lui, dans les universités pendant trois siècle. Joyce fait de son être un nom propre ; Joyce a fait avec son nom propre une suppléance au dérapage possible de la psychose ; c’est ce qui fait tenir l’imaginaire. Joyce trouve son appui dans l’écriture contribuant ainsi à retenir son image.Durant toute son existence, Joyce va jouir de son écriture, de sa littérature ; il a réussi à produire des lettres de jouissance dans ses correspondances.Cette jouissance de l’écriture est le versant réel de la suppléance de Joyce. Sa jouissance est appareillée par le langage. Ce qui va lui éviter de faire une crise psychotique, d’être envahie par la jouissance, c’est l’usage qu’il en fait et c’est cela qui va lui donner sa dimension de suppléance. Cette jouissance il va l’adresser, il va la publier dans ses œuvres ; il la cerne et la pacifie.On remarque chez Joyce un « pousse-à-l’écriture » ou à la création qui fait œuvre de suppléance. La lettre mène à penser la suppléance en terme de création artistique. Joyce illustre le concept de « psychose non déclenchée » où se maintient un sujet chez qui ne se présentent pas les phénomènes psychotiques indubitables, que sont les voix accompagnées d’idées délirantes, cette dimension de décompensation manifeste et d’effondrement imaginaire qui l’accompagne.La création s’est offerte à lui comme voie possible à œuvrer à être au monde avec d’autres, à donner du sens à son existence, à se faire un nom.
Pascal Fauvel et Marie Annick Fraboulet, dans leur pratique, laissent la place au sujet de trouver eux même leur meilleur destin à leur pathologie ; ils instaurent un espace où le sujet est libre de créer une signification personnelle qui apaise son rapport au monde et réunifie son corps.Dans l’exemple cité par Pascal Fauvel, on y retrouve tout le rôle de la lettre de fixer la jouissance envahissante du sujet ; de faire un pas de côté de la plainte, de la logorrhée, des pleurs vers quelque chose de plus vivant. Le travail de suppléance, en en passant par la création, permet au sujet de tempérer, de fixer la jouissance et non plus d’en être envahi. Que ce soit par l’écriture ou la peinture, ces productions permettent de cerner un réel envahissant, de pouvoir ainsi donner du sens à son existence et de s’inscrire, ne serait-ce un minima, dans le lien social.
C’est cette espace de création au sujet qu’offre le Forum ; un espace où le sujet est invité à créer sa signification personnelle, a tenté de suppléer par une production, une construction littéraire, artistique au défaut radicale de la fonction phallique. La suppléance a pour fonction de circonscrire, de localiser la jouissance ravageante qui envahit le sujet, de chiffrer le réel qui a fait irruption en brisant la chaîne signifiante qui soutenait le monde.
Dans la psychose, une désorganisation initiale et foncière de l’ordre symbolique s’instaure mais dans le même mouvement, elle souligne la mise en oeuvre d’un travail psychique acharné pour remédier à celle-ci par le moyen de productions multiples. C’est pourquoi un pousse-à-la création s’avère inhérent à la structure psychotique.
Le thérapeute a à trouver la parole qui puisse éviter tant la mort subjective que la mort réelle. Lacan la caractérise d’un « pas sans dire » de « dire que non » au laisser tomber dans l’extrême des effets de jouissance et qui laisse au sujet libre le champ où il peut traiter les coordonnées subjectives. Le mal de vivre, la difficulté d’œuvrer à être au monde avec d’autres, de donner du sens à son existence ne touchent pas seulement les sujets dans nos institutions ; dans notre société, le chômage, le RMI..touchent l’homme au plus profond de son être.
L’atelier de Vincent Spatari cherche à faire émerger de la vie, à redonner de la valorisation à des personnes confrontées à toute rupture social ou en difficulté à retrouver un statut. Comme il le dit « tout sujet a des capacités, il ne reste qu’à les faire advenir. »Les témoignages des personnes qui ont participé à son atelier viennent pointer quelque chose d’inexplicable, un réel qui ne peut pas se dire. Effectivement, ils éprouvent un « bien être », quelque chose s’est passé, à bouger mais impossible d’en dire plus d’expliquer ce qui s’est remanié dans leur position subjective. Certains ont repris leur recherche d’emploi ou sont fixés sur leur désir…
Du côté de la névrose, quelle fonction prend la création ?
Interrogeons la question de la sublimation. Dans « Pulsions et destins des pulsions », Freud énumère le refoulement et la sublimation comme destins des pulsions. Freud fait une distinction entre le refoulement et la sublimation. Le refoulement est une manière de traiter la pulsion grâce au déplacement et à la satisfaction ; le symptôme serait l’échec du refoulement, puisque la protection signifiante n’a pas été suffisamment efficace pour éviter l’angoisse, le symptôme constituant l’expression de cet échec et l’obtention d’une satisfaction pulsionnelle par voie indirecte. Dans cette perspective, le symptôme sera toujours pathologique et la satisfaction obtenue déplaisante. Quant à elle, la sublimation est un destin pulsionnel différent et spécifique. La sublimation traite l’excès pulsionnel en l’orientant d’abord vers « le travail culturel », vers le lien social. La pulsion est une exigence de satisfaction d’annuler l’excès. La source de la pulsion est l’excitation et le but est de faire cesser « l’excitation organique ». Dans la sublimation, la libido échappe au refoulement, se sépare de l’activité sexuelle, inhibe le but de la pulsion et la pulsion se fait créative. La création, l’œuvre ne s’inscrivent donc pas dans le registre des formations de l’inconscient, ce ne sont pas des rêves ; l’art ne dit pas, il se montre, il surgit dans la création même, il ne s’interprète pas. Il ne suffit pas d’entendre la sublimation comme un simple apaisement ou comme un mode de socialisation de la pulsion, il faut l’entendre comme création.
Lacan donne une définition de la sublimation comme une élévation d’un objet à la dignité de la Chose. Prenons l’exemple du potier : le vase du potier l’illustre ; celui-ci est un objet construit autour du vide. A partir du vide, le potier crée le vase. Comment habiter ce vide ? le traiter oblige à la création ; le vide est un vide réel, il est vivant et n’est pas rien. Élever un objet à la dignité de la Chose, c’est prendre l’objet imaginaire pour le convertir en objet réel. C’est en quoi consiste élever l’objet à la dignité de la Chose, de lui donner le statut d’une invention, d’une création qui fait surgir la Chose, la montre. La sublimation appelle la mobilité libidinale et à l’ouverture à ce qui advient, à la possibilité de produire de nouvelles formes. L’opposition symptôme-sublimation devient claire. Le symptôme est une satisfaction substitutive à partir des fixations, la sublimation est l’élévation d’un objet à la dignité de la Chose. Cependant, Lacan vient à modifier sa conception du symptôme. Le symptôme ne sera plus seulement l’expression d’un vouloir dire, une signification métaphorique, un retour du refoulé. Le symptôme est alors la façon dont chacun jouit de son inconscient, ou la façon qu’il a de faire exister hors de l’inconscient un de ses éléments, en dévoilant, par-delà son enveloppe formelle, son statut de condensateur de jouissance. Le symptôme apparaît comme une limite du réel. Si le symptôme est limite alors il est une invention, une réponse particulière ou singulière. C’est en tout cas le « partenaire » du sujet. L’on peut alors mettre en équivalence entre création et symptôme.
Tout sujet a donc affaire à la création : pour certains, la création est suppléance, sinthome ainsi que le construit Joyce comme mode possible de réparation afin de se maintenir dans une réalité commune. Pour les autres, symptôme pour le sujet névrosé comme condensateur de jouissance.La création est alors est une réponse particulière, singulière du sujet face au mal vivre qui touche parfois l’homme au plus profond de son être. La question qui se pose à l’heure actuelle est la place que la société accorde à la pratique artistique, à la production créative. En effet, qu’est-ce qui régit notre société ? c’est le rendement, le coût de production, la baisse du chômage, l’hygiénisme, la guérison par tous les moyens mais le plus vite et le moins cher…et le sujet ?
Les mesures actuelles veulent évaluer pour pouvoir bien contrôler ; mais le sujet avec son mal être, ses questionnements, ne peut ni être évalué, ni rentré dans des petites cases. Les institutions créent des ateliers, soit, c’est très bien mais dans quel but ? dans celui de guérir le patient ou de revaloriser le chômeurs, le Rmiste pour le renvoyer le plus vite sur le marché du travail.
Non le sujet n’est pas un produit de production, c’est un sujet désirant, souffrant parfois au plus profond de son être.
Alors essayons de notre côté de laisser libre les inventions du sujet afin de lui redonner toute sa dignité.
ATRRD | 16 janvier 2015 à 11 h 05 min | Catégories: Ressources | URL: http://wp.me/p3w85x-5u