Charles S. Peirce, 4 Mai 1892
Pourquoi punissons-nous les criminels ?
Charles S. Peirce, 4 Mai 1892
(Destiné à être publié par The Independant, mais refusé par le rédacteur en chef, cet article est signé : Outsider.)
Traduction française : Laurence Fanjoux-Cohen et Sarah O’Neal
Pourquoi punissons-nous les criminels ? J’ai posé cette question à beaucoup de gens compétents, et la réponse a été unanime : la sécurité de la société requiert que l’homme coupable d’un crime doit être empêché de mal agir à nouveau et que celui qui est sur le point de violer la loi en soit dissuadé par le spectacle de la punition des autres.
Ce sont les raisons presque universellement données et je crois qu’aucune réponse plus puissante ne peut être trouvée. Mais si cela était suffisant, comment les lois existantes pourraient-elles être défendables ? Le principe conforme au décret « La vengeance m’appartient, je l’exercerai, dit le Seigneur », démontre que l’état n’a aucun droit de répandre sur la tête des criminels un courroux aveugle et sans but. En fait, il s’attribue tout pouvoir de punir les criminels pour leurs actes passés. Ce qu’ils ont fait n’est en lien avec la punition que comme indication de ce qui pourrait être fait dans le futur ; et les peines ne sont infligées que pour prévenir des crimes futurs. Y eût-il une seule autre façon de s’assurer qu’un homme soit sur le point de concevoir et exécuter un crime, cela fournirait précisément la raison même de l’enfermer ; même si la pensée du mal n’était pas encore entrée dans son esprit. En bref, dans cette manière d’envisager la punition, ce qui est infligé est justifié par la simple raison que la sécurité de la société l’exige. De la même façon, lorsqu’une nation tremble pour son existence en raison d’une invasion étrangère, les soldats peuvent envahir un champ ami et le transformer en fortifications, détruisant ainsi le sol fertile. C’est un outrage ; mais il a pour justification d’avoir été dicté par une terreur mortelle. C’est précisément ce sur quoi la raison s’appuie pour mettre en place ce qui est appelé « punition ». Là est un criminel que vous devez aimer si vous êtes chrétien, et si vous ne promettez pas de l’aimer, le calice et l’hostie de la communion vous seront refusés, au péril mortel de votre âme. Vous êtes contraint pour votre propre sécurité et celle de vos voisins, de priver cet ami et ce frère de sa liberté — non pas toutefois et surtout pour la sauvegarde des vies, mais pour celle de la propriété —. N’êtes-vous pas alors dans l’obligation d’être particulièrement attentionné à son bien-être et son confort ? Si vous êtes chrétien, il y a là matière à sérieuse réflexion. Si vous êtes juif, vos obligations sont pratiquement les mêmes.
Il faut bien admettre que la doctrine chrétienne de l’amour a été autant sous-estimée que ses maximes historiques ; cela non pas tant par quelque démarche de la science, car toutes les recherches des psychologues scientifiques défendent le maintien du principe de charité, mais simplement par le développement d’un esprit anti-chrétien au sein même de l’église. On voit cela par quelques petites indications comme la fréquente désignation actuelle d’un ecclésiastique comme « ministre de Dieu », alors qu’il était appelé usuellement serviteur de Dieu et ministre des hommes. On le voit lorsque la transmutation d’un ministre en agent de police, ou en bras armé trop zélé pour la police, reçoit l’approbation générale des pratiquants, dont la seule exigence serait qu’ils n’agissent pas comme agents provocateurs. Cette religion anti-chrétienne, cette déification politico-économique de l’égoïsme comme seul sentiment respectable autour duquel doivent tourner toutes les sérieuses affaires de la vie, finira par corrompre tous les liens de la société et par la laisser dans la même condition de désintégration que celle que les chrétiens ont trouvé à l’époque de Pétrone et Apulée.
Mais même les dévots du Dollar Tout-Puissant verront que le traitement actuel des criminels est abject, — même dans leur conception de l’abject, à savoir non rentable. On a souvent entendu les économistes suggérer la peine de mort comme une bonne délivrance pour tous types de criminels, ce qui est une suggestion qui met à nu le cœur de l’abomination sanglante devant laquelle nous sommes tous appelés à nous mettre à genoux. Mais la réponse pertinente est que la communauté n’a pas encore été éduquée à un respect suffisant des droits de propriété pour admettre ce plan. Ainsi la présente méthode des sanctions judiciaires ne remplit certainement pas ce à quoi elle est destinée. Ainsi nous visons à prévenir le même homme de commettre à nouveau le même crime ; et malgré toutes ces féroces lois, bien des hommes sont condamnés vingt ou trente fois pour la répétition du même délit, sans parler de ceux qui ne sont même pas décelés. Maintenant, au delà des aspects dramatiques de ces faits qui ne sont pas de nature à impressionner l’homme d’aujourd’hui, les procédures légales nécessaires pour mener à bien ces condamnations répétitives coûtent DE L’ARGENT !! Le remède que les économistes et le divin dollar exigent est de punir plus durement, de rendre les prisons plus effrayantes, de tourmenter les âmes des pauvres diables, bref, de poursuivre des méthodes que tout dresseur d’animaux qualifierait des plus insensées pour un cheval ou un chien. La seule réaction qu’ils concèdent à ce fait est qu’il y a encore dans les jurys un certain nombre d’hommes old-fashioned au cœur tendre qui, nonobstant tous les serments du monde ne peuvent être amenés à emprisonner un homme lorsqu’ils pensent que la sentence serait trop cruelle ; et les prisons sont déjà assez cruelles et effrayantes pour que les jurés soient incités à les utiliser.
Ensuite, considérons dans quelle mesure les punitions existantes agissent pour détourner les hommes du crime. Le criminel lui-même qui a un sens bien plus réaliste que tout autre des misères et des tortures de la prison n’est pas détourné le moins du monde par elles. Dans les 20 minutes qui suivent sa libération de prison, s’il en a l’occasion, il accomplira à nouveau l’ancien crime. Mais son châtiment, s’il ne peut lui servir à l’empêcher, empêchera encore moins les autres de son espèce. Les observations indiscutables du Professeur Lombroso concernant les criminels en Italie expliquent ce fait en montrant que cette classe d’hommes montre une sensibilité nettement anormale à la douleur. Les physiologistes ont établi les mêmes faits dans les autres pays. Il est curieux de voir une telle répugnance à admettre ces faits scientifiques par ceux qui sont engagés à défendre le présent système de peine. Jusqu’ici les emprisonnements fréquents d’un même homme pour des délits similaires suffisent à démontrer que de telles peines n’ont aucun effet dissuasif pour de tels hommes. En ce qui concerne ceux qui ne sont pas encore criminels, on ne peut nier que la perspective de la peine doit être, dans l’état existant des choses, un fort motif de s’abstenir de violer la loi ; toutefois il y a peu de doute que ce qu’ils craignent le plus est l’ignominie sociale. La peine judiciaire excite bien moins leur imagination, et se présente comme une simple privation de liberté. Les tortures de la prison ne sont pas connues de telles personnes, ou sont mises en doute. Et les choses inconnues ou mises en doute peuvent difficilement affecter leurs esprits. On peut encore dire que c’est une question d’opinion et de conjoncture ; que peut-être ces terreurs inconnues ont vraiment bien plus d’importance qu’on ne croit. Concédons cela comme simplement possible, quoiqu’improbable. Même si un système plus humain devait s’avérer, de façon inattendue, un peu moins dissuasif que l’actuel pour une petite classe de futurs criminels, il ne pourrait pas échouer à être presque tout à fait dissuasif pour les professionnels, et cela serait de loin plus important.
« Mais alors, comment voulez vous que l’on punisse les criminels ? » peut-on me demander. La réponse est : reconnaissez les faits de la science, aussi désagréables soient-ils à votre cœur politico-économique assoiffé de sang. Reconnaissez le fait que le criminel est un homme à l’esprit malade. Et rejetez entièrement l’idée de punition. Premièrement, enfermez-le dans un asile et coupez-le des contacts maléfiques. Deuxièmement, faites de votre mieux pour adoucir ses susceptibilités, pour renforcer sa volonté, et pour élever son esprit. Troisièmement, rendez son sort aussi heureux que vous le pouvez. Quatrièmement, empêchez-le de propager son influence, et cinquièmement, gardez le confiné jusqu’à ce que vous soyez sûrs qu’il est guéri et qu’il serait sans danger de le laisser partir.
« Mais comment devrions-nous traiter les criminels dans ces asiles ? Devons nous les dorloter dans le luxe ? » La réponse est : Traitez-les comme si vous les aimiez. Bien entendu, si vous êtes un économiste, vous ne les aimez pas et vous ne devez pas les aimer ; parce que vous croyez dans le divin pouvoir régénérateur de l’égoïsme universel. Alors traitez les criminels comme vous le feriez si vous les aimiez ; parce que, au bout du compte, c’est la méthode la moins chère. Une condition de leur bonheur est qu’ils puissent ressentir qu’ils gagnent leur vie. Par conséquent, sixièmement, ils devront apprendre qu’il n’y aura pas de reproduction ici, et peu de communication avec leurs amis et que les personnes qui auront préféré travailler dur dans ces conditions auront le droit d’y entrer. Alors, ils ne seraient pas relâchés avant d’être absolument et de façon définitive guéris de ce penchant anormal. Si de telles personnes s’avéraient être très nombreuses, les établissements deviendraient de grandes sources de revenus pour l’état. Mais tout ceci est imaginaire : les gens n’essayeraient pas plus d’entrer en de tels lieux, qu’ils n’essayent d’entrer actuellement dans les infâmes asiles.
Et quel en serait le résultat ? Tout d’abord, la criminalité héréditaire disparaitrait immédiatement. Nul ne serait jamais condamné plus de deux fois, et très rarement plus d’une. Lors, un certain nombre, pas forcément négligeable de personnes, seraient récupérés et deviendraient membres précieux de la société. Pour des personnes commettant un crime pour la première fois, une telle punition serait pratiquement aussi dissuasive qu’actuellement ; peut-être même un peu plus, dans la mesure où la période de détention serait bien plus longue. La part essentielle de la punition de telles personnes, la part sociale, qui est la plus terrible et très excessive, ne serait pas directement affectée. Les jurys seraient plus disposés à prononcer la peine. Par conséquent, les appels seraient moins nombreux. Les crimes seraient bien en baisse, lorsque les voleurs professionnels seraient tous enfermés à double tour. Le montant payé aux personnes en lien avec les cours criminelles serait extrêmement réduit, et leurs intérêts seraient totalement opposés à un tel changement. Souvenez vous-en, lorsqu’ils exprimeront leurs opinions au sujet de cette proposition.
Les frais des nouveaux établissements seront tout d’abord lourds ; mais plus tard, quand ils seront devenus en partie auto-financés, quand les familles des criminels auront été éradiquées et que le crime aura bien diminué, les dépenses ne pourront pas trop excéder celles des pénitenciers existants. Les bénéfices seront pris dans l’appareil de la justice.
Les pertes des individus seront grandement réduites.
Tous ces bénéfices proviendront de gens ayant laissé de côté leur rancœur néfaste et non-chrétienne, et qui ont reconnu la totale vérité de la science selon laquelle les gens qui commettent des crimes sont des esprits malades.
(Extrait des Writings of C. S. Peirce N°8 pp. 341/344
Traduction française : Laurence Fanjoux-Cohen et Sarah O’Neal
jeudi 16 juillet 2015, publié par Pourquoi punissons-nous les criminels ?
Charles S. Peirce, 4 Mai 1892
(Destiné à être publié par The Independant, mais refusé par le rédacteur en chef, cet article est signé : Outsider.)
Traduction française : Laurence Fanjoux-Cohen et Sarah O’Neal
Pourquoi punissons-nous les criminels ? J’ai posé cette question à beaucoup de gens compétents, et la réponse a été unanime : la sécurité de la société requiert que l’homme coupable d’un crime doit être empêché de mal agir à nouveau et que celui qui est sur le point de violer la loi en soit dissuadé par le spectacle de la punition des autres.
Ce sont les raisons presque universellement données et je crois qu’aucune réponse plus puissante ne peut être trouvée. Mais si cela était suffisant, comment les lois existantes pourraient-elles être défendables ? Le principe conforme au décret « La vengeance m’appartient, je l’exercerai, dit le Seigneur », démontre que l’état n’a aucun droit de répandre sur la tête des criminels un courroux aveugle et sans but. En fait, il s’attribue tout pouvoir de punir les criminels pour leurs actes passés. Ce qu’ils ont fait n’est en lien avec la punition que comme indication de ce qui pourrait être fait dans le futur ; et les peines ne sont infligées que pour prévenir des crimes futurs. Y eût-il une seule autre façon de s’assurer qu’un homme soit sur le point de concevoir et exécuter un crime, cela fournirait précisément la raison même de l’enfermer ; même si la pensée du mal n’était pas encore entrée dans son esprit. En bref, dans cette manière d’envisager la punition, ce qui est infligé est justifié par la simple raison que la sécurité de la société l’exige. De la même façon, lorsqu’une nation tremble pour son existence en raison d’une invasion étrangère, les soldats peuvent envahir un champ ami et le transformer en fortifications, détruisant ainsi le sol fertile. C’est un outrage ; mais il a pour justification d’avoir été dicté par une terreur mortelle. C’est précisément ce sur quoi la raison s’appuie pour mettre en place ce qui est appelé « punition ». Là est un criminel que vous devez aimer si vous êtes chrétien, et si vous ne promettez pas de l’aimer, le calice et l’hostie de la communion vous seront refusés, au péril mortel de votre âme. Vous êtes contraint pour votre propre sécurité et celle de vos voisins, de priver cet ami et ce frère de sa liberté — non pas toutefois et surtout pour la sauvegarde des vies, mais pour celle de la propriété —. N’êtes-vous pas alors dans l’obligation d’être particulièrement attentionné à son bien-être et son confort ? Si vous êtes chrétien, il y a là matière à sérieuse réflexion. Si vous êtes juif, vos obligations sont pratiquement les mêmes.
Il faut bien admettre que la doctrine chrétienne de l’amour a été autant sous-estimée que ses maximes historiques ; cela non pas tant par quelque démarche de la science, car toutes les recherches des psychologues scientifiques défendent le maintien du principe de charité, mais simplement par le développement d’un esprit anti-chrétien au sein même de l’église. On voit cela par quelques petites indications comme la fréquente désignation actuelle d’un ecclésiastique comme « ministre de Dieu », alors qu’il était appelé usuellement serviteur de Dieu et ministre des hommes. On le voit lorsque la transmutation d’un ministre en agent de police, ou en bras armé trop zélé pour la police, reçoit l’approbation générale des pratiquants, dont la seule exigence serait qu’ils n’agissent pas comme agents provocateurs. Cette religion anti-chrétienne, cette déification politico-économique de l’égoïsme comme seul sentiment respectable autour duquel doivent tourner toutes les sérieuses affaires de la vie, finira par corrompre tous les liens de la société et par la laisser dans la même condition de désintégration que celle que les chrétiens ont trouvé à l’époque de Pétrone et Apulée.
Mais même les dévots du Dollar Tout-Puissant verront que le traitement actuel des criminels est abject, — même dans leur conception de l’abject, à savoir non rentable. On a souvent entendu les économistes suggérer la peine de mort comme une bonne délivrance pour tous types de criminels, ce qui est une suggestion qui met à nu le cœur de l’abomination sanglante devant laquelle nous sommes tous appelés à nous mettre à genoux. Mais la réponse pertinente est que la communauté n’a pas encore été éduquée à un respect suffisant des droits de propriété pour admettre ce plan. Ainsi la présente méthode des sanctions judiciaires ne remplit certainement pas ce à quoi elle est destinée. Ainsi nous visons à prévenir le même homme de commettre à nouveau le même crime ; et malgré toutes ces féroces lois, bien des hommes sont condamnés vingt ou trente fois pour la répétition du même délit, sans parler de ceux qui ne sont même pas décelés. Maintenant, au delà des aspects dramatiques de ces faits qui ne sont pas de nature à impressionner l’homme d’aujourd’hui, les procédures légales nécessaires pour mener à bien ces condamnations répétitives coûtent DE L’ARGENT !! Le remède que les économistes et le divin dollar exigent est de punir plus durement, de rendre les prisons plus effrayantes, de tourmenter les âmes des pauvres diables, bref, de poursuivre des méthodes que tout dresseur d’animaux qualifierait des plus insensées pour un cheval ou un chien. La seule réaction qu’ils concèdent à ce fait est qu’il y a encore dans les jurys un certain nombre d’hommes old-fashioned au cœur tendre qui, nonobstant tous les serments du monde ne peuvent être amenés à emprisonner un homme lorsqu’ils pensent que la sentence serait trop cruelle ; et les prisons sont déjà assez cruelles et effrayantes pour que les jurés soient incités à les utiliser.
Ensuite, considérons dans quelle mesure les punitions existantes agissent pour détourner les hommes du crime. Le criminel lui-même qui a un sens bien plus réaliste que tout autre des misères et des tortures de la prison n’est pas détourné le moins du monde par elles. Dans les 20 minutes qui suivent sa libération de prison, s’il en a l’occasion, il accomplira à nouveau l’ancien crime. Mais son châtiment, s’il ne peut lui servir à l’empêcher, empêchera encore moins les autres de son espèce. Les observations indiscutables du Professeur Lombroso concernant les criminels en Italie expliquent ce fait en montrant que cette classe d’hommes montre une sensibilité nettement anormale à la douleur. Les physiologistes ont établi les mêmes faits dans les autres pays. Il est curieux de voir une telle répugnance à admettre ces faits scientifiques par ceux qui sont engagés à défendre le présent système de peine. Jusqu’ici les emprisonnements fréquents d’un même homme pour des délits similaires suffisent à démontrer que de telles peines n’ont aucun effet dissuasif pour de tels hommes. En ce qui concerne ceux qui ne sont pas encore criminels, on ne peut nier que la perspective de la peine doit être, dans l’état existant des choses, un fort motif de s’abstenir de violer la loi ; toutefois il y a peu de doute que ce qu’ils craignent le plus est l’ignominie sociale. La peine judiciaire excite bien moins leur imagination, et se présente comme une simple privation de liberté. Les tortures de la prison ne sont pas connues de telles personnes, ou sont mises en doute. Et les choses inconnues ou mises en doute peuvent difficilement affecter leurs esprits. On peut encore dire que c’est une question d’opinion et de conjoncture ; que peut-être ces terreurs inconnues ont vraiment bien plus d’importance qu’on ne croit. Concédons cela comme simplement possible, quoiqu’improbable. Même si un système plus humain devait s’avérer, de façon inattendue, un peu moins dissuasif que l’actuel pour une petite classe de futurs criminels, il ne pourrait pas échouer à être presque tout à fait dissuasif pour les professionnels, et cela serait de loin plus important.
« Mais alors, comment voulez vous que l’on punisse les criminels ? » peut-on me demander. La réponse est : reconnaissez les faits de la science, aussi désagréables soient-ils à votre cœur politico-économique assoiffé de sang. Reconnaissez le fait que le criminel est un homme à l’esprit malade. Et rejetez entièrement l’idée de punition. Premièrement, enfermez-le dans un asile et coupez-le des contacts maléfiques. Deuxièmement, faites de votre mieux pour adoucir ses susceptibilités, pour renforcer sa volonté, et pour élever son esprit. Troisièmement, rendez son sort aussi heureux que vous le pouvez. Quatrièmement, empêchez-le de propager son influence, et cinquièmement, gardez le confiné jusqu’à ce que vous soyez sûrs qu’il est guéri et qu’il serait sans danger de le laisser partir.
« Mais comment devrions-nous traiter les criminels dans ces asiles ? Devons nous les dorloter dans le luxe ? » La réponse est : Traitez-les comme si vous les aimiez. Bien entendu, si vous êtes un économiste, vous ne les aimez pas et vous ne devez pas les aimer ; parce que vous croyez dans le divin pouvoir régénérateur de l’égoïsme universel. Alors traitez les criminels comme vous le feriez si vous les aimiez ; parce que, au bout du compte, c’est la méthode la moins chère. Une condition de leur bonheur est qu’ils puissent ressentir qu’ils gagnent leur vie. Par conséquent, sixièmement, ils devront apprendre qu’il n’y aura pas de reproduction ici, et peu de communication avec leurs amis et que les personnes qui auront préféré travailler dur dans ces conditions auront le droit d’y entrer. Alors, ils ne seraient pas relâchés avant d’être absolument et de façon définitive guéris de ce penchant anormal. Si de telles personnes s’avéraient être très nombreuses, les établissements deviendraient de grandes sources de revenus pour l’état. Mais tout ceci est imaginaire : les gens n’essayeraient pas plus d’entrer en de tels lieux, qu’ils n’essayent d’entrer actuellement dans les infâmes asiles.
Et quel en serait le résultat ? Tout d’abord, la criminalité héréditaire disparaitrait immédiatement. Nul ne serait jamais condamné plus de deux fois, et très rarement plus d’une. Lors, un certain nombre, pas forcément négligeable de personnes, seraient récupérés et deviendraient membres précieux de la société. Pour des personnes commettant un crime pour la première fois, une telle punition serait pratiquement aussi dissuasive qu’actuellement ; peut-être même un peu plus, dans la mesure où la période de détention serait bien plus longue. La part essentielle de la punition de telles personnes, la part sociale, qui est la plus terrible et très excessive, ne serait pas directement affectée. Les jurys seraient plus disposés à prononcer la peine. Par conséquent, les appels seraient moins nombreux. Les crimes seraient bien en baisse, lorsque les voleurs professionnels seraient tous enfermés à double tour. Le montant payé aux personnes en lien avec les cours criminelles serait extrêmement réduit, et leurs intérêts seraient totalement opposés à un tel changement. Souvenez vous-en, lorsqu’ils exprimeront leurs opinions au sujet de cette proposition.
Les frais des nouveaux établissements seront tout d’abord lourds ; mais plus tard, quand ils seront devenus en partie auto-financés, quand les familles des criminels auront été éradiquées et que le crime aura bien diminué, les dépenses ne pourront pas trop excéder celles des pénitenciers existants. Les bénéfices seront pris dans l’appareil de la justice.
Les pertes des individus seront grandement réduites.
Tous ces bénéfices proviendront de gens ayant laissé de côté leur rancœur néfaste et non-chrétienne, et qui ont reconnu la totale vérité de la science selon laquelle les gens qui commettent des crimes sont des esprits malades.
(Extrait des Writings of C. S. Peirce N°8 pp. 341/344
P.-S:
Commentaires des éditeurs des Writings, t.8
The letter, written on 4 May 1892, was spurred by the Fates murder case. That day’s front page of the New York Evening World, as well as of other New York area newspapers, had carried the latest news concerning the murder of Thomas Haydon, a shipping clerk who had been clubbed to death the previous Saturday in the course of a robbery in Newark, New Jersey. The perpetrator, Robert Alden Fates, was caught thanks to help from the public. The Evening World headlined the story « His Murderer Only a Boy ? » The account of his police interview disclosed that sixteen-year-old Fates lived with his mother, his father having committed suicide three months earlier. Fales’s mother was a sister of two notorious burglars who were serving time in prison, thanks in part to testimony she and her son gave against them-« to protect her boy from the danger of contamination ? » Fales’s trial was followed by the press in considerable detail. In spite of a defense based on insanity, on 5 July he was sentenced to death by hanging. Appeals were made but it was only intervention by the State Board of Pardons that resulted, in April 1894, in a commutation to life imprisonment. All of the accounts made the point that, from beginning to end, Fates invariably appeared indifferent and showed no emotion.
In a surviving draft of a 4 May 1892 cover letter to William Hayes Ward, the editor of the Independent, Peirce laid out his rationale for submitting an editorial letter (RL 218:28) :
« My dear Sir : I beg you will do me the favor to read my contribution and decide whether you will take it,-or rather I beg you will take it. True, I am not a Presbyterian, and my paper does not precisely jibe with presbyterian sentiments. I am still less likely to interest people in my own (Episcopalian) church. And there is no other paper like the Independent which voices the entire spirit of the protestant churches. I can hardly contain myself, when I see the million of this city jumping upon this Fales boy. Look at the report in The Evening World of this date. Is not the total insensibil- ity of this boy, in the light of the experiments of Lombroso and a half dozen other physiologists, evident enough ? He cannot be made to suffer. He is incapable of any but a very low degree of that sensation. It is only his poor mother & sister that this insensate rage of the million really reaches ! These poor women, who have been able to resist the poison of hereditary criminality,-why should the howling mob of New York trample over their hearts ? If ever there was a case that was calculated to bring home to a tender and Christian heart the iniquity of our punishments, it is this one. »
References to a sister have not been located in the major newspaper accounts of the time, but Peirce’s overall argument did not secure publication in any event. Ward replied to Peirce with delay on 26 May 1892, apologizing (RL 218:29) : "I must cry Peccavi. I was sure I had returned your article, not feeling able to use it, but here I find it with some correspondence which I had put one side in another room to attend to, and I supposed it had been attended to. I can only express my sincere regret and beg your pardon."
The letter, written on 4 May 1892, was spurred by the Fates murder case. That day’s front page of the New York Evening World, as well as of other New York area newspapers, had carried the latest news concerning the murder of Thomas Haydon, a shipping clerk who had been clubbed to death the previous Saturday in the course of a robbery in Newark, New Jersey. The perpetrator, Robert Alden Fates, was caught thanks to help from the public. The Evening World headlined the story « His Murderer Only a Boy ? » The account of his police interview disclosed that sixteen-year-old Fates lived with his mother, his father having committed suicide three months earlier. Fales’s mother was a sister of two notorious burglars who were serving time in prison, thanks in part to testimony she and her son gave against them-« to protect her boy from the danger of contamination ? » Fales’s trial was followed by the press in considerable detail. In spite of a defense based on insanity, on 5 July he was sentenced to death by hanging. Appeals were made but it was only intervention by the State Board of Pardons that resulted, in April 1894, in a commutation to life imprisonment. All of the accounts made the point that, from beginning to end, Fates invariably appeared indifferent and showed no emotion.
In a surviving draft of a 4 May 1892 cover letter to William Hayes Ward, the editor of the Independent, Peirce laid out his rationale for submitting an editorial letter (RL 218:28) :
« My dear Sir : I beg you will do me the favor to read my contribution and decide whether you will take it,-or rather I beg you will take it. True, I am not a Presbyterian, and my paper does not precisely jibe with presbyterian sentiments. I am still less likely to interest people in my own (Episcopalian) church. And there is no other paper like the Independent which voices the entire spirit of the protestant churches. I can hardly contain myself, when I see the million of this city jumping upon this Fales boy. Look at the report in The Evening World of this date. Is not the total insensibil- ity of this boy, in the light of the experiments of Lombroso and a half dozen other physiologists, evident enough ? He cannot be made to suffer. He is incapable of any but a very low degree of that sensation. It is only his poor mother & sister that this insensate rage of the million really reaches ! These poor women, who have been able to resist the poison of hereditary criminality,-why should the howling mob of New York trample over their hearts ? If ever there was a case that was calculated to bring home to a tender and Christian heart the iniquity of our punishments, it is this one. »
References to a sister have not been located in the major newspaper accounts of the time, but Peirce’s overall argument did not secure publication in any event. Ward replied to Peirce with delay on 26 May 1892, apologizing (RL 218:29) : "I must cry Peccavi. I was sure I had returned your article, not feeling able to use it, but here I find it with some correspondence which I had put one side in another room to attend to, and I supposed it had been attended to. I can only express my sincere regret and beg your pardon."