dimanche 22 mars 2015

GR2 : Co-vision en Art-thérapie

Groupe de Recherche ARAT animé par Caroline Germain, art-thérapeute.

COMPTE-RENDU DE LA CO-VISION EN ART-THÉRAPIE DU 30/11/2014

Présentes : Bénédicte Carrière, Purita Munoz, Caroline Germain
Excusés : Amparine Tubau

Comme convenu, nous avons commencé notre rencontre par une reprise de contact avec un thé et des croissants. 

Est venu ensuite le temps des interrogations autour de notre pratique avec  nos patients.
Purita expose le cas de deux adolescents du centre dans lequel elle travaille. Le premier exige avec violence et tout au long de la première séance de savoir le nom des autres jeunes qui viennent à la consultation. Comment répondre à une telle demande ? Comment évaluer la possibilité d’un passage à l’acte dans ce cadre-là ?
Personnellement j’évoque mes doutes quant à la pertinence des séances d’art-thérapie que je propose à un monsieur atteint de la maladie d’Alzheimer à un stade avancé.

Bénédicte nous propose ensuite un dispositif en art-thérapie. Celui-ci nous amène à des questionnements tant au niveau des symbolisations réalisées que des relations à l’œuvre dans notre mini groupe lorsqu’il s’agit de réaliser une « tâche » commune. Comment exister dans le groupe tout en accueillant le compromis nécessaire comme une richesse ? Qui parle de quoi ? Etc…
Après le repas nous avons repris les débats autour du thème choisi la fois précédente :  les objets que nous offrent certains patients .
Les échanges se sont organisés autour d’un cas proposé par Bénédicte, elle nous livre ses réflexions dans le beau texte suivant.

La co-vision est une évidence, Bénédicte Carrière, Art-thérapeute

Lorsque le patient offre un présent au thérapeute

Nous avons partagé lors de cette co-vision le récit de l’accompagnement de Mme B. et comment elle m’a offert un présent que je n’ai pas refusé.
Nous ne sommes pas ici dans le jugement de ce qui s’est produit, mais dans une tentative commune de témoigner des processus à l’œuvre dans le transfert et le contre-transfert, et des cheminements de réflexion lorsque se produit une sortie du cadre.

Mme B. vient par périodes en soin art-thérapeutique depuis quatre ans.
Des épisodes dépressifs l’ont conduite régulièrement tout le long de sa vie à se soigner avec une médication assez lourde et à être suivie par des psychiatres. Elle a effectué il y a une dizaine d’années un séjour de trois mois en clinique psychiatrique. Son histoire familiale est tourmentée, elle se décrit comme une personne timide, soumise, et effrayée par le monde.
Elle travaille dans une administration où elle renseigne le public.
Je l’ai accompagnée une première fois sur une période d’un an. Nous avons décidé d’un commun accord de mettre un terme à ces séances, Mme B. ne prenant plus de médicaments et s’en trouvant très bien.
Après une interruption de huit mois, elle a souhaité reprendre un suivi, qui a duré six mois. Presqu’un an après, je l’ai revue pendant quatre mois, entrecoupés par les vacances d’été.

Mi-septembre, nous effectuons une séance durant laquelle Mme B. semble sereine, apaisée. Elle me fait alors part de son désir d’arrêter le suivi thérapeutique, ce qui me paraît prématuré, car elle montrait des signes dépressifs évidents la semaine précédente. A la fin de la séance, Mme B. me remercie chaleureusement et me dit toute sa gratitude pour l’apaisement qu’elle ressent.

Je l’écoute avec neutralité, sans l’interrompre.
Elle se penche alors et extrait de son sac une statue en pierre de savon haute d’une quarantaine de centimètres, représentant une famille… Ou un enfantement… Ou une scène érotique, je ne sais pas très bien.
Elle me l’offre pour me remercier.
L’objet me paraît affreux, confus et obscur, je ressens recul et stupéfaction, en me disant que l’on nage en plein passage à l’acte dans le transfert.

J’explique alors à Mme B. que je ne peux accepter de cadeau de la part d’une personne que je reçois dans le cadre thérapeutique, que cela va à l’encontre du processus de soin, que cela fausse notre relation. Et que, par conséquent, cela va à l’encontre de mon éthique et de la déontologie de ma fonction de thérapeute ; que je ne peux donc me permettre d’accepter ce cadeau, présenté par ailleurs avec cœur et sincérité.

Durant ce discours qui me semble carré, honnête et précautionneux, je vois Mme B. se dissoudre, s’effondrer sur elle-même, paniquer, les yeux emplis de larmes.

Je pense soudainement, qu’en plus, cet objet à dû coûter relativement cher, ce qui montre bien la position d’objet d’amour dans laquelle elle me met.

Mme B. me dit que l’argent qu’elle me donne ne sait pas dire merci, ne sait pas rendre quelque chose de l’ordre de la gratitude. J’entends bien qu’elle me parle d’amour.
Je me sens coincée par la situation ; j’ai la certitude, à ce moment précis, que refuser serait comme la pousser dans l’abîme  de la dépression.

Obligée de prendre une décision dans l’instant, je dis à Mme B. que je ne prendrai pas cet objet chez moi, dans mon intimité, et lui propose de le laisser dans l’espace thérapeutique.
Mme B. pose la statuette sur le bureau, satisfaite.
Moi, pas du tout.

La séance terminée, je ressens une profonde colère envers moi-même, je me sais dans l’erreur la plus totale. Comment Mme B. Pourrait-elle se détacher de ce qui la fait souffrir si sa thérapeute accepte un nouvel attachement à cette même souffrance, à savoir un amour malheureux et fusionnel à l’objet primaire, à l’illusion d’un objet fictif de dépendance ?

En séance de supervision, la psychanalyste me remet vertement face à mes responsabilités et me pose cette question à laquelle je ne m’attends pas : 
« qu’avez-vous permis ou mis en place dans votre relation avec cette personne, qui l’ait autorisée à vous offrir ce présent ? »
Question à méditer.
Je me retrouve donc avec un objet que je ne sors de son tiroir que lors des séances avec Mme B. Je me sens enfermée, sans solution.

Faire disparaître l’objet, sans qu’il n’y ait de parole, me paraît incongru.
Garder ce symbole qui nous lie, impossible.

Je demande de l’aide en séance de co-vision pour trouver une solution adéquate, et pourquoi pas, thérapeutique.

Voici ce qui émerge de nos échanges :

Consciemment, cet objet, pour Mme B., est une forme symbolique pour me dire sa reconnaissance : je l’ai reçue lorsqu’elle était dans la peine, je l’ai écoutée, sans jugement, patiemment ; elle s’est sentie respectée, recueillie, digne d’exister.
Mais inconsciemment, cet objet n’est-il pas le symbole d’une relation que Mme B. croit vraie ? Un fantasme de mère enfin aimante, idéale ? (elle vit sous l’emprise de sa mère qui a quatre-vingt-six ans)
Un objet d’art pour un art-thérapeute, c’est un beau clin d’œil ! Un prétexte pour (me) déclarer son amour à un objet fantasmatique.
Car ce n’est pas moi qu’elle aime, c’est l’image qu’elle a de moi.
Pour la lacanienne que je suis, j’ai le sentiment d’être devenue l’objet de jouissance de cette personne… Pas étonnant que cet objet dont les formes entrelacées restent indéfinies me renvoie à une image sexualisée : Mme B. vit notre relation de manière fantasmatique… Tout à coup, elle prend un pouvoir, celui de m’assujettir…

Cela signifie donc que le transfert qui opère dans notre relation est très encré, et que Mme B. n’est pas prête à me faire descendre de mon piédestal… 

Pourquoi être sortie du cadre ? Pourquoi avoir cédé à la détresse de Mme B. ?
Ai-je été trop amicale envers elle ? Cela fait-il trop longtemps que dure cette relation ? Quelle est la nature de notre responsabilité lorsque nous avons des patients « ad aeternam » ? Pouvons-nous devenir, à notre contre-transfert « défendant », trop maternants ? ou fatigués de recevoir et gérer l’identique, la répétition ?

Et si j’avais refusé cette statuette, que ce serait-il passé ? Est-ce moi qui n’ai pas assez confiance dans les capacités de résilience de Mme B. ? Est-ce que mon cadre interne n’est pas assez clair et serein pour affronter le chagrin de l’autre, cet « autre de moi » …?

Bien sûr, je ne répondrai pas à ces questions. Chacun d’entre nous doit se poser les questions légitimes qui interrogent l’art d’accompagner des personnes dans un cadre thérapeutique. Y répondre systématiquement serait faire affront à la richesse et au respect de nos différences, patients comme soignants, humains ensemble devant les mystères de la psychée.
Nous ne sommes pas des excavateurs de l’intimité.

Mes consœurs m’invitent à créer un ou plusieurs dispositifs autour de cette statue durant les séances de Mme B., afin d’en dissoudre la charge affective et pouvoir, à terme, proposer à Mme B. de ramener l’objet chez elle.
Ces dispositifs seraient des propositions de reprise en main de la chose, « das ding » des prétextes dans l’agir, pour manipuler, modeler, creuser et peut-être démystifier la question de l’objet primaire.

Epilogue.
Cette co-vision a eu lieu un dimanche, il y a un mois et demi.
Dès le lundi, j’ai enlevé la statue de mon bureau.
Je l’ai donnée au secours populaire.
Cela fait trois séances que je revois Mme. B. Elle n’a fait aucun commentaire.

Les effets de culpabilité que j’ai vécus à la suite de la séance du cadeau, effets cumulés après la séance de supervision, se sont évaporés suite à notre échange durant la co-vision.
Cet objet n’a tout simplement pas sa place au sein de l’espace thérapeutique.
C’est moi qui suis garante de ce cadre. C’est ce que j’ai repris en main, comme dans un jeu de carte. Mm B, ne m’a paru ni en souffrir, ni s’interroger.
Je suis présente à ses questions, sa colère ou son chagrin, quels qu’ils soient, c’est cela qui m’a paru essentiel pour la continuation de notre relation, revenir à quelque chose de fondamental dans un accompagnement : être un accompagnant, le plus neutre possible, dans un accueil limité par un cadre qui limite les effets de transfert et de contre transfert à ce qu’ils sont : une névrose de transfert.

Conclusion.
La supervision nous renvoie à nous-même, parfois brutalement, nous empêchant d’errer dans un cadre fluctuant, non réfléchi, non pensé, autant dire, dans l’ignorance, le fantasme ou l’imaginaire.

C’est également ce que nous offrons régulièrement aux personnes que nous recevons en séance : les parois abruptes de la métaphore paternelle, une fin de non recevoir face à une demande d’amour, une parabole en guise d’explication… Même si cela s’effectue dans l’accueil et une certaine empathie.


Nous n’en attendons pas un bénéfice immédiat, la plupart du temps, nous attendons même rien. Nous savons qu’une part de l’inconscient et du conscient de la personne va peut-être se mettre en mouvement, parce que le cadre thérapeutique vient heurter les répétitions délétères et mortifères des résistances. Ce cadre, en principe, n’offre que peu de prise aux enjeux transférentiels.
Il peut être testé, chahuté, controversé, mais restera indemne. Sa vocation est d’être par consistance souple, sécure, serein, non affectable. 

Or, tout cela ne peut fonctionner si nous n’incarnons pas cet objet fantastique que l’on appelle « supposé savoir » ; un savoir (créé de toute pièce) qui nous permet d’obtenir la confiance de notre vis à vis, confiance qui ouvre l’interstice nécessaire à un souffle de mobilité psychique. Lorsque le psychisme est à l’arrêt, l’expérience humaine se réduit à la répétition anxiogène et tous les symptômes y afférant.
Pour incarner ce supposé savoir, nous sommes sensés posséder un cadre interne souple, sécure, serein, non affectable…

Ce qui m’a permis de retrouver cet état de tranquillité interne, c’est le partage de cette expérience en co-vision. Nous avons déplié ensemble les étapes de cet accompagnement thérapeutique, nous avons cherché dans notre savoir théorique comment analyser les tenants et les aboutissants de cette aventure. 

Nous avons échangé sur la pratique, entre pairs.
Sans jugement.
Dans la confiance mutuelle de nos sujets supposés savoirs.
Une parole pleine, souple, sécure, sereine, non affectable.

Notre prochain rendez-vous aura lieu le 25 janvier.
Le groupe comporte aujourd’hui 4 participantes qui s’engagent à venir à chaque rencontre, il reste donc encore des places pour d’autres art-thérapeutes en activité et adhérents obligatoirement de l'association ARAT.

Caroline Germain