ELOGE
DE LA DÉESSE FOLIE,
IRIS OU PÂGALPAN DÉVÎ,
POUR LA VICTOIRE DE LA LIBERTÉ
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« Nous
souffrons d’une pourriture, de la pourriture de la Raison. L’Europe
logique écrase l’esprit sans fin entre les marteaux de deux termes, elle
ouvre et referme l’esprit. Mais maintenant l’étranglement est à son
comble, il y a trop longtemps que nous pâtissons sous le harnais.
L’esprit est plus grand que l’esprit, les métamorphoses de la vie sont
multiples. Comme vous, nous repoussons le progrès : venez, jetez bas nos
maisons. »
– Antonin Artaud, Lettre aux écoles du Bouddha.
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« Lucidité
ou non lucidité, il y a une lucidité que nulle maladie ne m'enlèvera
jamais, c'est celle qui me dicte le sentiment de ma vie physique. »
– Antonin Artaud, Lettre à monsieur le Législateur de la loi sur les stupéfiants.
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Messieurs
Les
lois, la coutume vous concèdent le droit de mesurer l'esprit. Cette
juridiction souveraine, redoutable, c'est avec votre entendement que
vous l'exercez. Laissez-nous rire. La crédulité des peuples
civilisés, des savants, des gouvernements pare la psychiatrie d'on ne
sait quelles lumières surnaturelles. Le procès de votre profession est
jugé d'avance. Nous n'entendons pas discuter ici la valeur de votre
science, ni l'existence douteuse des maladies mentales. Mais,
pour cent pathogénies prétentieuses où se déchaîne la confusion de la
matière et de l'esprit, pour cent classifications dont les plus vagues
sont encore les plus utilisables, combien de tentatives nobles pour
approcher le monde cérébral où vivent tant de vos prisonniers ? Combien
êtes-vous par exemple, pour qui le rêve du dément précoce, les images
dont il est la proie sont autre chose qu'une salade de mots ?
Nous
ne nous étonnons pas de vous trouver inférieurs à une tâche pour
laquelle il n'y a que peu de prédestinés. Mais nous nous élevons contre
la droit attribué à des hommes, bornés ou non, de sanctionner par
l'incarcération perpétuelle leurs investigations dans le domaine de
l'esprit.
Et
quelle incarcération ! On sait – on ne sait pas assez – que les
asiles, loin d'être des asiles, sont d'effroyables geôles, où les
détenus fournissent une main-d'œuvre gratuite et commode, où les sévices
sont la règle, et cela est toléré par vous. L'asile d'aliénés, sous le couvert de la justice, est comparable à la caserne, à la prison, au bagne.
Nous ne soulèverons pas ici la question des internements arbitraires, pour vous éviter la peine de dénégations faciles. Nous
affirmons qu'un grand nombre de vos pensionnaires, parfaitement fous
selon la définition officielle, sont eux aussi, arbitrairement internés.
Nous n'admettons pas qu'on entrave le libre développement d'un délire,
aussi légitime, aussi logique que toute autre succession d'idées ou
d'actes humains. La répression des réactions antisociales est aussi
chimérique qu'inacceptable en son principe. Tous les actes individuels
sont antisociaux. Les fous sont les victimes individuelles par
excellence de la dictature sociale ; au nom de cette individualité qui
est le propre de l'homme, nous réclamons qu'on libère ces forçats de la
sensibilité puisque aussi bien il n'est pas au pouvoir des lois
d'enfermer tous les hommes qui pensent et agissent.
Sans
insister sur le caractère parfaitement génial des manifestations de
certains fous, dans la mesure où nous sommes aptes à les apprécier, nous
affirmons la légitimité absolue de leur conception de la réalité, et de
tous les actes qui en découlent.
Puissiez-vous
vous en souvenir demain matin à l'heure de la visite, quand vous
tenterez sans lexique de converser avec ces hommes sur lesquels,
reconnaissez-le, vous n'avez d'avantage que celui de la force.
(Naga Baba méditant, dans une Foire au Pot, fête sacrée, à Calcuta)
Article de Dino CASTELBOU, peintre, poète et écrivain.
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Mis en ligne avec l'aimable autorisation de Dino Castelbou