Béatrice
Constantin-Mora, art-thérapeute analytique en Dordogne
Le
texte qui va suivre ne prétend pas décliner une réponse théorique à la pratique
de l’Art-thérapie, mais cherche à la situer dans une pratique de soin, la
distinguant sans s’y opposer, des pratiques d’animation, d’éducation ou de la
pédagogie. Il est librement inspiré de certaines expériences vécues, revisitées
par le filtre de ma subjectivité pour tenter de trouver une cohérence entre ce
que je fais, ma pratique, ma recherche professionnelle et les remous provoqués
par ce mot quand je le prononce…
… « ART-THÉRAPIE »…
N’avez-vous jamais ressenti comme ce mot laisse place à un lourd silence, comme
retentissent les invectives assourdissantes de ses détracteurs, ou ce regard
d’incompréhension gêné de ne pas savoir, qui, dans un souffle ose un … « Mais qu’est-ce que c’est ???... »
Encore une de ces pseudo-thérapie à la
mode ! Comme me le laissait entendre Mme La Présidente d’une association
pour les personnes handicapées : « Oh !
De nos jours, tout le monde est thérapeute !! Ce qui n’enlevait rien
aux coordonnateurs de l’Education Nationale : « Non merci, on a déjà tout ce qu’il nous faut !! ». Bref,
allez vendre votre camelote ailleurs, ici nous n’avons que des gens qualifiés
pour faire la même chose que vous !!! Des gens sérieux qui ne prétendent
pas soigner avec des pinceaux et de la peinture. Ça, c’est de l’animation, du
loisir, un jeu d’enfant ! Et d’ailleurs, quel serait votre statut ?
Et
moi de penser à cette phrase : « Entre l’enfant curieux, inventif, passionné et l’adulte gourmé,
traditionnel, incapable de s’évader de son cadre de pensée, de ses préjugés et
de ses interdits, il a dû se produire quelque chose de grave. »[1]
L’art-thérapie est aussi méconnue
auprès du public. Au téléphone : « Je vous passe Madame Constantin-Mora, ergothérapeute ? »
« ?...Euh…non madame…,
art-thérapeute », « … ». Ou des réactions aux mots
« art » et « thérapie » : de « jenesuispasfou » à « à l’écolejen’aijamaissudessiner ».
En résumé des réactions à la fois
cocasses et irritantes auxquelles je me suis confrontée depuis que je suis
lancée dans l’art-thérapie en profession libérale… et même avant, (du temps où
j’étais éducatrice spécialisée…)
Alors… Est-ce
que j’ai toujours LA réponse aux
questions et un argumentaire en béton ? Non. Est-ce que je remise ces
remarques sous le tapis et continue mon chemin comme si de rien n’était ?
Non, plus. Parce que ces remarques ont malgré tout en commun d’être justes. On
trouve de tout et son contraire sous le terme d’art-thérapie. Actuellement,
c’est vendeur, mais...NON,
elle n’est pas réductible à un livre de coloriage. Alors, j’ai commencé à aller
à la rencontre « des gens » pour dire ce que je fais et comment je le
fais, y compris en constatant le flou artistique dans lequel nous met le mot « Art-thérapie »
et en informant aussi sur les principales écoles et universités qui dispensent
des formations.
En effet, ce mot, quand il
est prononcé, semble porteur d’un double procès : celui de l’Art et celui
de la Thérapie. Mais c’est à mon avis, oublier ce petit signe, le tiret, qui ne s’entend pas à
l’oral, mais qui pourtant tient bien une place de médiation entre les moyens
issus du domaine artistique et l’intention assumée de leur usage thérapeutique.
Il symbolise pour moi, ce qui unit et sépare l’Art et la Thérapie, renvoyant ce
concept à la théorie de la transitionnalité, où cette pratique s’origine,
s’originant elle-même dans la théorie psychanalytique.
Anne Brun[2]
nous le rappelle, D.W. Winnicott, Marion Milner et Mélanie Klein en sont les
précurseurs. «C’est le constat de l’impossibilité de travailler exclusivement à
partir du registre verbal qui a motivé l’appel aux médiations artistiques au sein
de la thérapie analytique des enfants et des psychotiques ».
Cette phrase ne me permet pas pour
autant d’opposer une pratique non verbale que serait l’art-thérapie à celle
fondée sur la parole que serait le modèle de la cure analytique. Corps et parole
sont liés dans un même mouvement par le langage. Y compris dans la cure
analytique, le corps est mis à contribution dans ses maux à travers la parole
et l’impossible à dire, à penser, à ressentir... Mais ce que j’entrevois, ce
sont des thérapeutes qui constatent leur non savoir y faire avec les symptômes
des patients et qui inventent, créent un mode d’accès vers et à partir de ce
qui fait la singularité de cet autre.
Ce
sont bien les sujets en souffrance qui orientent les découvertes et recherches
thérapeutiques et non l’inverse. Et les
symptômes changent à mesure que change la société.
"On
n'a jamais rien fait grandir avec des principes. On ne fait pas pousser une
fleur avec des idées sur la botanique mais avec de l'eau, de la lumière et de
la
patience, beaucoup de patience, au jour le jour. On transmet à un enfant ce
qu'on est - jamais ce qu'on croit qu'il faut être.
On est élevé par des gens qui ont été enfants : c'est donc leur enfance à eux qui nous élève".[3]
On est élevé par des gens qui ont été enfants : c'est donc leur enfance à eux qui nous élève".[3]
Nous sommes dans une société qui se soucie beaucoup de
l’enfant : petits caddies au supermarché, rythmes scolaires… Mais placez
un adulte devant une feuille de papier et il ne sait plus... Enfin…ne sait pas.
Il dit qu’il ne sait pas s’il ne sait plus ou ne sait pas, bref, il
s’emberlificote les pinceaux dans cette trouille qui le lie au regard de
l’autre. Pourtant, ne dit-on pas à un interlocuteur familier qui semble ne pas
comprendre notre discours : « Tu veux que je te fasse un dessin ? »
Chiche ! Un dessin comme langage, comme une passerelle possible entre
l’autre et moi, en dehors du code de la langue.
Quand un enfant nous donne un dessin, n’est-ce pas l’acte de donner plutôt
que le dessin lui-même qui nous donne ce sourire béat de gratitude. Cependant,
quand nous portons notre regard vers le contenu du dessin lui-même, notre
expression risque de se transformer car il fait apparaître l’intention de l’enfant
qui nous est destinée à travers des symboles.
Et
oui ! L’adulte peut parfois sourire jaune quand il se découvre lui ou une
situation familiale sous les traits de son chérubin. Chérubin a souvent très
bien pressenti ce qui se passe sans qu’aucune parole ne lui ait été dite. De là
à ce qu’on lui oppose une fin de non-recevoir, il n’y a qu’un pas.
Ce « non-recevoir »,
les patients qui viennent consulter en art-thérapie l’ont bien perçu et cette
sensation, restée gravée en eux demeure en attente. En attente d’un autre qui
les voit, les
entende, les accueille de façon inconditionnelle, en recherche du grand amour,
déçus par l’amour, souffrants au travail, en quête de reconnaissance... Ce
malentendu, structurel du sujet qui parle, se transforme au fil des années, pour
certaines personnes, en mal à dire. Un mal à dire intraduisible avec des mots
car il a pris corps bien avant l’acquisition du langage. «Le malentendu est déjà d’avant. Pour autant
que dès avant ce beau legs, vous faites partie, ou plutôt vous faites part du
bafouillage de vos ascendants.»[4]
Par
l’entremise d’un jeu avec la matière, l’art-thérapie propose des moyens de
formulation métaphorique et métonymique de ce que les mots ou la parole sont
impuissants à traduire. Le premier usage de l’art en art-thérapie ne serait-il
pas la poésie ? L’écoute poétique du patient. Se laisser imprégner de son
style de dire, des images, des signifiants utilisés, juxtaposés ou dans les
liens qui les unissent. Et se laisser
aussi imprégner de son geste et du processus créatif qui le transforment en
acte.
[1] (Demory, 1984, p. 59), citation extraite du texte «
L’Art-thérapie : un espace favorable à la résurgence du potentiel créateur. »
René Bernèche Pierre Plante, paru dans la Revue québécoise de psychologie
(2009)
[2]
« Manuel des médiations thérapeutiques » Edition DUNOD 2013
[3] Christian Bobin,
« La merveille et l’obscur » Édition
Paroles d'Aube
[4] J. Lacan, Le
malentendu, 10 juin 1980, in Ornicar n°23, cité dans un article du site
paris-psychanalyste.fr