Curieusement, un quatrième épisode vient se rajouter à notre trilogie, qui par enchantement devient une oeuvre collective ! Merci à toi Adeline pour cette polyphonie algérienne qui pense ma déchirure faite d'exclusion, de rejet, d'incompréhension pour l'Etranger.
Adeline YZAC est auteure, elle anime des chantiers d'écriture à Montpellier.
Son site : http://adelineyzac.wordpress.com/
Je me suis laissée rêver autour des cinq lettres et de leur petit tiret. Locution anodine au demeurant.
En un, là-bas désigne un lieu éloigné, situé à une distance plus ou moins grande du lieu d’où je parle.
En deux, c’est tel pays étranger dont il est inutile de préciser le nom, chacun dans le présent d’une conversation sait duquel il est question, « Là-bas, c’est le berceau de la corrida ».
Il suffit d’une écoute attentive de la locution et j’entends comment est nommé tel pays sans qu’il le soit par son nom, en creux, comment la langue opère un petit glissement, comment, en quelque sorte, un sobriquet vient en surplomb.
En trois, dans la bouche de certains, Là-bas, c’est le pays éloigné ou disparu, et soi exilé – volontaire ou pas. « Là-bas, je n’avais jamais parlé français ». Je suis là et il y a maintenant cet autre lieu rendu bas. Passé par en dessous. Ce qui renvoie au sens premier et vieilli de là-bas. Qui signifiait, au départ, « au-dessous, en un lieu situé au-dessous, autrement dit là en bas, en un lieu situé plus bas ». Ce bas, renvoie-t-il à une relégation ? A quel territoire ? La mémoire ? Le souvenir ? L’inconscient ? Le lieu d’avant la parole et l’écriture ? L’au-delà d’un traumatisme ?
Si certains disent là-bas et non pas Espagne, Algérie, Syrie, Bretagne, Ethiopie, …, cela veut-il dire que le pays a été poussé par les faits hors du champ du quotidien, au second rang, à distance ? Là-bas, formule également vieillie, désigne l’Enfer, le séjour des morts, par opposition à la vie terrestre. Et je retrouve ce qui est évoqué dans la bouche de ceux et celles qui nomment l’Algérie de la sorte. Là-bas : l’exil d’une terre, l’enfer de la douleur, de la nostalgie, de la perte. De l’impossible consolation parfois. L’irréparable à eu lieu. Il reste des miettes, quelques petites lettres. Dire là-bas, c’est tendre les bras de toutes ses forces, et les yeux, et le cœur, par delà l’ensevelissement, vers ce qui a été. Là-bas, renvoie à une disparition - me vient le mot aphanisis. Un pays a fondu, comme un être, c’était un ici, c’est devenu un là-bas.
Le pays et soi, on a plongé ensemble. Le pays tel qu’il était, disparu, il reste la langue, la parole, les mots, une locution. Là-bas, c’est bref, c’est court, c’est minuscule, c’est ratatiné, c’est discret, ça suggère que le pays n’est plus, c’est fini, c’était avant, c’est bien ça, ça n’est plus, ça a échappé, ça a filé entre les doigts mais pas tout à fait non plus puisqu’une locution en atteste l’existence et qu’on peut se loger là, s’abriter sous le mot, s’y lover, y trouver son gîte. Et voici que ça signifie peut-être qu’on accepte que ce soit une histoire finie… Là-bas, quel bel édifice, un pays tout entier contenu sous son toit, des vécus, des êtres, un monde. Là-bas, c’est une nomination : la disparue, la défunte, a un nom unique et propre, là-bas. Cinq lettres la contiennent et la prolongent. A l’abri sous la locution, Là-bas, qui est de l’ordre de la condensation et de la polysémie, chacun s’autorise et y va de sa parole. Là-bas… cinq petites lettres et c’est la fête, la joie, l’éclat, l’évocation, les récits, le mouvement, le rire.
Entre là et bas, se tient le petit pont du tiret, important le tiret, l’alliance du tiret qui fait toute la force, tout le soutien et l’équilibre.
Adeline YZAC est auteure, elle anime des chantiers d'écriture à Montpellier.
Son site : http://adelineyzac.wordpress.com/
Là-bas
[laba]
Je me suis laissée rêver autour des cinq lettres et de leur petit tiret. Locution anodine au demeurant.
En un, là-bas désigne un lieu éloigné, situé à une distance plus ou moins grande du lieu d’où je parle.
En deux, c’est tel pays étranger dont il est inutile de préciser le nom, chacun dans le présent d’une conversation sait duquel il est question, « Là-bas, c’est le berceau de la corrida ».
Il suffit d’une écoute attentive de la locution et j’entends comment est nommé tel pays sans qu’il le soit par son nom, en creux, comment la langue opère un petit glissement, comment, en quelque sorte, un sobriquet vient en surplomb.
En trois, dans la bouche de certains, Là-bas, c’est le pays éloigné ou disparu, et soi exilé – volontaire ou pas. « Là-bas, je n’avais jamais parlé français ». Je suis là et il y a maintenant cet autre lieu rendu bas. Passé par en dessous. Ce qui renvoie au sens premier et vieilli de là-bas. Qui signifiait, au départ, « au-dessous, en un lieu situé au-dessous, autrement dit là en bas, en un lieu situé plus bas ». Ce bas, renvoie-t-il à une relégation ? A quel territoire ? La mémoire ? Le souvenir ? L’inconscient ? Le lieu d’avant la parole et l’écriture ? L’au-delà d’un traumatisme ?
Si certains disent là-bas et non pas Espagne, Algérie, Syrie, Bretagne, Ethiopie, …, cela veut-il dire que le pays a été poussé par les faits hors du champ du quotidien, au second rang, à distance ? Là-bas, formule également vieillie, désigne l’Enfer, le séjour des morts, par opposition à la vie terrestre. Et je retrouve ce qui est évoqué dans la bouche de ceux et celles qui nomment l’Algérie de la sorte. Là-bas : l’exil d’une terre, l’enfer de la douleur, de la nostalgie, de la perte. De l’impossible consolation parfois. L’irréparable à eu lieu. Il reste des miettes, quelques petites lettres. Dire là-bas, c’est tendre les bras de toutes ses forces, et les yeux, et le cœur, par delà l’ensevelissement, vers ce qui a été. Là-bas, renvoie à une disparition - me vient le mot aphanisis. Un pays a fondu, comme un être, c’était un ici, c’est devenu un là-bas.
Le pays et soi, on a plongé ensemble. Le pays tel qu’il était, disparu, il reste la langue, la parole, les mots, une locution. Là-bas, c’est bref, c’est court, c’est minuscule, c’est ratatiné, c’est discret, ça suggère que le pays n’est plus, c’est fini, c’était avant, c’est bien ça, ça n’est plus, ça a échappé, ça a filé entre les doigts mais pas tout à fait non plus puisqu’une locution en atteste l’existence et qu’on peut se loger là, s’abriter sous le mot, s’y lover, y trouver son gîte. Et voici que ça signifie peut-être qu’on accepte que ce soit une histoire finie… Là-bas, quel bel édifice, un pays tout entier contenu sous son toit, des vécus, des êtres, un monde. Là-bas, c’est une nomination : la disparue, la défunte, a un nom unique et propre, là-bas. Cinq lettres la contiennent et la prolongent. A l’abri sous la locution, Là-bas, qui est de l’ordre de la condensation et de la polysémie, chacun s’autorise et y va de sa parole. Là-bas… cinq petites lettres et c’est la fête, la joie, l’éclat, l’évocation, les récits, le mouvement, le rire.
Entre là et bas, se tient le petit pont du tiret, important le tiret, l’alliance du tiret qui fait toute la force, tout le soutien et l’équilibre.
Publié avec l'autorisation d'Adeline YZAC