jeudi 3 avril 2014

Arno STERN aux nues par Guy LAFARGUE (opus 1)

Voir un jour Arno STERN occuper, en toute familiarité au bras d’une adepte - Karine HEBERT - les pages d’un blog d’art et thérapie me place en état de sidération profonde.
Merci à Jean-Louis Aguilar de son ouverture à 360°. C’est bon pour la diaspora.

Arno STERN, le pourfendeur des artistes, des enseignants, des psys, des thérapeutes de toutes zobédiences…affiché dans la vitrine des zartérapies relevait de l’imprévu total. Il est donc là, sans doute avec son accord, et c’est tant mieux, Parce que c’est un sacré bonhomme que cet homme-là, têtu, inoxydable, mère-poule, qui a conduit une guérilla intransigeante à la Don Quichotte contre l’éducation nationale et tous les lieux de conformisme et de stérilisation culturels et artistiques.

Dans mon parcours de création de l’institution Art CRU et du modèle praxique des Ateliers de l’Art CRU, je dois beaucoup à l’expérience pédagogique d’Arno STERN et à la structure de son atelier d'éducation créatrice. Le renforcement italique du terme "éducation" marque clairement la ligne de partage entre les choix méthodologiques d’Arno Stern et ceux qui présideront à l'institutionnalisation progressive des pratiques originelles des Ateliers d'art CRU, sous les termes d' ateliers thérapeutiques d'expression créatrice analytiques ©

J’ai une considération profonde envers cet homme singulier - Arno STERN - et je lui voue depuis le début de ma carrière une fidélité soutenue à travers le temps (depuis 1969) malgré quelques bourrasques idéologiques sporadiques que j’ai pu déclencher auprès de lui ou de quelques uns de ses adeptes.

Cette estime profonde s’enracine dans sa pensée à la fois révoltée contre une pratique de l’éducation et de l’enseignement soumise à l’impérialisme de la culture artistique, contre ses perversions dans l'éducation nationale et dans l’univers psy; dans sa création pédagogique résolument innovante de son Atelier du Closlieu ; dans la conduite de ses travaux de chercheur sur le processus de la “formulation” et dans sa philosophie de l'éducation créatrice.L’ensemble de ses réalisations et de son travail de pensée sont pleinement actuels, incontournables, toujours neufs et vivants.

Lorsque j’ai rencontré en 1969 les premiers écrits d’Arno STERN, j’étais déjà profondément engagé au plan universitaire dans une filiation psychosociologique et analytique d’orientation Rogerienne. Mon travail de création pédagogique et de réflexion sur l’expérience créatrice et sur la relation analytique était déjà profondément nourri aux travaux de Carl ROGERS. J’avais déjà en partie forgé mes premiers outils de pédagogie non directive dans ce qui se pratiquait à l’époque sous le nom de “dynamique de groupe” (encore nommée “groupes de diagnostic”), auprès des étudiants de psychologie et de sociologie de l’Université de Bordeaux et auprès des étudiants de l’Institut de formation des éducateurs spécialisés. Pour ce qu’il en était de l’accompagnement du sujet dans un processus de développement respectueux de la personne, Carl ROGERS et Arno STERN constituaient un tandem terriblement excitant et efficace : l’un dans le domaine de l’écoute et de la parole, l’autre dans le domaine de l’invitation æsthétique. L’un et l’autre m’apportaient une satisfaction profonde chacun dans leur territoire : et par leur complémentarité et par l’harmonie de leur représentation du monde de la création de Soi.
Ma vie entière, aussi bien personnelle que professionnelle, a été précipitée dans l'aventure créatrice à partir de ma rencontre avec les premiers livres(1), d’Arno STERN et de l'entrevue qu’il m’avait accordée à Paris, il y a quarante six ans aujourd'hui dans son ancien Atelier connu sous le nom d’Académie du jeudi ; et de la qualité de l'expérience de deux années vécue chez son élève de Bordeaux, Marie-Annick MORIER ; et du rôle que j'ai moi-même ensuite joué dans son Association Girondine d'Éducation Créatrice (dont j'ai été un temps le président) qui a été le tremplin de mon engagement comme thérapeute en psychiatrie à l’automne 1972.
(1) “Réflexion entre éducateurs”,” Lʼexpression ou lʼhomo vulcanus” et son “Initiation à lʼéducation créatrice”.

Depuis 1975, année de naissance de mes premiers Ateliers d’Expression dans le champ de la formation permanente, j'ai été, auprès de mon public, un passeur fidèle et exigeant de sa pensée pédagogique, de sa conception du processus de l'expression créatrice qui ont été, dans mon propre parcours, un point de départ et une référence intangible, consistante, et qui le demeurent aujourd’hui.

Dans mon travail de formateur, j'ai toujours profondément respecté ses travaux et concouru de façon positive à le faire connaître dans les groupes de formation, tout en précisant ce qu'il en était de mes choix praxiques, en tension dialectique avec ceux d’Arno STERN. Comme on le dit des alpinistes, j'ai ouvert une nouvelle voie, m'appuyant sur un certain nombre de ses principes éprouvés, mais visant un autre sommet, encore inexploré. Notre point commun fondamental étant avant tout une conception du sujet humain et de son développement heureux dans le jeu de la Création.

J'ai expérimenté, tout au long de mes quarante années d’aventure professionnelle, le bien-fondé de sa théorie dynamique de l'Éducation Créatrice lorsqu’elle était appliquée au domaine du soin analytique. La problématique de la sémiologie de la formulation qui aujourd’hui préoccupe de façon très importante sa pensée n’était pas encore au point de maturité où elle se trouve aujourd’hui. Je n’y ai pas personnellement d’attachement.Le mien est entièrement occupé des rapports entre l’expérience créatrice et la relation analytique (qui sont selon lui hors champ), à la fois comme créateur engagé aujourd’hui dans un projet artistique, comme analyste/thérapeute capitalisant depuis plus de 40 ans les fruits d’une expérience totalement a-typique, et comme théoricien “expériencialiste” en travail de transmission des connaissances que j’ai acquises.

 A partir de mon implication dans la problématique du soin analytique (à partir de 1972) et dans celle de la formation, j'ai construit un autre modèle, inspiré de son dispositif, puissamment opérant auprès de personnes en grande détresse affective, pour lesquelles j'ai mis en chantier ma propre institution que j’ai nommée “Art CRU”. 

Pour ces personnes en souffrance profonde et en réelle demande de soin analytique, j'ai choisi d'ouvrir le cadre de l'Atelier à la dimension de la Parole, qui n'est en aucune façon assimilable à du commentaire de texte, ni à de l'interprétation des productions. La pratique de la Parole dont je parle, à laquelle Arno STERN oppose une fin de non recevoir catégorique, porte sur l’élaboration de l'expérience vécue par chacun dans le cours du jeu de création aux plans affectifs, émotionnel, psychique et mnésique, dans le mouvement même de leur émergence. Nous aurons peut-être là une occasion de partage au travers de ce blog :
asso.arat@gmail.com ou http://blogarat.blogspot.com

Les idées fondamentales d’Arno Stem sur les conditions de développement du processus expressif dans l'espace de l'éducation créatrice se sont avérées particulièrement fécondes dans le champ analytique. Elles sont en synergie profonde avec les conceptions Rogeriennes de la conduite du développement de la personne : 
 - non-directivité vis-à-vis du processus d'énonciation æsthétique tel qu’il se développe spontanément dans l’atelier,
 - abstinence d'évaluation morale ou de jugement esthétique sur la production, 
 - abstinence de toute interprétation des contenus explicites ou latents de la création, 
 - centration sur l'acte créateur et non sur l'œuvre, 
 - clôture protectrice de l'atelier par rapport au monde extérieur. 

Dans mon "transfert" de ce modèle à la situation de travail analytique dans le champ du soin à la personne et dans celui de la formation qualifiante des animateurs/analystes, j’ai fait immédiatement l'expérience d'un recouvrement harmonieux de cette structure avec les règles fondamentales propres au cadre thérapeutique. L'intégration simultanée de ces deux modalités, æsthétique et thérapeutique au cadre analytique, m’a très rapidement conduit à percevoir que les structures propres à ces deux espaces étaient porteuses d'une belle 
promesse de synergie réciproque entre l'influence Rogerienne et l'outil esthétique Sternien. 

A l' espace de la communication analytique, placé sous le primat de la parole et de la communication verbale propre à la discipline Rogerienne, la perspective Sternienne confère à la formulation picturale à l' œuvre dans l'expérience créatrice, le plein statut d'une parole. Elle venait à mes yeux inscrire dans le champ des savoirs constitués, des modes de pensée fondamentaux que la psychanalyse, en particulier dans ses dérives les plus intellectualisantes, avait bannis du commerce thérapeutique.

A l' espace de la formulation plastique Stemienne, fonctionnant sur un mode "circulaire" (narcissique et close sur elle-même), la perspective Rogerienne apporte l'ouverture de l'expérience créatrice à une possible mise-en-parole comme travail intime du sujet dans l’énonciation/révélation des processus psycho-affectifs qui constituent la matrice de l'acte créateur. Cette modalité de la parole analytique, lorsqu’elle est rigoureuse, réduit totalement l'écueil de l' interprétation réductrice des œuvres à juste titre dénoncée par Stern. Elle desserre les mailles inhérentes à la visée éducative qui empêchent toute mise en contact entre perception et signifiants originaires. La mise en parole de l'expérience vécue favorise la connexion entre les strates affectives, le jeu langagier, la méta-communication et les puissants effets d'expression émotionnelle à l'œuvre dans toute expérience créatrice authentique.

Le discours d'Arno Stem est totalement réfractaire à ce point de vue synergétique.Dans ses ouvrages,comme dans ses conférences, il fait de la clôture narcissique une véritable idéologie. Il défend, souvent avec une certaine virulence,une pureté doctrinaire inflexible à l'encontre de tous ceux qui sont engagés dans une recherche comme celle que nous conduisons. Pour Arno Stern, il semble définitivement exclu que des psychothérapeutes, des artistes et des enseignants, du fait même de leur "marquage" social et de leurs rôles, puissent comprendre quoi que ce soit au maniement de l'expérience créatrice à des fins de soin et de croissance de la personne. Il y a là une position de suspicion insoutenable, qui rend difficile une véritable co-élaboration.

Je me trouve donc vis à vis d'Arno Stern, dans une position assez paradoxale de filiation méthodologique clairement affirmée, respectueux de l' œuvre d'un maître, et de dissidence avérée. Je suis porteur fidèle d'une transmission exigeante de sa pensée et des principes de sa pratique, mais je conduis avec détermination un examen critique de son idéologie; je récuse la fermeture de son système de justifications de l'exclusion radicale des dimensions affectives du travail de la création.

Il y a, dans l'œuvre écrite de Stern et dans ses exposés publics, absence de toute considération pour cette thèse fondamentale selon laquelle, à l'origine de l'expérience créatrice, il y a les traces mnésiques toujours agissantes de la construction subjective de sa personnalité. Il y a chez lui un déni vigoureux de la dimension affective et des contrecoups émotionnels et psychiques, qui n'existent pas, dit-il, dans ses ateliers. Cela est bien naturel, puisque dans la structure elle-même en sont abolies par avance les possibles manifestations. Pour Arno Stern, l'acte expressif est la traduction de pures sensations, indemnes d’affects, inscrites dans une mémoire organique. Il invoque aujourd'hui une programmation génétique de la formulation sans qualité historique et sans singularité, concepts dont il célèbre la pureté archétypale immuable au détriment de la prise en compte des forces affectives à l’œuvre dans le processus de la formulation., celles précisément avec lesquelles nous travaillons en tant qu’analystes/thérapeutes, et qui se déploient de façon luxuriante dans nos espaces, parce que le cadre les y autorise.

Pour Stern, on pourrait affirmer que la pulsion métamorphique n’existe pas. Selon lui, la représentation picturale ne se soutiendrait que d’une pure mécanique chromosomique - la formulation - qui aurait pour seule fonction l’obéissance aux déterminations génétiquement programmées du tracé, qui seule fait jouissance dans sa perpétuation éternelle dans le jeu immuable du tracé. Là où moi-même je soutiens la prévalence de la transformation des affects en représentations comme fonction majeure du développement harmonieux de la personne. Métamorphisme rendu possible par le jeu du tracé dont Stern a fait une sémiologie rigoureuse. 

J’ai donc pris le parti : 
• De me servir de la structure/atelier et des règles fondamentales inventées par Stern, parce qu'elles sont opératoires dans notre propre espace de travail. 
• D'assurer, avec une fidélité optimale, la transmission à mes étudiants de la construction du cadre et du dispositif de l’Atelier d’Éducation Créatrice selon les principes pédagogiques essentiels élaborés par Arno Stern. 
• D'expliquer pourquoi j’accorde à deux des règles de son Atelier une valeur opératoire relative, de mon point de vue : celle, optionnelle, du lieu hermétiquement fermé sur l’extérieur (pas de fenêtre), car l'a priori de la fermeture totale a, selon moi, un fondement fantasmatique autant que fonctionnel; et celle de la propriété effective des productions par les personnes pour laquelle je considère que c'est au sujet lui-même de fixer, à la fin du contrat qui le lie à l'Atelier, s'il emporte ou laisse son classeur. 
En outre, j’introduis une innovation fondamentale, totalement exclue de l’univers sternien avec l'ouverture d'un temps d’élaboration de l’expérience vécue en deuxième partie de chaque séance d'Atelier, consacré à la formulation verbale de tout ce que la personne éprouve le besoin de communiquer de l'expérience subjective - affective, émotionnelle, psychique, mnésique - liée à son engagement dans le jeu créateur. 
                Expérience créatrice / photo Guy Lafargue / Atelier Argile vivante