« 200 » [Billet de banque], encre sur papier © Sammlung Prinzhorn Heidelberg
Après l’escalier baigné de lumière de l’appartement où vivait Victor Hugo, place des Vosges, le visiteur pénètre au premier étage dans la pénombre de l’exposition La folie en tête, un brin dérouté. D’abord par l’obscurité soudaine mais surtout par les œuvres de patients atteints de troubles mentaux. Quatre psychiatres, pratiquant l’art-thérapie – une méthode visant à soigner les malades par l’expression artistique – ont regroupé ces créations longtemps dénigrées. « Ces patients n’étaient pas considérés comme des artistes, dépendaient d’un tuteur et n’avaient même pas d’existence légale », raconte Barbara Safarova, commissaire de l’exposition.
Les productions des malades psychiatriques étaient détruites jusqu'au XVIIIe siècle. « Ils n’avaient accès qu’à un crayon par semaine jusqu’au jour où l’on a réalisé que leurs œuvres pouvaient avoir une valeur esthétique », explique-t-elle. Dans les années 1930, cet art est considéré comme un symptôme de « dégénérescence » par les nazis. L’artiste français Jean Dubuffet est l’un des premiers à s’y intéresser. Il invente le terme d’art brut en 1945 pour désigner cet art des fous et des marginaux. Aujourd'hui encore, certaines de ces créations sont jetées, faute de place pour les stocker.
La république des coqs dans le soleil a donné dîner et danse sans déguisement, August Klett.
Reproduire un système
Les dessins et les aquarelles côtoient des broderies ou encore des objets en carton. « A l’origine, vers 1880, ces ateliers servaient à fabriquer des choses utiles censées les aider à se réinsérer dans la société. Mais les patients se sont mis à créer toutes sortes d’objets avec les outils qu’ils avaient sous la main », informe Barbara Safarova. Les médecins ont d’abord gardé les dessins pour comprendre les troubles dont souffraient les patients. « La plupart ont été retrouvés dans les dossiers médicaux. »
Sozialist, Karl Schneeberge, 1922. © Psychiatrie-Museum, Berne
Les paysages des premières salles suscitent une impression de sérénité. Certains malades ont représenté leurs maisons de santé, d’autres des scènes de voyage. Les traits sont réguliers et les couleurs douces. Rien ne laisse percevoir au premier abord de quelconques troubles. Mais l’univers se fait rapidement sombre. Des écritures fines, comme névrosées, parsèment par endroit les productions. « Ils déconstruisent les codes. Ces œuvres sont des sortes de journaux intime. Ils utilisent des collages, des écritures, différents matériaux car ils n’ont pas de formation académique », commente la commissaire, passionnée par l’art brut. Les personnages aux yeux exorbités contrastent avec les animaux représentés de façon enfantine. Les univers sont aussi différents que les souffrances des patients.
Sans titre, Else Blankenhorn. ©Sammlung Prinzhorn Heidelberg.
La religion, la guerre, sont autant de thèmes que l’on retrouve dans les œuvres. « Ils ne sortaient jamais. Ils cherchaient de nouveaux systèmes pour remettre de l’ordre parce que tout s’était effondré autour d’eux. » Ainsi, Jules Léopold, né en 1859, atteint de « paralysie générale avec excitation intellectuelle incohérente » se considérait comme un nouveau Jésus Christ. Dans son œuvre, Le crucifié, « il s’auto-représente avec l’idée qu’il va sauver le monde ».
Broderie anonyme, collection abcd / Bruno Decharme.
Infos pratiques :
Maison de Victor Hugo, 6 Place des Vosges 74004
Du mardi au vendredi : de 10h à 18h
Plein tarif : 8 € Tarif réduit : 6 €
Marie Briand-Locu