Je
ne sais si j’ai déjà mis sur ce blog quelque chose de Lucien Bonnafé
mais, au contact de ses écrits j’ai appris la radicalité. Ce texte court
me semble symbolique de sa démarche. Comme toujours la quête du sens
impose une cassure dans la syntaxe classique qui est malheureusement la
mienne, ce qui rend la lecture de Bonnafé un peu ardue. Il ne se bat pas
pour le plaisir de la forme, mais pour le plaisir de la dialectique qui
globalise la pensée quand de phrases en phrases nous la saucissonnons.
JP Damaggio
A propos d'électrochoc (22 février 1999, L'Humanité)
Par LUCIEN BONNAFÉ Psychiatre.
« N'oubliez pas l'oubli » Sigmund Freud
ON
lit dans «l'Humanité» du 13 février une curieuse intervention, signée
d'un médecin qui n’est sûrement pas d'âge à parler d'électrochoc
autrement que par ouï-dire. Il s'agit d'un modèle exemplaire de « parole
déversoir», quand on parle de ce que l'on connaît le moins avec le plus
d'autorité pour sortir ce qu'on a sur le cœur et l'estomac.
L'électrochoc atteint le «Moyen Age» dans l'illustration de ce modèle
mental. Comme il est d'usage de parler du «Moyen âge» pour esquiver les
barbaries de notre âge, il est devenu ordinaire de parler de
l'électrochoc comme «barbarie» quand ça sert à esquiver une réalité
historique troublante, les carences de relation humaine dans trop de
pratiques contemporaines.
MAIS
le fait est que la pauvreté contemporaine dans l'application de ce
principe mène à appliquer à un enfant sur six une thérapeutique chimique
contre les cris et les larmes ; et qu'il y a là, côté concurrence avec
la chimie, de quoi éclairer les motifs pour lesquels il faut faire
précéder par une anesthésie chimique l'application de l'électrochoc, qui
est lui-même un fort anesthésiste ; ce qui va avec le fait qu'il est
tout à fait indolore, réalité « oubliée» dans les manipulations
émotionnelles par la « parole-déversoir ». La vérité historique est que
cette technique efficace qui engendra le premier triomphalisme
psychiatrique, fut presque abandonnée à partir du moderne triomphalisme,
résultant du progrès que furent les chimiothérapies modernes, en 1952 ;
et que ce fut bien longtemps avant l'émergence du climat
antipsychiatrique. Elle était si efficace que, quand on l'appliquait
correctement, dans une relation très épanouissante avec le patient à son
réveil, notre problème était de pallier les demandes excessives des
patients, qui en demandaient trop, tant ça leur faisait du bien. Mais se
servir de l'effet émotionnel du mot «électrochoc» pour ne pas poser le
grand problème contemporain d'une chimiothérapie qui pose d'une façon
plus préoccupante, parce que plus subtile, le même problème,
l'inépuisable question de l'écoute et de l'écho, dans le contexte
relationnel, n'est pas fait pour cultiver les aptitudes des patients à
une efficace relation médecin-malade.
Il
vaut mieux que les usagers de la médecine sachent que, dans toute
thérapeutique, la manière de s'en servir est toujours très déterminante,
vérité qui a son comble en psychiatrie, où les drogues modernes ont une
efficacité variable de façon spectaculaire, selon le contexte. C'est le
même problème que celui de l'électrochoc.
http://la-brochure.over-blog.com/article-bonnafe-et-l-electrochoc-un-electrochoc-112778736.html