Joseph ROUZEL,
Directeur de l’Institut Européen Psychanalyse et travail social (PSYCHASOC).
Cela fait 15 ans que j’ai créé Psychasoc, un petit centre
de formation dans le champ social[1]. La formation est partie inhérente du travail social
au sens où elle produit, outre la mise à niveau permanente des connaissances, des
réajustements et des repositionnements chez les professionnels. On le sait, ce
travail fondé avant tout sur une relation humaine au quotidien, est épuisant,
mais en plus sur le terrain les travailleurs sociaux sont noyés sous des injonctions
souvent contradictoires, tirés à hue et à dia par des directions cédant aux
modèles industriels du management et qui de fait ont perdu… la direction. Ce qui nous oriente depuis le début à
Psychasoc c’est la volonté de maintenir dans le travail social ce qui en
constitue la colonne vertébrale: la clinique, une clinique de la rencontre humaine,
de la relation, sans laquelle les missions qui sont confiées aux établissements
ne peuvent être menées à bien. Le contexte évidemment ne va guère dans ce sens.
Le champ du travail social est miné par des impératifs de production: vous avez
réinséré combien de jeunes délinquants, combien d’handicapés ont
trouvé une place en ESAT ? etc. Rien n’est dit de la nature du travail.
Le chiffre règne en maître. Les évaluations sur lesquelles des cabinets d’audits
et de consulting, des coachs et autres joyeux drilles qui n’ont jamais vu un
usager de leur vie, ont mis la haute main,
portent sur des détails matériels et comptables. L’illusion d’un
résultat mesurable prend à la gorge, alors que parfois ce n’est que des années plus
tard, et parfois jamais, que l’on peut constater la pertinence du travail fourni
auprès de personnes en grande difficulté sociale, psychique ou physique.
Redisons le bien fort: le travail social n’est pas une marchandise. C’est aussi
la raison pour laquelle nous avons demandé et obtenu l’habilitation pour faire
des évaluations externes, sur la base de la clinique institutionnelle.
C’est dans cette perspective, dont des esprits
chagrins me disent que c’est du militantisme, - eh bien oui! -, que j’ai créé ce petit centre de formation,
qui tient bon, arc-bouté dans la tempête, sur le socle de la clinique. Les
formateurs ont tous une expérience approfondie
du terrain.. Il se sont coltiné le travail en institution comme éducateur,
assistant social, chef de service, directeur, infirmier, psychologue, enseignant,
psychiatre ...
Ils ont tous aussi mené des études
supérieures pointues et ont acquis des méthodologies de recherche. Nos points d’appui sont du coté de la
psychanalyse, la psychologie clinique, la psychothérapie institutionnelle, l’anthropologie,
la philosophie… Bref nous avons ouvert un espace où les professionnels qui nous
font confiance depuis 15 ans viennent, comme le disent beaucoup, “se ressourcer”,
retrouver le sens de l’action au quotidien auprès des plus démunis de nos
concitoyens.
D’autre part l’État, qui
lorgne depuis belle lurette sur cette "manne", projette de ponctionner
de
la même façon pour alimenter la formation dans des stages pour les jeunes,
bidons, qui ne sont que la resucée des TUC et autres stages–parkings que nous
avons vu fleurir tout au long de ces 30 dernières années. La question clé n’est
pas abordée: comment créée-t-on des emplois? Il s’agit, on me pardonnera mon
cynisme, de faire diminuer artificiellement le taux de chômage pour remporter
les élections de 2017. Bref les financements pour se former tout au
long de la vie, ce droit acquis de haute lutte par nos aînés, risquent de fondre comme peau de chagrin.
Les retombées sont dramatiques. Pour les salariés et
pour les centres de formation. Alors que plus de 80% des inscriptions dans les
stages se font début janvier, nous ne couvrons même pas la moitié. Conclusion,
si rien ne bouge dans les semaines qui suivent, nous allons devoir annuler des
stages, et au bout du compte mettre la clé sous la porte. Où est ce que ça coince?
Si j’ai bien compris, car il y a de quoi y perdre son latin, il est question
que les formations soient agréées à partir des accords de branche. C’est plutôt
une bonne chose. Nombre de centres de formation érigés en lobbies se conduisent
comme des marchands de soupe. Fort bien, il faut faire le ménage et n‘agréer
que des formations qui produisent des retombées sur le terrain. Mais en attendant,
nous sommes exsangues.
Les OPCA, eux-mêmes dépendants de ces orientations, ne
peuvent nous répondre, ils sont eux
aussi en attente. Nombre de directions d’établissements ont pris la décision de
sursoir à toute demande de formation des salariés. Tout ceci est d’autant plus étonnant
qu’aucune loi n’est jamais rétroactive et que les formations de 2015 sont
financées sur le budget 2014. On devrait disposer de toute l’année pour ajuster
les textes au plus près des réalités. Alors d’où vient cette précipitation?
Qu’est-ce qui se joue dans l’affolement? Tout ceci n’est sans doute pas sans
lien avec la réforme de la formation initiale, qui se discute dans le dos des professionnels.[2] Quand comprendra-t-on que la démocratie signifie
le pouvoir du peuple et qu’à force de ne jamais consulter les professionnels concernés au premier chef,
on produit de la casse et de la désespérance?
[2] Voir le collectif AvenirEDucs, avenireducs@outlook.fr
Mis en ligne avec l'aimable autorisation de Joseph ROUZEL.