Adeline
Gardinier, psychologue et psychothérapeute dans plusieurs institutions
psychiatriques, propose des narrations et des métaphores singulières dans les
entretiens menés auprès de ses patients. L’art de reformuler « l’histoire
de vie » du souffrant, dans une co-construction thérapeutique, constitue
la base des échanges et du processus d’avancée des problématiques traitées.
Les outils d’expression empruntés réfèrent à la vision
systémique et analytique de son auteur. D'où s’origine la force et la
pertinence de ces récits édifiés à partir du matériel psychique proposé par le
souffrant ?
L’individu, en tant qu’élément
inclus dans divers systèmes d’appartenance, est approché dans ses symptômes de
manière surprenante et créative. La dimension originale ne tient cependant
qu’au manque de maîtrise de l’homme sur sa détermination contextuelle et
environnementale. Dans ses recadrages verbaux et imagés, la psychothérapeute
veut simplement transmettre la dimension positive du symptôme « fonctionnel »,
trouvant son sens dans les systèmes dans lesquels il s’exprime. Le souffrant
est défini, dans ses troubles, comme cherchant à maintenir l’équilibre
fragilisé de ses groupes d’appartenance (internes et externes). Il découle, de
ce paradigme central, des narrations non communes de tous les pans de
l’existence du malade.
Le psychothérapeute se présente
alors comme le traducteur de cette fourberie dont le malade, personnage
principal et ses acolytes, sont les victimes. La dénonciation de cet imbroglio,
par un conteur externe de cette scène de vie relationnelle, crée un coup de
théâtre opportun au dénouement de l’intrigue. Sa dimension imprévue, ébranlante
et ouvrant sur un nouveau scénario constitue les clés pour défiger et libérer
les protagonistes des tensions croissantes de cette duperie.
Sur la scène thérapeutique,
l’aidant reformule avec constance le vécu conté par le souffrant en utilisant
la vision globale et interactionnelle de la systémique. L’aidé s’approprie
progressivement ce matériel représentationnel opérant. Il crée ses propres
solutions sur ce mode et cette logique de pensée.
L’interprétation systémique est valorisante et
novatrice dans la mesure où elle fait de ce personnage « le patient » :
le héros sacrificiel de ses groupes d’appartenance. Ainsi, ses comportements
hystériques, psychotiques et autres peuvent être un moyen de dévier et de
porter toute la tension des siens sur ses frêles épaules. Le bruit des
symptômes, au travers de maux somatiques, du délire ou de passage à l’acte du
souffrant s’affiche alors comme un signe discréditant. Il détourne les
projecteurs d’autres acteurs douloureux de la scène environnante
pourtant fort intéressants. Tel patient théâtralise une chute dans les
escaliers, tel autre emprunte le langage inaccessible du fou mais, tous ont
pour script précis la protection des repères antérieurs collectifs dans des
actes insolites. Ceux-ci sont ainsi générés pour court-circuiter l’élan de
métamorphose, encore non assumé, du souffrant.
Les
troubles sont en effet les révélateurs de cette étrange intrigue
contradictoire. Dans le cœur du mélodrame, ils révèlent leur sens paradoxal car
ils dénoncent autant l’impossibilité de continuer à condenser sur soi le stress
groupal que le désir de rester dans ce rôle sacrificiel central. Quelle farce
pour celui dont les maux le tiraillent dans des mouvements opposés !
L’hystérique chute dans les escaliers pour refuser une place relationnelle
dysfonctionnelle mais dans une même synchronie, il s’écroule pour disconfirmer,
par ses actes débordants, la justesse de ce discours. L’épouse dépendante de
son mari amorce, dans une dynamique inconsciente, des comportements volages
pour exprimer un besoin essentiel de se différencier de son compagnon mais dans
une même expression elle entrave toute possibilité de légitimation et d’émancipation
dans la nature grossière de ses comportements sexualisés.
Le soignant est cette figure
morale, faisant une brève apparition sur scène, afin de clarifier les rôles de
chaque acteur dans une plus grande clairvoyance relationnelle. Le retour du
bien–être du souffrant doit, en effet, passer par une nomination des confusions
représentationnelles et par une redistribution des places plus équitables. Restituer
à tous leur part respective de stress, c’est aider chacun à avoir prise sur ses
problématiques car on ne peut élaborer et dénouer que ce qui nous appartient.
Reprendre à son compte les responsabilités d’autrui, faire porter nos
dysfonctionnements à un tiers sont des processus vains car un nœud interne ne
peut se délier qu’au « bon endroit ».
Cette réflexion semble aller de soi mais le théâtre de
la vie quotidienne démontre pourtant que l’homme se trompe souvent dans
l’attribution des implications de chacun. Les phénomènes de projection, de
déni, de clivage et de refoulement participent au biais d’interprétations des
situations. Un peu comme les protagonistes d’une comédie semblent ne pas douter
des intérêts et des positions de chacun durant toute la trame de l’histoire, le patient et son entourage ne
remettent pas en question leurs rôles et leurs non rôles respectifs durant la
période de crise traversée. Pourtant, c’est bien la redistribution des places,
sur la scène imaginaire ou réelle, qui crée l’impulsion tant attendue. Le coup
de théâtre est le simple révélateur du choc vécu par un être humain trop
souvent piégé par ses certitudes. Il se perçoit difficilement traversé par
diverses influences déformant son regard et pourtant !
Le
psychothérapeute provoque, en entretien, cet effet de surprise par un recadrage
de l’histoire de son interlocuteur. Il rappelle ainsi à l’homme qu’il est fréquemment
prisonnier d’une pensée linéaire et figée. Dans une forme de psychodrame, il
invite le consultant à expérimenter et à réfléchir divers jeux relationnels
avec son entourage. L’univers bien établi du consultant, quant à la place de
chacun, perd de sa crédibilité. Il suffit qu’il change ses orientations et il
découvre alors que les membres de son système ne sont plus autant prévisibles
dans leur fonctionnement. Ceux-ci développent de nouvelles défenses, des
symptômes, des comportements et des réactions inattendues. Bref, sa nouvelle
dynamique engendre des mouvements et des positionnements différents dans son
système. Là où les repères restent stables, c’est dans le constat que toutes
ces perturbations, par effet domino, ont pour œuvre commune la préservation de
l’ancienne organisation groupale.
Le récit systémique désengage des
impasses et des peurs du souffrant. Il met en relief le bruit naturel de l’avancement à l’image des
rebondissements assourdissants dans le dénouement d’une intrigue. La révélation
d’un complot, de lourds secrets, de trahisons, de quiproquos, de malentendus,
de malheureux hasards constitue la chute libératrice de tout un scénario devenu
trop pesant et destructurant dans les fictions. Cependant, ce mouvement
profitable s’amorce par une intensité émotionnelle et relationnelle
contraignante. Le souffrant subit ce même vécu paradoxal dans le cœur de la
résolution de ses troubles. Il assiste à une recrudescence de ses maux lors du
dénouement de sa problématique. Ce phénomène s’éclaire sous l’angle de la
systémique. Les résistances internes du malade et de ses systèmes
d’appartenance, à tout changement organisationnel, contribuent à l’accentuation
des symptômes.
Dans sa tentative d’individuation et de rééquilibrage
du stress groupal, le souffrant met en place les défenses adaptées et opérantes
à long terme. Toutefois, dans un premier temps, il attirera sur lui les forces
régressives et les pulsions morbides afin d’entraver toute modification des
repères anciens de ses systèmes d’appartenance. Un nouveau point homéostasique
structurel se mettra lentement en place et estompera, dans la même synchronie,
les peurs et les freins de la transformation. Cette narration éclairée de ce
paradoxe de progression est essentielle pour que le souffrant ne cède pas aux
découragements et qu’il poursuive le chemin douloureux de la guérison. L’art de
transformer son regard sur son histoire et sa
souffrance, de manière structurante, est une œuvre puissante. La connotation positive
des troubles relance la créativité et la narcissisation. Ce sont deux
ingrédients essentiels opérant dans le cadre de l’art-thérapie. Ainsi, ne
pouvons-nous pas aussi associer ces « narrations systémiques et
paradoxales » à une forme d’expression esthétique structurante ?
Ainsi, l’art-thérapie peut s’exprimer dans le potentiel de chaque
histoire de souffrants à devenir l’instrument de guérison de l’autre. Le récit
du temps de crise est inspirant lorsqu’il prend les attraits d’une « muse
systémique » ! Pourrions-nous alors conclure, plus généralement, que
les narrations du constructivisme et du constructionnisme, chers aux
systémiciens, sont des formes de
thérapies présentant les qualités expressives de l’Art-Thérapie ?
Mis en ligne avec l'aimable autorisation de Mme Adeline GARDINIER
Mis en ligne avec l'aimable autorisation de Mme Adeline GARDINIER