mercredi 12 septembre 2018

« L’art est par essence psychopathologique ! »


Introduction :

Depuis qu’homo sapiens a commencé à orner les grottes dans une plastique de décoration, de spiritualité et/ou de chamanisme, l’art accompagne l’humain dans sa destinée, et tout au long de son histoire et en particulier pendant l’Antiquité pour les civilisations grecque et romaine.

Dès l’aube de l’humanité, homo sapiens va chercher à comprendre le mystère de la formation de l’univers, c’est ce que l’on appelle la cosmogonie du grec cosmo (le monde) et gon (engendrer).
Qui me semble-t-il est en relation directe avec la création, ce qui est à l’origine du monde, est permet de le tirer du néant.
Les grecs s’intéressent à l’art mais dans une seule direction celle du beau, pour eux la représentation de l’art passe par ce que l’œil voit !
Aristote, décrit ce qui se passe dans la mise en jeu de l’art, dans le rapport d’un public avec un spectacle en particulier le théâtre, en le nommant catharsis.
La catharsis en grec signifie « séparation du bon d’avec le mauvais », c’est en rapport avec les passions, un moyen de les convertir, selon la philosophie aristotélicienne en rhétorique, esthétique, politique.
À l'ère contemporaine, en psychanalyse, à la suite de Sigmund Freud, la catharsis est tout autant une remémoration affective qu'une libération de la parole, elle peut mener à la sublimation des pulsions.

1. L’Esthétique :
L’esthétique vient du grec esthésie, son contraire c’est  l’anesthésie, la privation de la sensibilité.
L’esthétique au contraire, c’est le plein emploi de la sensibilité, de la sensorialité et de la sensualité. C’est ce qui va transparaître dans l’œuvre d’art et venir nous toucher.
Et, c’est une notion qui est différente du beau.


2. L’Artiste :
J’ai rencontré un artiste qui se nomme Léonardo Pérez Laborde, c’est un réfugié venant d’Amérique du sud.
Il habite à Altea, près d’Alicante en Espagne.
Il me dit ceci : « L’art, ce n’est qu’un jeu ! »
Tiens, on dirait du Winnicott, me dis-je.
Et, il poursuit en disant cela :

"El artista, no es una clase especial de hombre.
Si no que cada hombre es una clase especial de artista !"

Qui pourrait se traduire de la façon suivante :
« L’artiste n’appartient pas à une catégorie spécifique d’homme,
Mais, bien au contraire, chaque homme est une catégorie spécifique d’artiste ! »

Ceci m’aide à comprendre qu’il n’est pas nécessaire de recevoir un don de Dieu, d’être doué, d’être un génie pour être un artiste. Cela permet de désacraliser la fonction de l’artiste.
Nous sommes tous des artistes.

3. L’Art-thérapie :
Mes 3 niveaux de lecture de l’art-thérapie sont :
Les concepts en art-thérapie
Des concepts hétérogènes qui sont modélisés avant tout pour coller à la théorie de ceux qui les emploient.(voir Manuel des Médiations thérapeutiques-Livre d'Anne Brun, Bernard Chouvier et René Roussillon)
L’art-thérapie française :
environ 130 formations par des organismes privés dits "écoles d'art-thérapie", 4 codes de déontologie édités par des associations concurrentes, plusieurs fiches métiers au registre RNCP.
L’utilisation de l’art-thérapie par les art-thérapeutes
Dans le système des soins, du développement personnel, du coaching, du bien-être, de la spiritualité…
Les art-thérapeutes ne se rendent pas compte quand faisant cela ils discréditent totalement l’utilisation et les pratiques de l’art-thérapie.
L’art-thérapie est une psychothérapie à laquelle on a ajouté un temps de production.
Une psychothérapie médiatisée.

Ce qui peut permettre le soin avec l’art, c’est l’utilisation d’un médiateur dans le cadre d’un atelier thérapeutique qui est par définition un espace transitionnel, le thérapeute met alors en œuvre une relation transféro-contre-transférentielle qui permet la mise en jeu du soin psychique.


4. L’Art Contemporain :
Ce sont les liaisons dangereuses de l’artiste, du financier et du fonctionnaire. Et je vous conseille l’excellent ouvrage d’Aude de Kerros, « L’imposture de l’art contemporain » où elle nous parle des compromissions de l’art contemporain avec le marché de l’art, de la finance et du pouvoir !
à lire également :
[blogarat] Le complot de l'art par Jean BAUDRILLARD — 20 mai 1996
[blogarat] Christine Sourgins : « L’art contemporain, c’est la dictature du quantitatif et de l’éphémère »
[Blogart'blogueur] « La spéculation financière détruit l’art comme elle détruit les sols » 7 mars 2016 / Entretien avec Nicole Esterolle.

L’art contemporain aujourd’hui, c’est la vitrine de l’ultra capitalisme, c’est-à-dire le lieu de toutes les spéculations et de toutes les dérives de l’argent.
Comprenons-nous bien, je n’ai rien contre les artistes dits contemporains, qui cherchent à gagner leur vie et, qui adhèrent  au système, pensant qu’ils peuvent eux aussi s’enrichir.
Malheureusement, ce système, c’est le miroir aux alouettes, il est réservé aux riches et aux spéculateurs de la finance.
A propos de système, vous constaterez que le marketing va prendre indifféremment  du coca cola, de la cocaïne, de l’art-thérapie, de la méditation mindfulness, de l’art contemporain, de l’art brut, des armes, de la drogue, des femmes pour en faire un produit qui est vendu sans état d’âme.


5. L’Art Brut :
Je pense qu’il y a ici dans cette thématique de l’art brut, concept inventé de toute pièce par Jean Dubuffet, artiste en panne d’inspiration, une imposture habillement ficelée par un homme de l’art.

A partir de 1945, il a pillé sans vergogne les réserves des hôpitaux psychiatriques pour constituer « Les collections de l’Art Brut »  à Lausanne.
Il a puisé dans l’art des malades mentaux et dans la psychose une inspiration et une liberté que sa position de normopathe ne lui permettait pas d’avoir.

Définition de l’Art brut par Jean Dubuffet :
« Nous entendons par là [Art Brut] des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistiques, dans lesquels donc le mimétisme, contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, ait peu ou pas de part, de sorte que leurs auteurs y tirent tout (sujets, choix des matériaux mis en œuvre, moyens de transposition, rythmes, façons d’écritures, etc.) de leur propre fond et non pas des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode. Nous y assistons à l’opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions. De l’art donc où se manifeste la seule fonction de l’invention, et non celles, constantes dans l’art culturel, du caméléon et du singe».

Jean Dubuffet, tiré de L’Art Brut préféré aux arts culturels, Paris, Galerie René Drouin, 1949.

Jean Dubuffet, oblitère totalement le travail des aliénistes, en particulier celui de Marcel Réja, qui écrit « L’art des fous » en 1907.
Puis en 1922, le Dr Hans Prinzhorn écrit « Expressions de la folie », ouvrage fondateur de la psychopathologie de l’expression et de l’art-thérapie.
Il passe sous silence le travail des surréalistes sur l’inconscient.

L’art est avant tout psychopathologique et je rejoins sur cette question le Dr Robert Volmat qui a publié en 1955 « L’art psychopathologique » suite à  la première exposition internationale d'art psychopathologique à l’hôpital Sainte-Anne à Paris en 1950.

Aujourd’hui, nous voyons comment le malentendu de l’art brut est devenu banal, puisqu’il y a des musées d’art brut dans toutes les villes.
Et qu’il n’y a pas de musées d’art  psychopathologique (sauf à St-Anne-Paris) !

Conclusion :

Vous constaterez que les propositions de l’art brut, de l’art-thérapie, de l’art psychopathologique sont étroitement entrelacées et génèrent une immense confusion dans le public, chez les artistes et les art-thérapeutes.

6. L’art :
Tout en sachant que l’Art en thérapie est un moyen et non un but.
L’Art est un puissant médiateur qui permet l’expression et la révélation de soi, et malgré ce qu’en pensent les artistes en s’appuyant sur le phénomène de la catharsis, l’art ne soigne pas !
Dans le processus artistique, il y a donc deux phases qui me permettent d’identifier la fonction psychique de l’art.

-la fonction de révélation, expression  et révélation de soi, la catharsis
-la fonction de fixation, le sinthome, théorisé par Lacan.

Comme le disait Rimbaud « Je fixais des délires. C’est fixer qui définit la tâche du poète ».

Il ne croyait pas si bien dire puisque que le délire est partie intégrante de  l’acte créateur, et il termine par la fixation chez le poète, mais que l’on retrouve chez tous les artistes.

L’art est par essence psychopathologique parce ce qu’il va permettre une révélation et une fixation de la personnalité dans la névrose.

L’art est par essence psychopathologique parce qu’il va permettre le délire et la création artiste dans la psychose.
Avec la particularité suivante l’artiste est le fils de son œuvre parce qu’il ne peut en assumer la paternité, le signifiant nom du père étant forclos !

L'art psychopathologique préféré à l'art brut !

Discours d'ouverture des 12e Rencontres de l'ARAT, le 9 juin 2018 à Béziers.

Jean-Louis Aguilar-Anton / Art-thérapeute