dimanche 26 mars 2017

Santé mentale : il n’y a vraiment aucune raison de crier « Vive la France »


Paris, le samedi 25 mars 2017 – 

Cette semaine ont été publiées les premières recommandations françaises sur le recours à la contention et à l’isolement en soins psychiatriques. La publication de ces préconisations est tout à la fois révélatrice d’une prise de conscience de la nécessité d’un cadre strict face à des pratiques qui peuvent facilement être l’objet de dérives mais aussi du retard de la France à édicter des règles précises en la matière. Ce phénomène est à l’image de l’attitude des pouvoirs publics vis-à-vis de la prise en charge des maladies mentales en France : à l’aube d’une évolution en profondeur (dont l’installation récente du Conseil national sur la santé mentale est une illustration marquante) et tout en même temps l’héritière de très longues années d’aveuglement et d’immobilisme qui ont construit un fort retard par rapport aux pratiques étrangères.

Alors que la campagne électorale bat son plein et que la santé mentale est loin de faire partie des priorités sanitaires des candidats. Sans oublier la complexité de la prise en charge de la maladie et sa gravité, le JIM donne la parole au Collectif schizophrénies. Celui-ci revient sur la situation qu'il juge déplorable des patients atteints de troubles psychiques graves en France, avant de constater les efforts (timides) accomplis récemment et d’espérer un véritable sursaut.

Par le Collectif schizophrénies*

Comment notre généreuse patrie des droits de l’homme traite-elle les deux millions de personnes vivant avec un trouble psychique sévère ? Citoyenneté, inclusion, égalité…La France n’assume en rien ce qu’elle prône.

« Liberté, Egalité, Fraternité » ? Quelle ironie ! 

Les chiffres sont même affolants : les soins psychiatriques sans consentement ont doublé en 10 ans et 92 000 patients par an sont enfermés contre leur gré (1) . Parallèlement, le recours à la contention et à l’isolement devient massif et se banalise (2) .

Un scandale qui a un versant moins visible : en France en 2017, il faut de l’ordre de 5 à 7 ans pour poser un diagnostic de schizophrénie. Pendant des années, la personne, souvent un jeune, est privée de sa liberté par la maladie : liberté de penser quand il est envahi par les hallucinations ou délires, liberté d'aller et venir quand la peur des autres l'enferme dans sa chambre et sa solitude, liberté d'agir, quand les déficits cognitifs l'empêchent d'établir le plus simple des plans d'action, de vivre, de poursuivre ses études ou de travailler… et ce tant qu’elle n’a pas accès à des soins et accompagnements adaptés.

Mais quand le soin arrive, c’est trop souvent sous la forme de la contrainte où parents et patients sont pris en otage par la psychiatrie publique et acculés à accepter des HDT (« hospitalisation à la demande d'un tiers »). Pour découvrir avec désespoir et colère des pratiques indignes dans bien des cas. Et subir le plus souvent des soins bornés à des prescriptions de médicaments qui transforment les patients dociles en zombies, et les récalcitrants en patients qui rechutent.


Beaucoup de soignants se satisfont d’un patient « calme » qui végète en institution ou à la maison sans projet ni espoir quand le but devrait être le rétablissement et l’inclusion de l’individu dans la vie sociale.

L’adresse d’habitation devient un numéro de loterie

Ce qui existe ailleurs pour toute situation grave de santé (prévention, services d’urgence qui se déplacent, unités de soins intensifs, accueil des proches, et surtout des recommandations et un encadrement des pratiques pour la prise en charge) n’existe pas pour la santé mentale.
Au sein même de la psychiatrie, l’inégalité entre usagers du service public semble érigée en principe : en l’absence de protocoles de soins et de guides de bonnes pratiques, l’adresse d’habitation devient un numéro de loterie. A l’image des taux de soins sans consentement qui varient de 1 à 10 selon les départements, les prises en charge psychiatriques sont totalement disparates en fonction du secteur et guidées semble-t-il par les seules croyances des soignants.

Imagine-t-on le Samu ne pas se déplacer et conseiller d’attendre que ça aille plus mal pour une urgence cardiaque ? Qu’un médecin ne donne pas le diagnostic de Sida parce que cette annonce serait trop difficile à entendre ? Qu’un oncologue propose à l’hôpital des soins inspirés par Rika Zaraï pour soigner un cancer ? Qu’un cardiologue dont les patients enchaîneraient AVC et infarctus continue son activité en toute tranquillité ?
En psychiatrie, rien de tout cela n’est impossible !
Et ce n’est pas sans conséquences.

Avec la densité de psychiatres par habitant la plus élevée d’Europe, et un système de sécurité sociale parmi les plus généreux, la France se place dans le groupe de tête des pays industrialisés pour le taux de suicide (plus de 10 700 suicides, 195 000 tentatives de suicide enregistrées par an), sachant que des troubles psychiques sont présents chez environ 90 % des personnes qui mettent fin à leurs jours. Un taux de suicide qui est par exemple le double de celui de l’Espagne et qu’on ne retrouve que dans les pays où le soleil ne se lève jamais ou bien où les armes à feu sont en vente libre !

Suicide mis à part, les personnes atteintes de schizophrénie connaissent une surmortalité scandaleuse, avec une espérance de vie réduite de 25 ans, du fait aussi de l’absence de soins somatiques. Alors qu’on sait parfaitement qu’elles présentent des risques aggravés de diabète, de maladies cardio-vasculaires ou respiratoires…

On ne compte plus les personnes souffrant de maladies mentales en prison ou à la rue.

Et même les patients vivant à leur domicile, soutenus envers et contre tout par leurs proches, sont le plus souvent synchronisés dans le handicap, gratifiés au mieux de la seule Allocation adulte handicapé (AAH) (une antichambre de l’exclusion)  avec des taux d’emploi dérisoires et une insertion sociale quasi inexistante.

Des oubliés de la fraternité

La schizophrénie touche 600 000 personnes en France et constitue la première cause de handicap des jeunes. A-t-on jamais vu en France la moindre action publique d’information ou de prévention, comme pour la grippe ou les intoxications au monoxyde de carbone ? Non.
La stigmatisation et la discrimination des personnes schizophrènes est gigantesque et générale. Elle ne tend pas à diminuer et se nourrit d’idées reçues erronées. A-t-on jamais vu des campagnes de sensibilisation ? Des actions dans la presse ? Oui… mais pas en France, où les médias et toute la société relaient en toute impunité des clichés aussi faux que destructeurs pour les personnes atteintes (3).

Au moins, pour ces maladies mentales si répandues et si handicapantes, y-a-t-il tout de même un effort public conséquent de recherche? Eh bien non ! Deux fois moins de recherche qu’en neurologie, pour une épidémiologie et un coût économique 2 à 3 fois supérieurs, une part de la recherche santé de seulement 4,1 % contre 7 % au Royaume Uni ou 16 % aux Etats-Unis.

Aucune priorité définie en santé mentale en France

Les troubles de santé mentale placés aujourd’hui par l’OMS au deuxième rang des causes mondiales de handicap pourraient occuper le premier rang à l’horizon 2020. Que fait la France face à cet enjeu de santé majeur ?

Depuis des décennies, les rapports publics ont beau s’entasser (4), réitérant les mêmes constats de dysfonctionnements et les mêmes préconisations récurrentes, il n’y a aucune priorité définie en santé mentale et encore moins de concrétisation au bénéfice des malades. La France, qui enregistre des taux d’hospitalisation à temps plein supérieurs à tous les pays voisins (5), continue de concentrer les moyens sur l’intra hospitalier au détriment de tous les accompagnements des individus dans leur environnement qui sont beaucoup plus efficaces.

Parce qu’elle est le trouble le plus sévère et le plus stigmatisé, la schizophrénie est emblématique des changements de politique à mener.
Certes il s’agit d’une maladie grave, mais comme pour le cancer ou le Sida, il existe des solutions thérapeutiques parfaitement identifiées au niveau international. Elles reposent sur de nombreuses comparaisons, un large éventail des meilleures pratiques disponibles à travers le monde, la variété et la traçabilité des preuves cliniques et scientifiques (6),(7).

Le CNSM, une occasion qui ne doit pas être manquée

C’est pourquoi le Collectif schizophrénies a salué l'installation du Conseil National de Santé Mentale (CNSM) par la ministre de la santé en octobre dernier comme une occasion rare, qui ne doit pas être manquée, de travailler enfin sur le retard français.

Enfin, dans le sillage du rapport de Michel Laforcade, se dessinent des avancées et une volonté de prendre en compte les recommandations internationales adoptées par la plupart des pays qui nous entourent. Enfin la santé mentale est affirmée comme une priorité ; enfin est mise en œuvre une très large concertation avec toutes les parties prenantes, enfin la volonté de conduire des réformes dans ce domaine sanitaire spécifique à forte dimension sociétale et éthique, enfin le projet de nouveaux textes sur les soins en psychiatrie, les derniers datant de plus de 25 ans.

Dans le cadre du CNSM, nous avons participé au groupe de travail chargé de la rédaction du décret fixant les priorités du projet territorial de santé mentale, et nous apportons notre entier soutien à ce projet présenté à la séance plénière du CNSM du 16 janvier.
Ce décret innovant est porteur d'avenir et d'espoir pour les usagers. Enfin on lit dans un texte officiel l’affirmation d’un objectif de rétablissement et d’inclusion sociale des patients, de soutien à l’emploi ordinaire et au logement, de prévention, d’interventions précoces, de réalisation de bilans et remédiation, d’accès à des soins somatiques adaptés, et l’inscription d’une vision désormais globale, sanitaire mais également médico-sociale et sociale des parcours de soins, avec la promotion de l’accès des personnes et de leur entourage à la psychoéducation, et la lutte contre la stigmatisation...

Appel aux candidats

Nous alertons les candidats à l’élection présidentielle : à la veille des élections présidentielles, la santé mentale en France est à la croisée des chemins.

La publication de ce décret tarde de façon regrettable et nous en attendons la publication le plus rapidement possible dans les termes de sa version présentée le 16 janvier dernier au CNSM.

Il faut assurer la bonne continuation du CNSM et la poursuite des avancées après les élections.
Il faut poursuivre comme prévu la rédaction de l’instruction précisant le décret : organiser précisément des prises en charges globales et sans rupture pour les personnes souffrant de troubles sévères et persistants, mettre en place le partage des meilleures pratiques reposant sur les données de la science, soutenir et encourager les équipes innovantes réparties sur le territoire de manière éparse.

Il faut que le CNSM s’attaque à l’ensemble des volets du retard français : décrochement de la recherche française, formations des médecins et autres acteurs du soin, information et sensibilisation de la population etc.
Nous soutenons la demande de l'Unafam, Santé Mentale France et Aire d’un plan psychique dans les programmes des candidats à la présidentielle. Et y demandons en son sein un volet spécifique pour les schizophrénies.

Droite, gauche, centre... la politique de santé mentale est l'affaire de tous les bords politiques.

Il est impossible, compte tenu de leur prévalence, que vous ne connaissiez personne qui souffre ou souffrira un jour d’une maladie mentale.
Les moyens de la psychiatrie publique doivent être sanctuarisés. Continuer de sabrer les budgets de la psychiatrie met à mal les valeurs qui fondent la République. Et même si vous n’avez pas la moindre empathie envers les personnes malades, ce serait faire injure à la seule motivation gestionnaire : en France, le fardeau économique que constituent les maladies mentales est estimé à 109 milliards d’Euros, et toutes les études montrent que les investissements en santé mentale sont éminemment rentables.

Mais on ne peut pas s'arc-bouter sur la seule question quantitative des moyens, en continuant d’éluder la question des objectifs, des résultats et partant, de l’utilisation des moyens existants, comme de trop nombreuses instances ont tendance à le faire.
Les personnes aujourd’hui malades ou qui le seront demain n’ont nul besoin d’idéologies, de gourous, ou d'âmes compatissantes mais de soins utiles qui leur permettent de reprendre le pouvoir sur leur vie, comme tout citoyen.

Au pays des Lumières, il est temps que toute la médecine publique, financée par les impôts des contribuables, repose sur des thérapeutiques validées scientifiquement, de vrais résultats évalués et publiés.

Ou sinon… quelle solution ?

Abandonner la psychiatrie aux plus pauvres et aux plus faibles et construire des solutions privées, laisser les praticiens has been au public, enrôler les soignants innovants et ouverts vers ce qui fonctionne au seul bénéfice de ceux qui pourront payer.

Abandonner nos valeurs, toute notion de progrès et assumer qu’on enterre le service public une fois pour toute.

A vous de nous préciser votre vision.

* Le Collectif schizophrénies regroupe six associations de patients et de familles de patients, Schizo ?... Oui !, Schizo Espoir, PromesseS, Schiz’osent être, Schizo Jeunes et Solidarité Réhabilitation.

[1] Les soins sans consentement en psychiatrie : bilan après quatre années de mise en œuvre de la loi du 5 juillet 2011 - Questions d'économie de la santé Irdes n° 222. Février 2017 - Coldefy M. , Fernandes S.

[2] Isolement et contention dans les établissements de santé mentale - Rapport du CGLPL, Adeline Hazan, mai 2016

[3 ]L’image de la schizophrénie à travers son traitement médiatique. Analyse lexicographique et sémantique d’un corpus de presse écrite entre 2011 et 2015. Etude L’ObSoCo-PromesseS -  Janvier 2016.

[4] Cf la liste des quinze rapports publics élaborés de 2000 à 2009 dans le rapport de M. DENYS ROBILIARD de décembre 2013

[5] The Economist-JANSSEN – 2014. L’étude classe la France à un niveau médiocre en termes d’intégration des personnes souffrant de maladies psychiques, bien loin de l’Allemagne et de l’Angleterre, derrière l’Espagne et juste devant l’Irlande et la Pologne. Plus grave, la France se classe 27ème sur 30 pour la rubrique « Désinstitutionnalisation », ce qui montre que ceux qui souffrent de maladies mentales continuent à être traités dans de longs séjours hospitaliers ou en institutions.

[6] Cf « Schizophrenia—Time to Commit to Policy Change »; « Schizophrénie, il est temps de changer de politique »- 2014.  Le rapport résume les résultats réunis par un groupe international d’experts sous l’égide de l’université d’Oxford, étayés de 217 références d’études, la plupart très récentes. Les auteurs ont rédigé 3 synthèses disponibles en 5 langues, dont le français dont l’une à destination des professionnels de la santé, sur la modification de la politique de soins et une autre à destination des décideurs, sous forme d’un appel à l’action, et rappelant le coût social et direct de l’inaction.

[7] Cf en France, le rapport du Centre de preuves en psychiatrie et en santé mentale – sept 2015 : « Données de preuves en vue d’améliorer le parcours de soins et de vie des personnes présentant un handicap psychique sous tendu par un trouble schizophrénique. »

Sources : Journal International de Médecine
http://www.jim.fr/medecin/jimplus/tribune/e-docs/sante_mentale_il_ny_a_vraiment_aucune_raison_de_crier_vive_la_france__164525/document_edito.phtml

mercredi 22 mars 2017

Pourquoi un colloque d'art-thérapie à 20€ ?

L'Association de Recherche en Art et Thérapie est une association dédiée à la recherche, au partage des connaissances, sans exclusions, sans élitismes, sur le modèle de l'université populaire !

Elle est aussi une association qui est engagée dans une réflexion citoyenne, autogestionnaire, d'un renouveau du contrat social républicain comme l'entend le philosophe Yves Michaud.

Un retour à la démocratie qui est par essence participative cela va sans dire !

Chacun peut part son engagement participer à ce mouvement humaniste, c'est ce que nous tentons de faire avec plus ou moins de succès.
Et, en demandant une participation de 20€ pour ce colloque d'art-thérapie du 8 avril 2017 à Béziers, avec des intervenants toujours de qualité et qui viennent à Béziers sans demander de rétribution, c'est notre engagement et notre réponse citoyenne au monde de l'argent.

Le collectif de l'ARAT

11e Rencontres de l'ARAT à Béziers
Festival : "L'art-thérapie fait son cinéma !"


Cliquez sur ce lien pour vous inscrire :
http://blogarat.blogspot.com/2017/02/lart-therapie-fait-son-cinema.html

lundi 20 mars 2017

TRILOGIE de L'ERRANCE / 4ème épisode par Adeline YZAC

Curieusement, un quatrième épisode vient se rajouter à notre trilogie, qui par enchantement devient une oeuvre collective ! Merci à toi Adeline pour cette polyphonie algérienne qui pense ma déchirure faite d'exclusion, de rejet, d'incompréhension pour l'Etranger.



Adeline YZAC est auteure, elle anime des chantiers d'écriture à Montpellier.
Son site : http://adelineyzac.wordpress.com/

Là-bas
[laba]

Je me suis laissée rêver autour des cinq lettres et de leur petit tiret. Locution anodine au demeurant.
En un, là-bas désigne un lieu éloigné, situé à une distance plus ou moins grande du lieu d’où je parle.

En deux, c’est tel pays étranger dont il est inutile de préciser le nom, chacun dans le présent d’une conversation sait duquel il est question, « Là-bas, c’est le berceau de la corrida ».
Il suffit d’une écoute attentive de la locution et j’entends comment est nommé tel pays sans qu’il le soit par son nom, en creux, comment la langue opère un petit glissement, comment, en quelque sorte, un sobriquet vient en surplomb.

En trois, dans la bouche de certains, Là-bas, c’est le pays  éloigné ou disparu, et soi exilé – volontaire ou pas. « Là-bas, je n’avais jamais parlé français ». Je suis là et il y a maintenant cet autre lieu rendu bas. Passé par en dessous. Ce qui renvoie au sens premier et vieilli de là-bas. Qui signifiait, au départ, « au-dessous, en un lieu situé au-dessous, autrement dit là en bas, en un lieu situé plus bas ». Ce bas, renvoie-t-il à une relégation ? A quel territoire ? La mémoire ? Le souvenir ? L’inconscient ? Le lieu d’avant la parole et l’écriture ? L’au-delà d’un traumatisme ?

Si certains disent là-bas et non pas Espagne, Algérie, Syrie, Bretagne, Ethiopie, …, cela veut-il dire que le pays a été poussé par les faits hors du champ du quotidien, au second rang, à distance ? Là-bas, formule également vieillie, désigne l’Enfer, le séjour des morts, par opposition à la vie terrestre. Et je retrouve ce qui est évoqué dans la bouche de ceux et celles qui nomment l’Algérie de la sorte. Là-bas : l’exil d’une terre, l’enfer de la douleur, de la nostalgie, de la perte. De l’impossible consolation parfois. L’irréparable à eu lieu. Il reste des miettes, quelques petites lettres. Dire là-bas, c’est tendre les bras de toutes ses forces, et les yeux, et le cœur, par delà l’ensevelissement, vers ce qui a été. Là-bas, renvoie à une disparition - me vient le mot aphanisis. Un pays a fondu, comme un être, c’était un ici, c’est devenu un là-bas.

Le pays et soi, on a plongé ensemble. Le pays tel qu’il était, disparu, il reste la langue, la parole, les mots, une locution. Là-bas, c’est bref, c’est court, c’est minuscule, c’est ratatiné, c’est discret, ça suggère que le pays n’est plus, c’est fini, c’était avant, c’est bien ça, ça n’est plus, ça a échappé, ça a filé entre les doigts mais pas tout à fait non plus puisqu’une locution en atteste l’existence et qu’on peut se loger là, s’abriter sous le mot, s’y lover, y trouver son gîte. Et voici que ça signifie peut-être qu’on accepte que ce soit une histoire finie… Là-bas, quel bel édifice, un pays tout entier contenu sous son toit, des vécus, des êtres, un monde. Là-bas, c’est une nomination : la disparue, la défunte, a un nom unique et propre, là-bas. Cinq lettres la contiennent et la prolongent. A l’abri sous la locution, Là-bas, qui est de l’ordre de la  condensation et de la polysémie, chacun s’autorise et y va de sa parole. Là-bas… cinq petites lettres et c’est la fête, la joie, l’éclat, l’évocation, les récits, le mouvement, le rire.
Entre là et bas, se tient le petit pont du tiret, important le tiret, l’alliance du tiret qui fait toute la force, tout le soutien et l’équilibre.

 Publié avec l'autorisation d'Adeline YZAC

dimanche 19 mars 2017

L'Appel des 50 pour sauver l'art-thérapie française !

APPEL A UNE PREMIÈRE RENCONTRE NATIONALE DES ART-THÉRAPEUTES FRANÇAIS


Texte d'Arnaud Ginions

Coordination Nationale des Art-thérapeutes
Contact :coordination.at@gmail.com

Nous nous sommes engagé(e)s dans une profession de la relation. « Une relation d'accompagnement et une relation de soin, humaniste et poétique.
L'art-thérapeute est un professionnel du soin et de l'art qui accompagne, par le processus de création, une personne dont la santé est affectée.
En tant qu'art-thérapeute, nous avons tous la même finalité : une finalité thérapeutique.
Finalité qui peut se nommer différemment : redonner de la pensée, retrouver sa joie intérieure, apprivoiser sa propre poésie, laisser place à son monde et ses états d’être, ouvrir un espace mental pour vivre, respirer, rêver, entendre sa petite musique personnelle, permettre sa (re)création en soi.
Pour accompagner ce chemin nous utilisons toute une palette de médiums artistiques, en fonction de nos compétences, de nos objectifs thérapeutiques adaptés et ouverts en laissant toute sa place à la personne reçue.
Pour accompagner sur ce chemin, nous mettons en place des dispositifs spécifiques de la relation en lien plus ou moins étroit avec la psyché, et en lien plus ou moins étroit avec le soma. Cela passe par la mise en place d'un cadre et d'un processus au sein de nos ateliers. Nous en sommes garants.
Nous naviguons sur ce trait-d'union, fil fragile, entre art et thérapie qui interroge nos postures et notre
pensée.
Il ne peut pas y avoir d'art-thérapie sans art-thérapeute quoi qu'en disent certains livres de « coloriage art-thérapie» vendus dans le commerce !
Et pourtant, notre profession existe-t-elle vraiment, n'étant pas reconnue nationalement ?
- Bien souvent nous sommes obligés d'accoler à notre discipline une autre profession reconnue pour
pouvoir exercer ou nous ouvrir certaines portes en institution. Alors que notre métier a des spécificités
propres qui le différencie des autres professions de soin, il est parfois cantonné uniquement dans la
médiation artistique.
- Nous ne bénéficions pas d'un parcours « tronc commun » de formation qui puisse offrir une
reconnaissance et un poids national.
- Nous sommes multiples et différents, c'est ce qui fait notre force. Et pourtant nous n'avons pas de lieu qui nous rassemble dans nos diversités de pratique pour échanger et se nourrir. La formation continue doit être au coeur de notre pratique.
C'est peut-être à nous, les art-thérapeutes passionné(e)s par notre discipline exigeante, de valoriser et de faire entendre nos apports et notre connaissance du métier.
Cet appel à se rassembler veut entamer avec vous la réflexion sur :
-ce qu'est notre culture commune
-l'existence d'un sentiment d'appartenance
-des échanges constants sur nos pratiques
-une indispensable formation continue sur nos postures professionnelles
-des temps de supervision pour partir du terrain
- la défense de notre profession, sa reconnaissance, sa formalisation dans la diversité
Pour cela nous vous proposons l'organisation d'une première rencontre nationale des art-thérapeutes
de deux jours organisée par des art-thérapeutes avec échanges multiples sur nos pratiques et aussi sur la constitution d'une coordination des art-thérapeutes à construire ensemble.
Mais elle ne peut avoir lieu que si elle amène le désir d'un maximum d'art-thérapeutes.
A vous de nous dire si vous voulez cette rencontre, quel que soit votre courant de formation, en laissant vos coordonnées à l'adresse suivante. Nous vous recontacterons dès que le projet sera concrétisé (février/mai 2017) certainement un week-end (quelque part en France).
Art-thérapeutes, stagiaires art-thérapeutes, si vous êtes partants, si vous voulez participer concrètement à sa mise en place, donner vos suggestions, échanger, rejoignez les signataires de ce texte au sein du groupe Facebook : « pour une réflexion d'une rencontre nationale des art-thérapeutes ».
Pour l'art-thérapie en France.
25.11.2016
Signataires fondateurs de l'appel

Christine Soler Pau (64) - Isabelle Schweitzer Bosdarros (64) - Arnaud Ginions Le Creusot (71) -
Christele Pinard Nantes (44) - Jean-Louis Aguilar Beziers (34 ) - Gilles Bardeau Beaumont (07) -
Frederic Ryfer Toulouse (31) - Christine Peres Saint-Mathieu de Tréviers (34) - Marina Caille Pierrefeu du Var (83) - Nathalie Renault Bordeaux (33) - Anne-Sophie Bouxom Valenciennes (59) - Aurore Duc Bordeaux (33) - Frédérique Fassot Vallon Pont Arc (07) - Stéphanie Arhel Le Crès (34) - Sylvie Remy Pau (64) - Christelle Charbonneau Poitiers (86) - Marie Carré Toulouse (31) - Élise Quillé Nancy (54) - Noonak Abou Abdellah Marseille (13) - Catherine Mirande Saint-Emilion (33) - Marine Garret Dijon (21) - Émilie Dorbane (44) - Sarah Pocah Marseille (13) - Alexandra Bertrand (44) - Virginie Boursier Deux Sèvres (79) - Pia Campos Bordeaux (33) - Agnès Bella Narbonne (11) - Sabine Mineur (51) - Karen Boetschi Bordeaux (33) - Sylvie Cormouls-Houlés Sainte Marie de Ré (17) - Cathy Guilbert Langon (33) - Catherine Fenouillas Bordeaux (33) - Matilde Cano Lopez Tours (37) - Cécile Fournier La Rochelle (17) - Laura Carton Limoges (87) - Philippe Teissier Poitiers (86) - Veronique Hilda Heim Strasbourg (67) - Amandine Mannessier Rochefort (17) - Louise Cohen Toulouse (31) - Carine Mahon Bassin d'Arcachon (33) - Elodie Navarro Lyon (69) - Oceane Grim (06) - Marion Journaud La Rochelle (17) et à Niort (79) - Sarah Dufeutrelle Rennes (35) - Meena Saadane Palavas les flots (34) - Tiziana Alma Meyer Paris (75) - Bénédicte Carrière Montpellier (34) - Elsa Chassagnac Lyon (69) - Alexandra Stagliano Paris (75) - Clara Brasier Reims (51) - Mylene Marion Grenoble (38) - Joëlle Raysséguier Lavaur (81) - Juanita Kirch Carcassonne (11) - Sandrine Ferrari Ville-la-Grand (74) - Ania Polfer Latour-Bas-Elne (66) - Cécile Louradour Gradignan (33) - Raynald Letertre Poitiers (86) - Marjorie Salvagni (Lisbonne) - Emilie Montialoux (81) - Joel Roth (68) - Catherine Olivo Claret (34) - Magali Magnoac (31) - Laure-Anne Bomati (44) - Solène Sirvente Metz (57) - Karine Chaumont Reims (51) - Patricia Vidili Kaluzny, Rodemack (57)






lundi 6 mars 2017

TRILOGIE de L'ERRANCE / 3ème épisode par Chantal RAJIC


"Va voir là-bas si j'y suis" ou l'étrange "là-bas"

Nous avons tous entendu cette expression étrange dans notre enfance. Elle venait nous dire qu'il fallait un peu s'éloigner, mettre de la distance, qu'il fallait ne pas déranger par notre attitude ou nos questionnements l'adulte proche de nous. Il fallait être rapidement là où je ne suis pas. Ce là-bas c'était n'importe où pour nous, dans un lieu connu, imaginaire ou simplement au fond du jardin ou de la cour. En même temps, elle était drôle cette expression, elle nous faisait sourire parce qu'elle n'était pas sérieuse. Nous savions bien que la personne n'y serait pas. Mais pourquoi nous le dire ? Pourquoi nous faire croire à ce dédoublement ? Alors on  faisait semblant de s'éloigner tout simplement.

Pour d'autre ce là-bas renvoie à une autre mémoire, un autre territoire, un autre continent. Là-bas derrière la mer, un refuge au soleil du réfugié.

Cette phrase que tout parent pouvait prononcer résonne doublement à présent dans l'absence du père.
Là-bas, il a laissé sa trace, testament de son passage sur une terre inconnue comme une terre promise.
Là-bas, y-a-t-il pensé, bercé par les souvenirs pour se protéger contre la peur de la vie qui se retire ?
Là-bas, l'endroit où l'on n'est pas mais qui fait tant de bien pour panser les tourments de la pensée d'un corps chaviré.
Là-bas c'est une douceur sucrée,
Là-bas comme une anesthésie pour oublier la vie.
Là-bas c'est l'étranger qui rit.

Il a fallu du courage pour mettre à nu ce parcours étrange d'étranger réfugié et pour le réciter en témoin du passé.
Ce passage douloureux qui faisait écho à un deuil récent et qui dans le silence révélait son absence projetait les mots comme une délivrance.
Des mots offerts en hommage,
des mots comme un cri,
le cri d'un nouveau- né délivré du passé.

Un enfant renaît à la vie, adulte, après avoir tout dit ou presque...
"Laissez-moi terminer" mais le temps est compté. Même s'il manquait quelques pages pour aller jusqu'au bout de cette rage, l'émotion surnage.
Le  temps ? Depuis si longtemps que j'attends ! Je suis venu de loin... L'émotion se propage.
Ce qui restait à dire ne le sera pas.

Là-bas, il est parti là-bas au pays d'où l'on ne revient pas,
Là-bas n'est plus là-bas,
c'est un autre pays que je ne connais pas.

Ici, j'y suis, j'y reste.
Là-bas, ci-gît suis.
Ici ou là-bas tu viendras me voir papa comme autrefois ?
Il y a parfois des signes qui ne trompent pas.
Un autre enfant est né avec une nouvelle identité, celui qui a témoigné pour l'éternité avec sincérité et générosité.

Naissance, résistance, souffrance, résilience, chance, reconnaissance, essence, absence, renaissance... tout a un sens à la lumière du cycle de la vie dont la roue tourne comme une symphonie.

Comme une délivrance au pays de l'errance,
une terre d'accueil comme une terre happy !

J'ai écouté entre les mots, entre les espaces, l’exaltation, la peur, la douleur et le sentiment du devoir accompli.
Là-bas c'est ce que l'on ne nomme pas mais qui englobe toute la surface du globe, c'est un point lumineux qui fait cligner des yeux.
Toute étrangeté avec ce qui a existé n'est que pure coïncidence.
Toute création est une solution.

Avec l'aimable autorisation de mon amie Chantal RAJIC.

TRILOGIE de L'ERRANCE : 2ème épisode

 Là-bas, si j’y suis…

ORAN

Ces mots résonnent toujours en moi !
Là-bas, c’est le nom du pays dont on ne prononce pas le nom.
132 ans de colonisation française ont réduit à néant tout sentiment humain d’altruisme, de compassion, de fraternité. La haine a fait son lit dans ce qu’il y a de plus abject dans l’homme, la terreur, la guerre, la torture, le viol.
« Va voir là-bas, si j’y suis ! », me disait mon père lorsque j’étais enfant et que je devenais par trop turbulent.
Là-bas, je ne t’ai jamais oublié !

L’année dernière, en 2015, spectateur devant mon poste de télévision, j’assiste à cette déferlante de réfugiés qui submerge l’Europe. Principalement, des réfugiés Syriens qui fuient la guerre. Et, je prends conscience soudain que je suis moi aussi un réfugié de la guerre d’Algérie. J’ai été un enfant dans la guerre, mais je l’avais occulté de ma mémoire !
Une guerre longtemps déniée par la France et les Français. On l’a d’abord qualifiée d’événements, et le gouvernement de l’époque parlait d’actions de maintien de l’ordre.

Là-bas, si j’y suis…
C’est l’accueil que nous ont réservé une partie des Français de métropole avec en tête le Parti Communiste Français et le syndicat CGT.

"Il y a 150 000 habitants de trop à Marseille", nous dit Gaston Defferre en parlant des pieds-noirs français !

C’est l’accueil de Gaston Defferre, alors Maire de Marseille en 1962 qui déclare dans la presse : « Nous avons 150000 habitants de trop ! Que les pieds noirs aillent se réadapter ailleurs ».

"Les pieds-noirs à la mer !" scande les cégétistes de Marseille.

C’est l’accueil des dockers CGT pendant l’été 1962 qui brandissent des banderoles ou on peut lire : « Les pieds noirs à la mer ».

La valise ou le cercueil !

De l’autre côté de la Méditerranée, en lettres sombres, le slogan « la valise ou le cercueil » s’étale sur les murs d’Alger, d’Oran, de Constantine.
Étrangers de partout, d’ici et d’ailleurs…
Nous sommes devenus les boucs émissaires d’un état et d’un peuple qui n’ont pas eu le courage d’assumer toute la barbarie qu’ils ont semé en Algérie française.

Que de chemin parcouru de 1962 à aujourd’hui !
Aujourd’hui, les expats de Côte d’Ivoire sont accueillis sur le tarmac du Bourget par le Premier Ministre ou le Président de République !
Aujourd’hui, face aux attentats en France, on sort l’artillerie lourde, cellules psychologiques, RAID, GIPN, GIGN, BRI, couvertures médiatiques maximums, commémorations des attentats, orchestrations télévisuelles…
Ne vous méprenez pas, je suis pour le devoir de mémoire.
Mais ce que nous avons subi en 1962, seuls et désemparés dans cette tourmente dont les enjeux politiques nous dépassaient, sans soutien psychologique, sans accueil, sans bientraitance, est en dessous de tout ce QUE VOUS POUVEZ IMAGINER.

Pierrelatte dans la Drôme

En septembre 1962, nous arrivons à Pierrelatte, petit village de la Drôme.
Nous, c’est mes parents, ma petite sœur et moi, le reste de la famille c’est éparpillé aux quatre coins de la France, on ne se reverra plus…
J’ai perdu ma famille et mon pays.
Mon instituteur me battait avec une grande règle jaune de 1 mètre que l’on trouvait dans toutes les classes, parce que je ne savais pas répondre à ses questions

Béziers dans l'Hérault

En septembre 1965, nous arrivons à Béziers, capitale mondiale du vin et du rugby. Mais, au cours de mon adolescence, la question de l’identité se fait prégnante. Je ne suis pas de Béziers, qui suis-je ?
Au lycée, je suis comme un étranger, je m’adapte, mais pas tant que ça, je deviens un mauvais élève, je réalise aussi aujourd’hui que j’étais dépressif.
A l’époque, dans les années 70 à 75, il n’y avait pas de psychologue pour aider les adolescents en détresse, alors on m’a fait redoubler la première et la terminale. Le mal-être devient plus intense, je suis perdu dans le monde des adultes et dans le monde du travail.
Ma réaction est celle du rejet, je conteste tout, je suis contestataire.
Et puis, à 25 ans, je m’intéresse aux soins infirmiers.
Je serai infirmier. Parallèlement aux études d’infirmier, j’entreprends un travail artistique de création avec la photographie et la peinture.

Au travers des écrits de S.Freud, M.Klein ou D.W.Winnicott, se fait jour la théorie que le désir de réparation  est le fondement de la créativité. Les actions de réparations dissipent les angoisses de la position dépressive.
Il est dit que celles-ci pourraient être à la base de la vocation professionnelle artistique et surtout soignante.
C’est l’angoisse dépressive qui amène le processus de sublimation, de symbolisation et de créativité, permettant au sujet une réparation. La notion de réparation chez Mélanie Klein se rapproche de ce que S.Freud nomme sublimation.
La perte et la destruction sont des sources de créativité car ces notions suscitent le désir de réparation, de reconstruction, de re-création.
Dans la phase dépressive l’objet fait partie intégrante du Moi et la réparation de l’objet revient donc à une réparation du Moi.

Autant Freud situait le symptôme comme étant bien plus une tentative de guérison qu'une maladie au sens médical du terme, autant Jacques Lacan a considéré le symptôme comme ce qui permet à un sujet de s'inscrire dans un lien.
Jacques Lacan a appelé « sinthome », ou « synt-homme » en un jeu de mots se référant d'une part à la plus ancienne graphie attestée en français du mot "symptôme" (1495 chez B. DE GORDON, Pratiq., II, sign. H 3d ds GDF. Compl.), et d'autre part au rôle qu'aurait tenu l'admiration que James Joyce pouvait avoir envers Saint Thomas d'Aquin, le « saint homme »/ « Saint Thom ».
Je relis le sinthome lacanien  avec le concept de créativité de D.W.Winnicott,
parce qu’il  présente le double avantage de la suppléance et de l’envie d’exister, d’être vivant et de survivre.

Devenu artiste et infirmier, je rencontre comme un fait exprès : l’art-thérapie !

 La nébuleuse de l'art-thérapie française !

Anne Brun dans le « Manuel des médiations thérapeutiques » (Ed. Dunod), conjointement écrit avec Bernard Chouvier et René Roussillon, pose le problème de l’art-thérapie en ces termes.

(p.94, chapitre 4) « Dans le contexte actuel d’une prolifération des thérapies à médiation artistique, référées à des champs théoriques très hétérogènes, souvent désignées par l’appellation floue d’art-thérapie, qui ne renvoie à aucune conceptualisation d’ensemble mais à des fragments de théorisation en archipel, il s’impose de dégager les conditions requises pour la mise en place d’un cadre qui relève réellement de la psychothérapie psychanalytique. »

(p.99, chapitre 4) « Notre expérience de supervision en pratiques institutionnelles nous a confrontés à une grande palette de modalités de fonctionnement des groupes à médiation, riches, cohérentes et inventives. Toutefois, certains positionnements extrêmes dans le rôle attribué à l’objet médiateur au sein de l’atelier à médiation ne permettent pas d’assurer suffisamment de liaisons interactives et souples entre les différents processus en jeu. Le clinicien est voué à naviguer entre Charybde et Scylla, entre un premier écueil constant à négliger les qualités sensorielles du médiateur en le transformant en simple prétexte à la rencontre thérapeutique, le second, à l’opposé, revenant  à surinvestir le registre sensori-moteur au détriment du registre verbal. Dans le premier cas, le clinicien semble considérer le médium comme un simple prétexte à la rencontre thérapeutique, au déploiement  d’un lien transférentiel et d’une dynamique verbale associative, sans prendre en considération les caractéristiques sensori-motrices propres au médium. Les cliniciens dans cette perspective ont alors tendance à privilégier les chaînes associatives groupales verbales, comme si la verbalisation était la seule source de symbolisation. La médiation est ainsi considérée comme une sorte d’échafaudage préalable, dont on peut se passer dès qu’une dynamique groupale et verbale se dessine. Il s’avère fort dommageable de faire l’impasse sur le travail de symbolisation à partir du registre sensorimoteur. On scotomise de ce fait un des deux termes du fameux paradoxe winnicottien du trouvé-créé, à savoir la dimension du « trouvé ». Inversement, les cliniciens doivent rester attentifs à ne pas négliger l’ensemble de la verbalisation, qui a accompagné l’utilisation de la médiation, s’ils se centrent essentiellement sur le registre sensori-moteur, au détriment du pôle verbal : la prise en compte de l’associativité de chaque patient au cours du processus de médiation, comme des associations verbales groupales, conditionne en effet l’interprétation des processus en jeu. Il s’agit aussi pour les cliniciens de ne pas revenir à des pratiques d’ergothérapie, qui ont marqué l’histoire institutionnelle des hôpitaux psychiatriques. »

J’ai donc choisi de forger mon propre outil art-thérapeutique et, puisque je travaillais en psychiatrie adulte au Centre Hospitalier de Béziers, j’ai mis en place une méthodologie que j’ai nommé « Triptyque d’Art-Thérapie adapté à la psychiatrie, pour une prise en charge des psychoses en Art-Thérapie Institutionnelle ».

Pour cela, je devais composer avec 3 contraintes :
La première contrainte est amenée par l’institution hospitalière, son cadre, sa réglementation et sa hiérarchie.
La deuxième contrainte est amenée par la prescription du médecin. 
La troisième contrainte est dans le type de population traitée en psychiatrie publique, c’est-à-dire outre la prise en charge de la maladie mentale, prendre en compte les dérives sociétales que l’on appelle pudiquement la précarité.

Le Triptyque d’Art-Thérapie  participe au soin, à la réadaptation et à la réinsertion sociale, principalement dans les psychoses mais aussi pour toute autre pathologie, c’est-à-dire les névroses, les addictions, les troubles du comportement de la personne âgée (les démences, Alzheimer, Korsakoff), la victimologie (agressions sexuelles, viols, incestes).

Méthodologie du « Triptyque d’art-thérapie adapté à la psychiatrie » :


Volet 1 : travail autour de l’identité
La question de l’identité évoquée par Jacques Lacan dans ce qu’il appelle la « forclusion du nom du père », m’a fait m’interroger sur ce que nous adresse le discours du psychotique.


Volet 2 : adaptation à sa réalité et réadaptation à la réalité
Adaptation pour le sujet jeune et sa famille à l’énoncé de la maladie, qui passe par le déni et la recherche d’une autre cause que la folie. 
Réadaptation, c’est à partir de l’acceptation que l’on va pouvoir travailler sur la réadaptation et que le patient devient partie prenante de sa thérapie.

Adaptation à sa réalité et réadaptation à la réalité, ce sont les bases théoriques que Freud énonce dans le principe de réalité et la confrontation qui en résulte entre le principe de plaisir et le principe de réalité.

C’est aussi pour Winnicott, l’adaptation au monde extérieur avec l’effet pervers du développement d’un faux-self adapté à la réalité mais qui laissera un sentiment d’inutilité. Le self permet d’atteindre  une confiance en soi et en l’environnement, ce qui  permet à l’individu d’être soi-même et d’avoir le sentiment d’exister.

Le développement du concept de la mère suffisamment bonne (good enough presenting. Ce qui me permet une transition rapide avec « Le complexe de la mère morte » d’André Green, qui nous éclaire sur la personnalité adaptative et sur la transmission de la dépression de la mère à l’enfant.


Volet 3 : communication, socialisation et resocialisation
Communication, socialisation et resocialisation, c’est ici la question de l’être au monde du psychotique qui est abordée, avec comme corollaire de pouvoir exister.

Pour Winnicott, l’objet transitionnel sera délaissé progressivement par l’enfant et se répandra dans le territoire intermédiaire qui sépare la réalité psychique intérieure du monde extérieur : le territoire de la culture et de la communication, incluant le jeu, le langage et l’art. La créativité influence la qualité des relations que le sujet aura avec la réalité mais aussi sa volonté à rester en vie !

Cette méthode du « triptyque d’art-thérapie adapté à la psychiatrie », je vais la mettre en œuvre dans un réseau de 11 ateliers :
1. Atelier Création (peinture)
2. Atelier Collage et Créativité
3. Atelier modelage (terre)
4.  Atelier Arts plastiques 
5. Atelier Expositions
6. Atelier Mandala ou dessin centré
7. Atelier Musiques du Monde
8. Atelier Café des Arts
9. Atelier Culture en marche
10. Sorties thérapeutiques et culturelles
11. Atelier  de « Relation d’aide et de Relaxation » (médiation corporelle)

La thérapie nécessite la mise place de deux cadres :
Le cadre extérieur  est sous tendu par la règle et les rituels d’atelier.
Le cadre intérieur, c’est celui du thérapeute (art-thérapeute) qui est sous tendu par ses références théoriques et sa déontologie intégrées dans sa pratique.

Vous l’aurez compris aisément mon art-thérapie s’étend aux médiations thérapeutiques, artistiques et culturelles.
Je vais maintenant faire le point sur le glissement sémantique qui pose problème aux art-thérapeutes en clarifiant mon positionnement sur les concepts : de création, de créativité d’art et d’esthétique…

Le glissement sémantique entre création, créativité, art et esthétique :

La création, c’est revenir à l’origine, l’origine du monde, revenir à l’origine du sujet. C’est l’action de donner l’existence, de tirer du néant.
Dans procréation, il y a création, revenir par le travail de création à l’origine, c’est permettre au sujet de renaître, c’est une renaissance.
Je me place du côté de la clinique et de la psychanalyse pour écouter et entendre ce que le sujet a à me dire de sa "création".
Les processus de création permettent  au sujet de rester vivant, de survivre.
Mais, ce n’est pas sans risques, car le sujet ne parvient pas toujours à réparer ses objets d’amour pour rester en vie.
Mélanie Klein dit ceci : « La création serait une re-création de l’objet perdu et l’œuvre d’art  serait pour l’artiste le moyen le plus satisfaisant et complet  pour soulager son remord et son désespoir […] pour reconstruire ses objets détruits. »

Dans la psychose, il y a deux voix d’expression de la folie :
-le délire, qui est une tentative d’adaptation et de réadaptation au réel. C’est aussi une création.
-et la création artistique qui est une recherche de l’identité sans cesse renouvelée car le nom du père est forclos !
La création tient lieu de suppléance à la place du signifiant forclos.
Suppléance imaginaire : s’identifier.
Suppléance symbolique : avec le cadre, les règles, les contraintes propres à la création.
Suppléance réelle : l’artiste est fils de son œuvre.
Ce que nous en dit Henri Maldiney : du vide à la création, faire œuvre, c’est dans la même mesure, se faire être (pour exister).
Or, faire œuvre c’est ex-ister, à travers l’œuvre, en avant de soi.

La forclusion du nom du père, nous ramène à la symbiose avec la mère. Le travail de création vient suppléer le manque et l’absence du père. 
C’est le tiers esthétique qui peut permettre un étayage pour  le psychotique. C’est un travail de « réparation » et de survie, de résistance à la maladie mentale, à la folie.

La créativité :
L’enfant ne fera pas le deuil de l’objet transitionnel mais étendra son intérêt pour le transitionnel à tous les domaines de la culture.
Pour D.W. Winnicott, l’objet transitionnel sera délaissé progressivement par l’enfant et se répandra dans le territoire intermédiaire qui sépare la réalité psychique intérieure du monde extérieur : le territoire de la culture et de la communication, incluant le jeu, le langage et l’art.
« Il s’agit avant tout d’un mode créatif de perception qui donne à l’individu le sentiment que la vie vaut la peine d’être vécue ».
La créativité n’est pas forcément en lien avec l’art !  Le tricot, le bricolage, la cuisine, le jardinage, la randonnée ou la pétanque sont liées à la créativité !
La culture est aussi un objet transitionnel qui permet de donner un sens à sa vie. La culture permet au sujet une intégration dans la société, une réappropriation du monde. 

L’art ne soigne pas !
L’art est un formidable médiateur d’expression et de révélation de soi.
(p.100, chapitre 4) « Il ne suffit pas en effet d’utiliser la terre, la peinture, la danse, la musique pour enclencher un véritable processus thérapeutique de médiation. L’objet médiateur ne présente en effet aucune portée thérapeutique en lui-même, indépendamment du cadre et du dispositif : c’est la projection de la topique interne du sujet sur le dispositif/cadre, qui en conditionne la portée thérapeutique. René Kaës (2002) insiste sur le fait que « l’objet n’est médiateur que dans un processus de médiation ».
Et j’enfonce encore un peu plus le clou en rajoutant que c’est la relation transféro-contre-transférentielle qui met en jeu le soin psychique !

L’esthétique vient de l’esthésie, son contraire c’est  l’anesthésie, la privation de la sensibilité.
L’esthétique au contraire, c’est le plein emploi de la sensibilité, de la sensorialité et de la sensualité. 
C’est ce qui va transparaître dans l’œuvre et venir nous toucher.
   
Pour conclure mon récit autobiographique sur la réparation du traumatisme et son impact chez l’enfant et sa famille, je sais que c’est un très long travail, celui de toute une vie.
Je pense à ses milliers d’enfants qui sont sur les routes et à leurs difficultés à venir. Accueillons les réfugiés sans aucune discrimination !

Les traumatismes laissés par les guerres, les camps d’internement, de concentration, de rétention et aujourd’hui les centres d’accueil et d’orientation nécessitent un très long travail de psychothérapie, de réparation, de résilience et de re-construction psychique.

Etranger dans mon propre pays, ma vie est un combat, j’y suis, j’y reste !

INFORMATIONS :
"L'art-thérapie fait son cinéma !"
         11e Rencontres de l’ARAT le 8 avril 2017 à Béziers
http://blogarat.blogspot.com/2017/02/lart-therapie-fait-son-cinema.html

Art-thérapeutes, Debout ! Signez la pétition sur Change.org :
https://www.change.org/p/ministre-de-la-sant%C3%A9-art-th%C3%A9rapeutes-debout?recruiter=353995044&utm_source=share_petition&utm_medium=facebook&utm_campaign=share_facebook_responsive&utm_term=des-lg-signature_receipt-no_msg&recuruit_context=fb_share_mention_variant&fb_ref=Default

Jean-Louis AGUILAR / Art-thérapeute

Notes bibliographiques :
Blogarat : 
http://blogartblogueur.blogspot.fr/2016/02/la-bas-si-jy-suis.html

Manuel des médiations thérapeutiques
Anne Brun, Bernard Chouvier, René roussillon, Ed. Dunod

Le sinthome
https://fr.wikipedia.org/wiki/Sinthome
L’étranger,  Albert Camus Ed.Folio

samedi 4 mars 2017

On the road again with my art-therapy

Centre de Formation Le Baobab à Pau
Thème : Art-thérapie et créativité

Une journée de formation avec Jean-Louis AGUILAR / Art-thérapeute


Un art-thérapeute béarnais sur le chemin de Compostelle ? 
Non, un art-thérapeute qui vient soutenir son amie Christine SOLER et son Centre de Formation à l'Art-thérapie à Pau !

Dans le cadre de ses activités de formation en art-thérapie, le BAOBAB organise une conférence-débat animé par Jean-Louis AGUILAR, Art-thérapeute, Président de l'Association Recherche en Art et Thérapie de Béziers.

Cette conférence aura lieu dans les locaux de la SCIC-PP 2 rue de Craonne à Pau :
SAMEDI 11 MARS 2017 de 9h30 à 17h30

De la clinique à la mise en place d’un dispositif art-thérapeutique
Pour un juste équilibre entre art et thérapie !

Présentation de mes méthodologies en art-thérapie et en médiation corporelle.
1.Méthodologie du "Triptyque d'art-thérapie adapté à la psychiatrie.
   Pour une prise en charge des psychoses en art-thérapie institutionnelle.
2.Méthodologie de "Relation d'Aide et de Relaxation"
   (Exercices corporels, relaxation, cohérence cardiaque, mindfulness)
3.Art-thérapies, médiations thérapeutiques, médiations artistiques, médiation culturelles ?
4.Une clarification sur le glissement sémantique entre création, art, esthétique et créativité.

> Questions, échanges avec le public

Introduction à l’œuvre du peintre Gaston Chaissac
> Projection du film « Gaston Chaissac : Plante vivace »
> Corrélation de l’œuvre et de la vie de Gaston Chaissac avec la forclusion du nom du père et le travail de réparation par la création.

> Questions, échanges avec le public

> Présentation d’œuvres de patients

> Questions, échanges avec le public

> Psychopathologie de l’Expression comparée au malentendu de l’Art Brut de Jean Dubuffet, points communs et différences.

> Questions, échanges avec le public

Participation :

> Gratuit pour les membres de l'Atelier Le BAOBAB : stagiaires, formateurs, personnel salarié de la SCIC Pau-Pyrénées intéressé par la recherche en art-thérapie.
> Autres Professionnels : 15 euros
> Demandeurs d'emplois, étudiants : 10 euros

> Réservations au 0619053259 jusqu'au 10 mars 2017.

Christine Soler / Art-thérapeute / Formatrice en art-thérapie
> Centre de Formation "Atelier le Baobab"
Tel : 06 19 05 32 59
atelierbaobabscicpau-pyrenees@orange.fr

mercredi 1 mars 2017

TRILOGIE de L'ERRANCE : 1er épisode

Communication pour les Journées d’Automne de la SFPE-AT, les 2, 3, 4 décembre 2016 à Paris.

Titre : Là-bas, si j’y suis…

Résumé :
Marchant dans les pas d’Albert Camus, je viens de l’autre France, de celle que l’on ne nomme pas, où seulement en disant : là-bas !
Je voudrai témoigner de manière autobiographique sur mon parcours d’étranger et de réfugié dans mon propre pays.
Expliciter comment la création (le processus de création) va me permettre et permettre aux laissés pour compte qui jalonnent les marges de la société de pouvoir survivre et de réaliser un travail de résilience, une tentative de survie dans un milieu étrange autant qu’étranger.
Créer ou mourir.
Il n’y a pas d’alternative, que l’on soit artiste ou psychotique !

L’art-thérapie, je le réalise aujourd’hui ayant quitté le monde hospitalier pour une retraite bien méritée selon la formule consacrée (sic), a été le soutien, la suppléance, le sinthome qui m’a permis de résister à la dissolution et l’anéantissement de mon être !

Je ferai le point sur le glissement sémantique qui empoissonne le petit monde de l’art-thérapie française en clarifiant mon positionnement sur les concepts de : création, art, créativité et esthétique...


JEAN-LOUIS AGUILAR
Infirmier Diplômé d’Etat
DU de « Psychiatrie, Psychothérapies médiatisées et Créativité »
Certificat de Praticien en Art-thérapie
Certificat de Praticien en médiation corporelle et relaxation
Enseignant-vacataire des Universités de Toulouse
Chargé de cours et chercheur en Art-thérapie au CEPPA
Formateur en Art-thérapie et médiations thérapeutiques
Président de l’Association de Recherche en Art et Thérapie (ARAT)
Membre de la SIPE-AT
Membre de la SFPE-AT
Peintre-photographe, conférencier, art’blogueur