dimanche 5 février 2017

Créer, c'est résister...Comme dirait Gilles Deleuze ! Par Jean-Bernard Couzinet

Je suis venu à Béziers vous présenter le film de Philippe Borrel et Suzanne Allant recueillant les témoignages des patients artistes de notre atelier d'expression libre l'Arbre Rose de Bordeaux, à la veille de sa fermeture définitive.
J"ai la chance que Suzanne puisse ,en locale, elle est de Montpellier, m'accompagner aujourd'hui.
Je lui céderai très vite la parole.
Pourquoi ce film: Il convenait de préserver des traces de ce lieu atypique et d'alerter sur le devenir de nos œuvres, la menace pesant fortement depuis des années.
Ce film a été tourné sur mes fonds propres sans autorisation institutionnelle. La direction ayant refusé précédemment plusieurs demandes de reportages de France 3 et autre. Il fallait donc savoir passer outre.


Permettez moi ces quelques images de nos actions défilant derrière moi pour ...colorer mes propos.

Je tiens à remercier Jean Louis Aguilar qui m'a invité.
On s'est rencontré à Toulouse et sans avoir à l'expliquer, le courant passe entre nous.

Nous furent  en effet, l'un comme l'autre passionnés par notre travail auquel nous avons donné du sens dans l'intérêt des patients auxquels nous nous sommes consacrés et pour notre plaisir.
Aujourd'hui avec du recul , je  considère comme précieux les gens avec lesquels on peut construire positivement sans s'attarder sur tout ceux qui freinent au changement, à l'innovation, à un avenir prometteur et plein d'espoir. A notre âge on a besoin de passer le relais à nos jeunes plein d'enthousiasme...si on peut encore servir à ça, on contribuera peut être à transmettre qu'une vie faite d'art, de créativité, d'imaginaire et d'expression est passionnante, thérapeutique pour tous!

Je reste très optimiste, comme à Paris Parmentier où je fus invité par des étudiants éducateurs venus nous filmer, car ils veulent créer de nouveaux ateliers. Ils attendaient des recettes, non l'époque a changé, il leur faut innover.


Optimiste aussi, quand je vois sur Bordeaux,  comme il doit en exister aussi ici chez vous, le travail d'expression corporelle remarquable proposé par Lolita Bruzat psychologue et danseuse, à des traumatisés crâniens d'un centre de jour de  l'AFTC, et présenté au Théâtre du Pont Tournant
ou le travail théâtral fait au Bistrot Associatif Asais, associant personnes en réinsertion et comédiens.

Ces bulles créatives sont plus nombreuses qu'on ne le croit, et s'ouvrent au grand public dans des lieux culturels. C'est une avancée  significative qui manque encore d'un public diversifié. 
L'actualité certes peut en décourager certains, comme elle peut être une opportunité pour tous les citoyens libres ne cédant pas aux appels populistes, sectaires, et autres réactionnaires.... le dire ici à Béziers et c'est un minimum. Je souhaite bon courage à ceux de l'adversité.


J'ai donc créé et animé un atelier d'expression libre intra-hospitalier pendant 35 ans, contre vents et marées, défiant les lourdeurs institutionnelles jusqu'à en payer lourdement le prix.
Mais aussi et avant tout,  ce fut 35 ans de bonheur passés avec des personnes fragiles, ravies d'un accueil bienveillant au sein de notre atelier de l'Arbre Rose, attaché aux services universitaires, ... qui nous ont permis d'exister et d'être protégés.
Je ne sais pas si aujourd'hui notre expérience pourrait être reconduite à l'hôpital entreprise. C'est maintenant au tour des  jeunes d'inventer de nouvelles approches créatives et de faire leur place, les patients sont demandeurs et les suivront.

Oui, on peut dire que notre atelier fermé définitivement à mon départ à la retraite , a été une belle aventure et réussite.  Il était ouvert tous les jours, ouvert à tous, hospitalisés ou non, accueillant nombre de stagiaires, d'intervenants extérieurs, locaux et étrangers. Ce fut un atelier ouvert sur l'extérieur, en va et vient permanent , un lieu dynamique assumant son autogestion. De là nous avons créé l'association Poly-Sons et géré un lieu alternatif en centre ville.
Un lieu que chacun pouvait s'approprier et qui effectivement échappait à l'administration . C'était un incubateur d'idées, un creuset  d'innovations  fait d'électrons libres responsables. 

Nombre d'hospitalisation étaient évitées, des patients dérangeants dans les services s'auto-régulaient dans l'atelier. Entrant tendus ils vidaient leur sac, se réconfortaient et repartaient avec la banane. 
Une respiration d'oxygène, un partage d'humanisme, des échanges de personne à personne laissant la maladie entre parenthèse... Voilà un aperçu de la "magie"du lieu, comme disait le Pr Tignol , magie qui s'opérait, au milieu d'un entassement d’œuvres. 

Il en est ainsi de la relation art et thérapie qui pour moi ne peut être qu'en union libre...pour rester dans le thème du colloque.
Des expositions, nous en avons fait plus de 400, ouvertes à tous, évolutives, avec animations, rencontres et bonheur...et nous continuons.
Mais cette liberté d'entreprendre, cette combativité communicative, ce dynamisme  dérangeait.
Le dénouement de ce bras de fer devait se révéler très ... "courageux"...  le lendemain de mon départ. En effet le directeur du moment, se voulant plus fort que les autres, et/ou maniaque de l'ordre , (à son actif,  la destruction de thèses, et du travail de la documentaliste), souhaitait détruire nos œuvres.


On les savait menacées, elles avaient voyagé d'un lieu squatté à l'ancienne morgue, avant d'être reléguées dans  une cave amiantée.  L'issue fatale était donc  programmée  et évidente. Il nous fallait avertir, alerter, et retarder l'échéance avant destruction. Nous avons pu ainsi, précautionneusement  sauvegarder quelques œuvres...mais plus de 90% de notre patrimoine entreposé à l'hôpital  a disparu, dont la quasi totalité d'un millier de fresques collectives et grands tableaux, une collection unique en son genre exposée à maintes reprises.

Alerté par la bande de ce passage à l'acte institutionnel  grave et délictueux, j'ai tenté vainement de revenir à l'hôpital pour constater les dégâts. Cela me fut refusé pendant deux ans, le temps que je décide avec le Dr Jean Broustra de rencontrer l'A.R.S, qui fit que ce soit enfin possible.
Nous participons au projet de musée animé par le Dr François Granier, pour justement sauvegarder des œuvres de l'époque florissante des ateliers d'expression qui créés dans les années 70/80 ferment aujourd'hui les uns après les autres à notre départ,  avec les risques majeurs de destruction des œuvres. Un travail sérieux est entrepris avec l'Université de Droit de Toulouse...stipulant notamment que toute oeuvre appartient à son auteur.

Vous l'avez compris, ma présence ici n'a d'autres but que de témoigner et d'inviter tous ceux qui tôt ou tard pourraient être confrontés à de telles exactions , à entrer en résistance dès maintenant, si ce n'est déjà fait.
Notre action est donc tournée vers l'avenir. Le passé est passé.
Nous avons cependant rédigé une plainte, mais que peut on espérer?  qui est prêt à nous soutenir concrètement?...

La réalité est que n'étant pas encore concernés eux-mêmes..nos chers collègues ne savent pas anticiper, faire synergie  On est dans l'entre soi..pour faire marrer les institutions lourdes et adipeuses qui  jouent de telles faiblesses.
C'est désolant mais c'est ainsi.  J'ai donc décidé de ne pas poursuivre si je suis seul à combattre, car il s'agit d'une question d'intérêt général.
Par contre je ne loupe aucune occasion pour informer.  j'ai  entr'autre écrit sur un blog Mediapart, et publié une liste de soutiens es qualité. Cela a valu une réponse du dit Directeur, qui croit encore que le temps fera tout oublié et a avancé des propos mensongers.
Les journalistes  qui ont souvent relayé nos actions se sont tu sur ce massacre, ils n'ont pas souhaité irriter leurs contacts. De même les politiques, même s'ils sont intervenus..à minima, préfèrent éviter l'ingérence et négocier  des plans  stratégiques. 
Mais cela ne change rien à ce qui s'est passé. L'impunité est connue au niveau des pouvoirs.


De leur côté, les artistes de feu l'Arbre Rose ont souhaité continuer des ateliers, ainsi, nous avons créé le Groupe Libertés. J'ai maintenu et animé l'expression libre, et l'écriture créative a continué avec Joël Zanouy au Garage Moderne, jusqu'en septembre dernier.
Nous sommes maintenant accueillis à la MJC CL2V de Bordeaux/Mérignac, avec mon atelier hebdomadaire et un atelier d'approche théâtrale qui veut se mettre en place avec Véronique Grenier, psychologue, férue de danse,théâtre et clown.
Nous continuons nos expos ,le plus souvent redemandés par nos anciens partenaires et je fus invité ici ou là comme à Rouen, par Joël Delaunay, pour le festival Art et déchirure, à Paris par mon ami Christian Sabas, le créateur- ex-animateur  de l'Atelier du Non Faire, à Toulouse par François Granier. En dernière date, nous avons accroché avant hier avec l'A.M.I à la Maison de l'Autre au Bouscat.


Maintenant place aux témoignages des artistes de l'Arbre Rose.
Ce film est également visible sur youtube. Il a résisté aux tentatives qui tentaient de l'en exclure. 
Place donc  à notre amie Suzanne, coréalisatrice du film à ne pas manquer puisque il est la parole des sans voix.

A toi Suzanne !

JB Couzinet, Dr d'Université et plasticien : larbrerose@gmail.com
Béziers, 12 janvier  2017, 10e Rencontres de l'ARAT