mercredi 9 novembre 2016

TOURSKY : La table ronde : "Comment la culture, la créativité repoussent la solitude et la barbarie"

A l'invitation de Marie-Claude Taliana infirmière-organiz'artiste, art-thérapeute, artiste et du Dr Abrieu, psychiatre-organiz'artiste, chef de service au CHU Edouard Toulouse, je me suis rendu à Marseille pour participer au débat-Table ronde sur le thème : Comment la culture, la créativité repoussent la solitude et la barbarie ?"
J'étais en compagnie de Simone Molina, psychanalyste, poète et écrivain, Présidente de l'association Le pointe de capiton. De Philippe Mollaret, écrivain en herbe et du Dr Abrieu, président de l'AMPI (Association Méditerranéenne de Psychothérapie Institutionnelle).


 Philippe MOLLARET, Dr ABRIEU, Simone MOLINA, Jean-Louis AGUILAR

Voici mon intervention :
« Comment la culture, la créativité repoussent la solitude et la barbarie ».
Et je rajouterai à la culture et à la créativité, la création.
Dans le magazine GLOBE n°64 de février 1992 p.28, le sociologue Edgar Morin nous parle de la fin des temps modernes et de la ruée de l’humanité vers un nouveau moyen âge planétaire !
Le XXe siècle avec sa cohorte de croyances, la croyance au progrès avec sa sainte trinité laïque « science, raison, progrès », la croyance dans le marxisme-léninisme en tant que pseudoscience, les croyances religieuses nous projettent avec une rare violence dans le XXIe siècle et dans une régression sans précédent !
Dans cette crise que nous vivons, le retour vers le passé semble être un refuge que beaucoup recherchent. La quête des origines fait la part belle aux fondamentalismes, aux intégrismes et aux nationalismes. La barbarie, nous l’avons vu à l’œuvre dans l’ex-Yougoslavie, l’Afghanistan, l’Irak, le Ruanda, la Syrie, etc…
Ce qui est nouveau dans ce siècle, c’est la nouvelle barbarie technologique, la barbarie néo-libérale alliée avec toutes les anciennes barbaries plus féroces que jamais, racismes, xénophobies, fanatismes religieux.
Face à la barbarie, deux réponses s’imposent à nous : prendre les armes ou partager la culture.

Je citerai pour exemple :
« Le théâtre de la liberté de Jenine » en Palestine : Que peut faire l’art ?

COMMUNIQUÉ DU THÉÂTRE DE LA LIBERTÉ DE JÉNINE LE 1 AOÛT 2015
Que peut faire l’art quand les bébés sont brûlés vivants, quand les maisons sont réduites en pièces par les bombardements, quand les adolescents sont abattus, quand les enfants sont laissés sans père ni mère, parce qu’ils ont osé défier l’oppression ?

QUE PEUT FAIRE L’ART QUAND IL FAIT FACE À UNE DES ARMÉES LES PLUS PUISSANTES AU MONDE, SOUTENUE PAR LES ÉTATS LES PLUS PUISSANTS AU MONDE, TUANT DES GROUPES DE GENS ,CASSANT NOS PORTES LA NUIT ET QUAND DES HORDES D'INDIVIDUS DÉRACINENT NOS ARBRES ET DÉTRUISENT NOS CHAMPS ?
QUE PEUT FAIRE L’ART QUAND NOUS NE POUVONS PAS AVOIR CONFIANCE L’UN DANS L’AUTRE ET QUE NOUS DEVONS MÊME NOUS CRAINDRE ?

ET SI L’ART PEUT MAINTENIR NOTRE HUMANITÉ ET NOS VALEURS, SI L’ART PEUT AIGUISER NOS SENS ET RENFORCER NOTRE FERMETÉ ET SI L’ART PEUT NOUS MONTRER LA VOIE VERS LA LIBERTÉ POUR QUE NOUS NE NOUS PERDIONS PAS SUR CE CHEMIN-LÀ ? 

C’EST CE QUE NOUS CROYONS ET CE POUR QUOI NOUS NOUS BATTONS. NOUS NE POUVONS PAS LE FAIRE SEUL ET C’EST POURQUOI …
NOUS SOMMES DEBOUT CÔTE À CÔTE AVEC NOS FRÈRES ET SŒURS DE RÉSISTANCE ; CELUI QUI REFUSE D'ACHETER CHEZ L’OPPRESSEUR, L’AUTRE QUI TIENT UNE PIERRE, LE TROISIÈME TENANT UN LIVRE, LE QUATRIÈME AVEC UN STYLO ET UN PAPIER, LE CINQUIÈME AVEC UN APPAREIL PHOTO, LE SIXIÈME AVEC UN PINCEAU ET UNE TOILE, LE SEPTIÈME AVEC SA VOIX, LE HUITIÈME EN PRISON QUI REFUSE DE MANGER, LE NEUVIÈME À L’UNIVERSITÉ APPRENANT À DIRIGER LES AUTRES, LE DIXIÈME SUR SCÈNE, LE ONZIÈME ENFERMÉ DANS SA CHAMBRE IMAGINANT QU’IL EST UN OISEAU VOLANT PAR-DESSUS LE MUR, LE DOUZIÈME, TREIZIÈME ET QUATORZIÈME : MARTYRS, LE QUINZIÈME À CÔTÉ DE CENT MILLE AUTRES PRÊTS À LIBÉRER LA PALESTINE.

La culture préférée à la Kalachnikov.
Je citerai le danseur Ahmad Joudeh qui danse dans les ruines de Palmyre en Syrie, qui danse dans sa ville détruite par la folie des hommes. Danser pour lui, c’est résister à la barbarie malgré les menaces de mort de l’EI.

Je parlerai aussi des camps de concentration en France, qui bien avant l’arrivée des nazis, ont été mis en place pour recevoir les étrangers à partir de 1938.
Dans les camps de concentration, le sujet se trouve face à l’anéantissement de l’être !
Je prendrai pour exemple l’œuvre picturale de Charlotte Salomon ou le Journal d’Anne Franck qui ont fait œuvre de création avant de disparaître, victimes de la solution finale.
Les œuvres des réfugiés et des républicains espagnols dans les camps de concentration français nous disent la souffrance, mais aussi la résistance à l’indicible, à l’insurmontable !
Ici, ce n’est pas d’art qu’il s’agit mais de création !

La création, c’est revenir à l’origine, l’origine du monde, revenir à l’origine du sujet. C’est l’action de donner l’existence, de tirer du néant (lorsque je parle du néant, c'est en référence à l'être et non au nihilisme).
Je tiens à préciser ma pensée quand je parle de l'origine du sujet, c'est de l'histoire du sujet et de sa famille qu'il s'agit !
Je me place du côté de la clinique et de la psychanalyse pour écouter et entendre ce que le sujet a à me dire de sa "création".
Les processus de création permettent  au sujet de rester vivant, de survivre.
Mais, ce n’est pas sans risques, car le sujet ne parvient pas toujours à réparer ses objets d’amour pour rester en vie.

L’art, pour moi, c’est avant tout un puissant médiateur d’expression de soi, ce n’est pas une finalité.
Il est un médiateurs parmi tant d'autres que nous pouvons utilisés pour nous révéler.

La création véritable, nous l’a trouvons auprès d’artistes qui n’ont pas d’autre choix que d’entrer en création comme on entre en religion !
Niki de Saint-Phalle, abusée, subissant l’inceste de son père avec le consentement de sa mère (qui nous renvoie au déni et au secret de famille). Face au déni de son psychiatre, elle n’a pas d’autre choix, devenir folle ou être artiste.
Ils sont légions, les artistes qui confrontés à la question de leur survie choisissent la création, Van Gogh, Picasso, Dali, Nicolas de Staël, Romain Gary, Garouste…

Qu’en est-il pour les patients qui subissent la barbarie des hôpitaux psychiatriques, internement, enfermement, contention, neuroleptisation abusive !
Dans la psychose, il y a deux voix d’expression de la folie :
-le délire, qui est une tentative d’adaptation et de réadaptation au réel. C’est aussi une création.
-et la création artistique qui est une recherche de l’identité sans cesse renouvelée car le nom du père est forclos !
La forclusion du nom du père, nous ramène à la symbiose avec la mère. Le travail de création vient suppléer le manque et l’absence du père. 
C’est le tiers esthétique qui peut permettre un étayage pour  le psychotique. C’est un travail de « réparation » et de survie, de résistance à la maladie mentale, à la folie.

J’ai parlé des véritables artistes qui entrent an création par instinct de survie. Qu’en est-il des artistes et des peintres du dimanche ?
Je ne parlerai pas ici de création mais de créativité au sens ou Winnicott l’entend.
L’enfant ne fera pas le deuil de l’objet transitionnel mais étendra son intérêt pour le transitionnel à tous les domaines de la culture.
Pour D.W. Winnicott, l’objet transitionnel sera délaissé progressivement par l’enfant et se répandra dans le territoire intermédiaire qui sépare la réalité psychique intérieure du monde extérieur : le territoire de la culture et de la communication, incluant le jeu, le langage et l’art.
« Il s’agit avant tout d’un mode créatif de perception qui donne à l’individu le sentiment que la vie vaut la peine d’être vécue », nous dit-il.

La créativité n’est pas forcément en lien avec l’art !  Le tricot, le jardinage, le bricolage, la cuisine, la randonnée ou la pétanque sont liées à la créativité !
La culture permet au sujet une intégration dans la société, une réappropriation du monde. 
La culture, c’est aussi un objet transitionnel qui permet de donner un sens à sa vie.
Et, je l’ai toujours proposé comme médiation au cours de mon exercice professionnel au Centre Hospitalier de Béziers pour que mes patients puissent lutter contre la solitude et retrouver leurs émotions et leur joie de vivre !

« Résister, c’est créer. Créer, c’est Résister »
Continuons le combat !


Jean-Louis Aguilar / Art-thérapeute et Président de l’ARAT