vendredi 21 octobre 2016

Martin Winckler : « En France, la hiérarchie médicale reproduit la hiérarchie de classe »

Le médecin et écrivain Martin Winckler dénonce dans un livre "les brutes en blanc" la maltraitance dans le monde médical : éditions Flammarion 16,90 euros


Votre dernier ouvrage, les «brutes en blanc» a fait beaucoup parler de lui. Pourquoi avoir choisi d'aborder la question de la maltraitance envers les patients ?

En tant que médecin ou suite aux témoignages de patients, j'ai pu constater un certain type de comportements qui sont très répandus. Ce qui préoccupe un grand nombre de praticiens, ce n'est pas de soigner les gens, de les soulager ou de résoudre leurs problèmes mais de faire des diagnostics brillants, de dominer les patients qui se confient à eux. La première chose qui m'a frappé quand j'ai commencé à faire mes études de médecine, puis lorsque j'ai exercé, c'est le sentiment de supériorité qui anime certains médecins.

C'est à dire ?

La maltraitance médicale ordinaire commence par les comportements les plus quotidiens, c'est par exemple la désinvolture ahurissante des « patrons » qui entrent dans une chambre et consultent un dossier en s'adressant à l'interne, sans même un regard au patient, le mépris avec lesquels certains répondent ou ne répondent pas aux familles qui leur demandent des nouvelles, les comportements infantilisant du genre « Comment va-t-il aujourd'hui le petit monsieur ? », les retards systématiques en consultation sans prévenir ni jamais présenter d'excuses, la médecine à double vitesse des praticiens hospitaliers pour qui il faut attendre des mois un rendez-vous en consultation publique mais qui vous accordent un rendez-vous dans la semaine en consultation privée … Pour une somme colossale, et enfin, le sentiment récurrent qu'on tant de patients de « déranger » le médecin ...

Comment expliquez vous cela ?

Je pense que le recrutement très sélectif fait qu'une très grande majorité d'étudiants en médecine vient de milieux favorisés. Nous sommes complètement dans le phénomène de reproduction sociale que décrivait le sociologue Pierre Bourdieu. Combien de fois ai-je entendu : « il ne faut pas croire ce que le patient te dit ? Ou encore, on ne dit pas cela au patient car il ne peut pas comprendre... Il faut que tu décides pour lui...»

Sur le plan moral c'est inacceptable. Comment accompagner un patient si on pense que l'on a, en face de nous, un imbécile ? La hiérarchie médicale reproduit les hiérarchies de classe de la société française. Il faut que les patients restent à leur place. Et puis, à l'Université on enseigne ni l'éthique, ni la psychologie, ni l'empathie. Pire, le milieu médical est un univers violent au sein duquel l'éducation se fait par harcèlement moral, humiliation pressions chantage... De nombreux blogs d'étudiants en médecine en témoigne.

Vous parlez aussi de comportements ouvertement sexistes ?

Une enquête publiée dans le quotidien du médecin révélait que 30 % des femmes médecins subissent du harcèlement sexuel durant leurs études... Il est clair que celui ci touche aussi les patientes. Comme les hommes consultent plus rarement que les femmes, les médecins ont aussi bien ancré le préjugé selon lequel les hommes se rendent chez le médecin pour des raisons valables et les femmes un peu pour n'importe quoi... Il existe encore un paternalisme très fort. On ne les prend pas au sérieux.

Certains médecins mais aussi le Conseil de l'Ordre a très mal pris la sortie de cette ouvrage.

Cette réaction est le reflet même de l'esprit de caste et de corps que je dénonce. En France, on a pas le droit de critiquer les médecins. Pourtant, il y a bel et bien une culture du comportement médical qui pose problème et qui s'exerce aussi bien entre professionnels, au sein des services dans lesquels on constate les effets délétères de la brutalité des chirurgiens sur les équipes... Peut-on tolérer que quelqu'un qui est au sommet d'une pyramide destinée à servir le public -on n'est pas dans l'armée- fasse régner la terreur? Or, c'est loin d'être une fatalité car il y a, et c'est heureux, des gens formidables au sein de cette profession. Je me considère moi comme un citoyen et je m'autorise à critiquer, si je le souhaite, l'institution médicale. Je peux aussi le faire en tant que médecin, patient ou parent de patients. Les médecins maltraitants profitent de la situation parce qu'on ne leur dit pas non. J'ai reçu, en revanche, de nombreuses réactions de patients qui se retrouvent complètement dans ces témoignages.

En tant que patient, comment s'opposer à ces formes de maltraitance ?

Il faut toujours avoir à l'esprit que selon le code de déontologie, c'est le médecin qui a des obligations envers le patient et non l'inverse. Il doit répondre à vos questions, vous informer, demander votre consentement. Il doit vous donner son avis, pas vous l'imposer ni opérer de chantage. S'il ne respecte pas ces obligations, si par dessus le marché, il vous parle mal ou vous insulte, vous n'avez aucune raison de lui faire confiance. Il faut en changer. En cas de problèmes, les associations de patients, les maisons des usagers et le Défenseur des droits sont là pour vous aider.

Anne-Marie Thomazeau
18-10-2016
http://www.viva.presse.fr/martin-winckler-en-france-la-hierarchie-medicale-reproduit-la-hierarchie-de-classe-172160

mercredi 19 octobre 2016

Martin Winckler : « Les médecins ne doivent pas être des cadors »

Ce médecin et écrivain vient de publier « Les Brutes en blanc », sévère réquisitoire contre la maltraitance médicale en France. Pour « Le Monde », il revient sur son parcours et estime que « la parole du patient est l’essence de la médecine ».


Martin Winckler a exercé la médecine générale en France de 1983 à 2008, en zone rurale et à l’hôpital. Auteur en 1998 du succès de librairie La Maladie de Sachs (P.O.L), il vit depuis 2009 au Canada. Son nouvel ouvrage, Les Brutes en blanc (Flammarion, 248 pages, 16,90 euros), suscite la polémique et l’ire de l’Ordre des médecins.

Je ne serais pas arrivé là si…
Si je n’étais pas parvenu à convaincre mon père de me laisser partir un an aux Etats-Unis. C’était en 1972, je venais d’avoir mon bac, et cela m’a ouvert un monde. En France, quand j’étais adolescent, je ne pouvais pas dire que je voulais devenir écrivain. Médecin, oui : mon père l’était, ça rentrait dans l’histoire familiale. Mais écrivain, non. Alors qu’aux Etats-Unis, quand je disais : « Je veux être un écrivain et un médecin », on me répondait que c’était deux bons métiers qui n’étaient pas incompatibles.

Qu’avez-vous fait pendant cette année américaine ?
J’étais parti avec l’association AFS Vivre Sans Frontière, qui organise des échanges familiaux entre lycéens de différents pays. J’étais logé dans une famille de Minneapolis, dans le Minnesota, et j’allais au lycée voisin, en terminale. J’y ai découvert la confiance qu’on faisait aux jeunes gens, les outils qu’on leur donnait pour apprendre par eux-mêmes, pour les aider à s’épanouir. J’y ai joué dans deux pièces, y compris le rôle principal dans une comédie musicale !
Cette année a été d’autant plus magnifique qu’adolescent, j’étais déjà très imprégné de cette culture : je lisais des romans américains et des comics books, je regardais des films américains, j’écoutais du jazz… Tout cela parce que notre père nous envoyait mon frère et moi tous les étés en Angleterre. Il voulait absolument qu’on parle cette langue couramment : il était très en avance ! C’était quelqu’un de très scientifique, et il savait que la science, c’est d’abord écrit en anglais.

De retour en France, vous commencez vos études de médecine. Quand avez-vous décidé de devenir médecin ?
Très tôt. Je voyais mon père exercer – à Pithiviers (Loiret) où j’ai grandi, son cabinet était dans la maison. Je l’accompagnais parfois dans ses tournées… Il avait été pneumologue, puis médecin généraliste. Très jeune, sa manière d’exercer m’a donné envie de faire la même chose. Quand je voyais les patients sortir, lui serrer la main en lui disant : « Docteur, ça m’a fait beaucoup de bien de vous parler », je me disais que c’était un beau métier. C’était un médecin de famille. Un « soignant », c’est-à-dire quelqu’un qui soigne.

Vous arrivez donc à la faculté de médecine, à Tours…
Et très vite, je me retrouve extrêmement frustré. Et en colère. Car ce que je voyais à la fac ne correspondait pas du tout au modèle que j’avais eu à la maison ! Ni à ce que j’avais imaginé durant mon séjour aux Etats-Unis. J’avais visité des hôpitaux à Minneapolis, j’avais parlé avec des étudiants, je pensais que les études en France, ce serait pareil… Et je découvrais brutalement que nous avions quarante ans de retard.

L’attitude élitiste des professeurs ! Leurs discours sexistes ! Le bizutage ! Un système autoritaire, paternaliste, où l’on maltraite et méprise les étudiants qui deviennent eux-mêmes violents. J’ai tout de suite trouvé ça insupportable. Dès ma première année, j’écrivais des pamphlets que j’affichais sur les murs du restaurant universitaire !

Cet esprit très critique qu’on vous connaît, ça remonte donc à loin…
Cela vient en partie de mon père, qui était lui-même très critique vis-à-vis du système dans lequel il avait été éduqué. Il me parlait de grands patrons qui étaient des ordures absolues, à qui il avait tenu tête. De l’antisémitisme, aussi. Il avait fait ses études à la faculté de médecine d’Alger, et il me racontait qu’il avait fait pneumologie parce que le chef de service de pneumologie était juif et qu’il l’était aussi. J’étais donc éveillé au fait que ce n’était pas de la tarte !

Et puis, mes parents étaient des gens extrêmement ouverts. Mon père avait grandi à Bab el-Oued, quartier très populaire d’Alger, son cabinet médical était aussi à Bab el-Oued, le dispensaire dans lequel il travaillait soignait surtout des gens pauvres, donc des musulmans… Pour lui, soigner, c’était soigner tout le monde. Ce sont des valeurs qui m’ont été transmises. Et il y a les miennes propres. J’ai horreur des abus de pouvoir, de la discrimination, qu’on humilie les gens. Ce sont des choses contre lesquelles je me révolte spontanément.

Vous êtes né à Alger, et n’êtes arrivé à Pithiviers qu’à l’âge de sept ans, après un passage en Israël. Quels souvenirs gardez-vous de cette période ?
Très peu. J’ai dû beaucoup enfouir et refouler, et je me souviens surtout de ce que nos parents nous ont raconté plus tard. L’Algérie, on a dû la quitter du jour au lendemain, en 1961. On a eu de la chance : mon père avait été prévenu que l’OAS avait mis sa tête à prix. Il ne tenait pas à ce que l’indépendance fasse partir la France, mais il n’était pas non plus franchement Algérie française. C’était un médecin qui voulait soigner tout le monde, qui ne voulait pas prendre les armes. Quand quelqu’un lui a dit qu’il fallait faire attention, il a décidé de s’en aller du jour au lendemain.

De ce départ précipité, du passage éclair en Israël, mes parents ont beaucoup souffert moralement. Ils étaient sionistes, et pour eux, c’était évident : s’ils quittaient l’Algérie, c’était pour Israël. Mais cela n’a pas marché.

A Jaffa, où nous avons passé presque un an, mon père n’a pas trouvé de travail. Il avait déjà presque 50 ans, il ne parlait pas bien l’hébreu, c’était un immigrant… Ils ont donc dû faire leur deuil de cet alya, et ce fut une grande blessure pour eux. Nous sommes arrivés à Pithiviers par un concours de circonstances : un médecin cherchait à céder sa clientèle, la maison était grande, il y avait un jardin avec une balançoire… Mon père a décidé d’installer sa famille à cet endroit.

Quel rapport avez-vous avec le judaïsme ?
Je suis athée, mais c’est pour moi un bagage culturel très important. Et non exempt de critiques. Je n’ai pas du tout une vision idéalisée d’Israël. Je pense qu’il devrait y avoir deux Etats, et qu’on devrait tout faire pour qu’Israéliens et Palestiniens vivent en paix. Mais ce n’est pas un sujet qui me concerne particulièrement.

Quand commencez-vous à écrire ?
Vers 10-12 ans : des énigmes policières, des nouvelles de science-fiction. Mes parents étaient des raconteurs d’histoires, et de grands lecteurs. L’écriture, pour moi, cela a d’abord été cela : raconter des histoires. Puis me raconter : je tiens un journal depuis l’âge de 14 ans, qui se prolonge aujourd’hui dans les blogs sur lesquels je m’exprime.
En grandissant, c’est aussi devenu un outil de partage, d’échange. Juste après avoir fini mes études et m’être installé, en 1983, je suis devenu rédacteur pour la revue Prescrire. J’y suis resté six ans. C’est là que j’ai écrit les premiers textes personnels sur ma propre pratique, qui m’ont servi de matrice pour certains chapitres de La Maladie de Sachs.
Dès l’adolescence, quand je lis Arsène Lupin, Sherlock Holmes ou Agatha Christie, je voulais être un auteur de science-fiction. Mais il se passe un certain temps avant que je puisse envisager de faire de la « littérature ».

Je lis très peu de classiques quand je suis jeune, je découvre Madame Bovary à 30 ans… Mais quand je lis La Vie mode d’emploi, de Georges Perec, je suis ébloui. Enfin un écrivain, un intellectuel qui donne l’impression d’être toujours en train de s’amuser ! Perec était un grand lecteur de fictions populaires, il n’arrête pas de citer les auteurs de romans policiers ou de science-fiction. C’est lui qui m’a le plus aidé à démystifier le métier d’écrivain. Je commence alors un roman, que je ne finis pas… Et puis un jour, alors que je travaille dans un centre d’interruption de grossesse à l’hôpital du Mans, je me demande : c’est quoi ce travail, d’avorter les femmes ? En quoi ça consiste ? Cela donnera La Vacation (P.O.L, 1989), mon premier roman.

C’est là que vous prenez votre nom de plume ? Que le docteur Marc Zaffran devient Martin Winckler ?
J’avais déjà pensé à ce pseudonyme au moment de la mort de Pérec, en hommage au Gaspard Winckler de La Vie mode d’emploi. En 1989, c’est donc de ce nom que je signe La Vacation. Le livre ne marche pas bien mais il a été publié et me rapporte un peu d’argent. Et puis je suis avec l’éditeur de Perec, Paul Otchakovsky-Laurens, qu’est-ce que je peux demander de mieux ?
Je commence alors à écrire un autre roman, avec un objectif très simple : je veux montrer qu’un médecin est une personne comme une autre, et décrire ses relations avec les patients qui viennent le voir. Et j’ai cette idée : tout le monde va raconter sa vision des choses. On m’a dit par la suite que ce roman illustrait exactement mon point de vue de médecin, selon lequel tout patient a droit à la parole, à l’écoute. Mais je l’ai fait intuitivement, sans l’avoir théorisé !

Ce fut donc « La Maladie de Sachs », qui obtint le prix du Livre Inter 1998 et se vendit à plus de 600 000 exemplaires. Comment expliquez-vous un tel succès ?
Le prix a beaucoup aidé, mais il n’explique pas tout. Les gens ont été touchés par ce livre, ils l’ont offert autour d’eux. Ce fut la même chose avec Le Chœur des femmes (P.O.L, 2009). Dans les années qui ont suivi sa publication, j’ai reçu tous les jours – tous les jours ! – un ou deux messages de lectrices.
Mes livres leur parlent de leur vie, d’une manière qui je crois les respecte, qui leur donne leur place. J’ai une très bonne oreille : je retiens bien ce qu’on me raconte et la manière de le faire. Cela aide ceux qui me lisent à se reconnaître, et à avoir envie d’être écoutés de cette manière – ce qui devrait toujours être le cas.
On apprend énormément des gens qui nous parlent, ils nous apprennent la vie en nous racontant la leur. C’est pour cela que les soutenir, les soulager, c’est la moindre des choses ! Et que s’il y a une chose qui m’horripile, c’est ce sentiment très répandu chez les médecins français – pas tous, mais beaucoup d’entre eux – qu’ils sont supérieurs à ceux qu’ils soignent.

Une exaspération qui vous a fait vous installer à Montréal ?
Je suis parti en 2009, dès que j’ai pu briguer une bourse de chercheur d’un an. Cela m’a permis d’emmener ma famille, d’avoir un permis de travail et de demander une résidence permanente. Mais cela faisait déjà dix ans que j’allais régulièrement au Québec. Grâce à La Maladie de Sachs ! Car pour les Canadiens, c’était un roman sur l’éthique médicale. J’ai donc découvert que je faisais de la prose sans le savoir, et j’ai eu envie d’en apprendre plus sur cette discipline – ce que je ne pouvais pas faire en France.

L’univers médical que vous avez trouvé au Canada est-il vraiment différent ?
Il repose sur un autre paradigme, qui est que la parole du patient est l’essence de la médecine. Je vais vous donner deux exemples. A la faculté de médecine francophone de Montréal, il y a un programme que l’on appelle « patients partenaires », dans lequel tous les étudiants en médecine se font proposer un mentor qui est un patient souffrant d’une maladie chronique. De même, à l’université McGill, l’interview de recrutement des étudiants en médecine – qui se fait sur dossier, pas sur concours – est réalisée par un médecin et un patient.

Quelles sont vos activités à Montréal, où vous n’exercez plus la médecine ?
Principalement l’écriture. Je collabore à des blogs médicaux, j’écris des articles dans des revues culturelles sur les séries télé – une de mes passions. J’ai aussi passé deux ans à faire une maîtrise en bioéthique. Et je participe à deux enseignements, de façon modeste mais significative pour moi : un atelier d’écriture pour les étudiants en médecine de l’université McGill, et un séminaire à la faculté d’Ottawa sur le thème médecine et humanités.

La clinique ne vous manque pas ?
Si, bien sûr. J’ai fait un choix radical, c’est vrai. Mais on ne peut pas rester éternellement dans une situation de frustration. Je suis très heureux à Montréal. Très heureux au Canada en général, où l’état d’esprit est infiniment plus tolérant et respirable que celui de la France – surtout en ce moment ! Et puis écrire, c’est encore faire de la médecine ! Je partage le savoir.
Quand j’écris un livre sur la contraception ou sur le pouvoir abusif des médecins, ce n’est pas seulement pour exercer la critique : c’est pour donner des outils. C’est pour ça que je termine Les Brutes en blanc en disant à mes lecteurs que s’ils ont un problème avec un médecin, il vaut mieux porter plainte au pénal qu’à l’Ordre des médecins.

Ce livre, sous-titré « La maltraitante médicale en France », est extrêmement sévère envers ce que vous appelez « la caste médicale de la Ve République ». Pourquoi avoir jeté ce pavé dans la mare, alors que vous vivez au Canada ?
Parce qu’il arrive un moment où la masse d’informations dont vous disposez, sur un sujet très important, est telle que ça ne peut plus faire l’objet d’un simple article. Il faut faire une somme, même si elle est forcément temporaire et partiale.
J’ai accumulé tant d’expériences personnelles en tant qu’étudiant en médecine puis en tant que médecin. Les patients et d’autres professionnels de santé m’en ont tant raconté. Il y a tant d’articles, de livres, qui témoignent de la progression de la pratique médicale dans d’autres pays… J’ai donc essayé de faire une somme de tout ça.
Et d’expliquer de quelle maltraitance il s’agit en France, et ce qu’elle suggère : le sentiment qu’on donne aux médecins qu’ils sont des cadors. Ce qui est moralement inacceptable et fait le lit de la violence.

Comment espérez-vous que ce livre sera reçu ?
J’espère qu’il donnera une bouffée d’air aux patients. Ainsi qu’à certains médecins, qui savent tout ça et qui seront bien contents que quelqu’un le dise à leur place. Il y a aussi des médecins de bonne volonté, qui ne se rendent pas compte qu’ils sont maltraitants parce qu’ils sont eux-mêmes opprimés par le système, et qui vont peut-être se dire : « Quand même, je dois pouvoir faire autrement »… C’est la seule chose que j’espère.

L’Ordre des médecins a publié, le 7 octobre, un communiqué regrettant que vous ayez fait « le choix de la caricature et de l’amalgame », et estimant que votre livre vise « à réduire l’ensemble de la profession médicale à des maltraitants ». Comment réagissez-vous à cette accusation ?
L’Ordre trouve plus important de « défendre l’image de la profession » en accusant un citoyen de « se faire de la publicité » qu’en se préoccupant des comportements de ses membres. C’est de la langue de bois en teck. Je trouve ça à la fois significatif, ridicule et futile.

Propos recueillis par Catherine Vincent
LE MONDE | 16.10.2016 à 07h43 • Mis à jour le 16.10.2016 à 17h24 |
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/10/16/martin-winckler-les-medecins-ne-doivent-pas-etre-des-cadors_5014541_3232.html#IAdtD7ttr8cdrAuU.99

« Les brutes en blanc - Pour en finir avec la maltraitance médicale en France »,
Flammarion, 16, 90 euros, 248 pages

vendredi 14 octobre 2016

Mon père veut mourir !

PLAIDOYER POUR LA LÉGALISATION DE L'EUTHANASIE EN FRANCE 


Mon père à son 90e anniversaire le 19 janvier 2012 avec ma mère.

Mon père est devenu au fur et à mesure du temps qui passe un homme usé par la vie et la maladie.
En 2016, à l'âge de 94 ans, cloué dans un fauteuil roulant pour handicapé, il ne trouve plus de sens à sa vie !
Depuis plusieurs années, sa santé décline entraînant une perte d'autonomie et une grande dépendance, ainsi qu'une grande souffrance morale et physique. Mon père ne le supporte pas et il n'a jamais supporté son inutilité.
Sa vie n'a pas de sens, plus rien ne le retient, ni le boire, ni le manger, ni la vie...
Ce combat entre Eros et Thanatos, c'est Thanatos qui le gagne !

Et en avril 2016, rien ne va plus.
Il fait un premier malaise sur le balcon, et son calvaire commence !
Les pompiers, les urgences, puis retour à l'envoyeur pour malaise vagal !

Le 31 mai 2016, il tente d'en finir en faisant une tentative de suicide (TDS) tant tragique que dérisoire. Profitant que ma mère change de pièce, il se jette la tête la première sur la porte-fenêtre pour en casser le double vitrage. Mais le double vitrage ne casse pas et c'est sa tête qui s'ouvre comme une pastèque !
Je suis alerté par la télésurveillance qui me dit que mon père est à terre. Je me rend au domicile de mes parents, j'arrive avant les pompiers.
Les pompiers arrivent.
Mon père me dit cette phrase terrible : " Nous sommes abandonnés, je l'ai fait exprès !"
Dans un accès anxieux, il a voulu en finir avec la vie, mais il a raté...
Je ne le comprendrai que bien plus tard en parlant avec mon épouse, qui m'ouvrira les yeux en me disant qu'il a essayé de se tuer.
Il part avec les pompiers aux Urgences de l'hôpital, il est 15 h.
J'accompagne l'ambulance aux urgences, et je me glisse dans le couloir du service des Urgences pour donner mon n° de portable à un soignant. Un médecin me stoppe et me dit de sortir immédiatement !
J'explique à cette dame que j'accompagne mon père et que je suis un ancien de l'hôpital de Béziers.
Elle me répond qu'elle aussi est de l'hôpital et elle me met à la porte !
A 20 h, je n'ai pas de nouvelles de mon père !
Je suis inquiet sur le devenir de mon père, est-il toujours vivant ?
Je téléphone une première fois aux Urgences.
Un infirmier me répond que mon père est en train d'être suturé par le médecin, et que je dois rappeler dans un quart d'heure.
A 20h15, je rappelle, je tombe sur le médecin.
Je me présente et je lui demande des nouvelles de mon père. Il me répond : "Je n'ai pas le temps, j'ai d'autres urgences à voir !" et il raccroche brutalement le téléphone !!!
Je rappelle l’accueil des Urgences, je tombe sur la standardiste qui me semble plus humaine que le médecin urgentiste. Elle me dit : "Rappelez et demandez le Dr Colin-Maillard* ".
Je la remercie pour son aide.
Je rappelle le Dr Colin-Maillard*, celui qui semble jouer à cache-cache avec les patients et leurs familles. Je me présente et je demande des nouvelles de mon père. Il me dit qu'il est surbooké, qu'il vient de prendre sa garde, il se plaint de ses conditions de travail. Il ne me donne pas de nouvelles de mon père, il est dépassé ...je n'insiste pas.
Mon père est renvoyé à son domicile à 23h30 dans un état déplorable.
Je le réceptionne, des croûtes de sang coagulé parsèment son crâne, il s'est pissé dessus, on ne lui a pas donné ni eau, ni alimentation de toute la journée !
Il arrive escorté par deux ambulanciers, il vomit une bile noire !
Nous le mettons au lit avec les ambulanciers, et il s'endort immédiatement épuisé.
L'aspect psychologique n'a pas été pris en compte, on l'a recousu et renvoyé une nouvelle fois.

Le 11 juin, de plus en plus faible, il fait un nouveau malaise à son domicile.
Le SAMU est appelé, mais ce sont les pompiers qui font les premiers secours ( ils sont formés au secourisme).
Mon père à 4 de TA, il est en train d mourir !
En soulevant mon père de son fauteuil roulant pour le transporter, ils le font basculer en arrière et il se cogne violemment la tête contre un meuble.
Il est reparti aux Urgences de l'hôpital qu'il redoute par-dessus tout !
Il est ensuite muté en cardiologie pour malaise cardiaque. Deux jours après on lui pose un pace-maker et on lui remet un traitement pour hyper -TA !
Le Dr B. cardiologue avait bien spécifié qu'il ne fallait pas de traitement pour l'hyper-TA, et de surcroît qu'il ne faisait pas d'arythmie, ni de bradycardie.
Donc, pas de pace-maker à un patient qui est en train de mourir !
Son dossier n'a pas été lu, pourtant il contenait toutes les indications et conduites à tenir.
L'hôpital est devenu un lieu déshumanisé ou les soignants et les médecins ont peur de la montée de la judiciarisation que les usagers mécontents ont provoqué, ils se retranchent derrière leur technicité, des actes opératoires, des protocoles.
Ils ont tout fait, ils se protègent pour être inattaquable !

Alors qu'il est rentré à l'hôpital en fauteuil roulant et qu'il faisait les transferts dans son appartement en déambulateur.
Dix jours plus tard, mon père est devenu grabataire, il a été sondé et de surcroît il a récolté une infection urinaire !
Ma sœur, voyant son état, demande au médecin une mutation dans un service de soins de suite et de réadaptation (SSR).
La mutation à lieu le 21 juin.
Il semble vouloir reprendre le combat pour la vie, mais c'est de courte durée.
Je rencontre le médecin gériatre Dr Marie-Chantal* le 27 juin, qui me dit brutalement que le temps d'hospitalisation dans son service est de 3 semaines et qu'il me faut trouver un placement en EHPAD. Et, si je ne le fais pas moi-même, elle s'en chargera pour trouver une place dans le premier établissement venu ! Je me retrouve désespéré devant cette injonction médicale, trouver un placement en l'espace de quinze jours.
En discutant avec une infirmière du service, elle me donne une solution dans l'urgence, faire une demande de long séjour à l'hôpital.
Cependant mon père décline, il fait des malaises et l'équipe ne le stimule plus pour le lever au fauteuil et elle le laisse au lit. Il se plaint de fortes douleurs, j'alerte le médecin du service qui mettra 3 jours pour prescrire un antalgique !

Mais le plus dur pour lui et sa famille reste à venir.
Le 2 août, il est muté en long séjour (statut d'EHPAD), dans le service d'à côté, son calvaire va s'intensifier. Une infirmière me dit : "votre père n'est pas très poli, il ne dit pas s'il vous plaît, merci !" Le médecin du service le Dr A Guichets Fermés* me dit : "votre père a un caractère de cochon !"
Est-ce que ce n'est pas déjà une maltraitance faite à un homme qui est en train de mourir ?
Je revois cette infirmière et m'étonne que mon père soit abandonné dans une chambre sans aucune aide pour le faire manger. Elle me répond qu'il est opposant et qu'elle ne peut pas le forcer à manger.
En outre, elle me raconte qu'elle est en charge de 24 malades, que le service est en sous effectif et qu'elle n'a pas le temps de s'occuper de mon père.
Je demande à voir le médecin.
Il fait le forcing pour ne pas me recevoir, mais j'obtiens malgré tout un rendez-vous.
Je suis reçu par le médecin et le cadre de santé, elles se sont concertées pour préparer l'entretien, j'ai l'impression d’être devant un tribunal. Elles me disent dans un accord parfait que mon père est opposant aux soins, à la prise de traitements, à l’alimentation !
Le cadre me dit qu'elle peut en témoigner. Je comprend surtout qu'elles ont peur du procès en justice, alors que je suis venu demander des nouvelles de la santé de mon père.
Mon père a été catalogué d'opposant thérapeutique, elles n'ont pas vu que c'est un homme qui est seul face à la mort. Elles n'ont pas vu que je suis un fils qui ne supporte pas l'acharnement thérapeutique qui est infligé à son père.
Comme l'hôpital a changé, je ne reconnais plus cet hôpital ou j'ai travaillé pendant 34 ans.
Les soignants et les médecins ont peur, ils se protègent et ne s'engagent plus humainement !
Le médecin me propose de muter mon père dans une clinique psychiatrique ( peut-être en tant qu'opposant thérapeutique ? ).
Ils n'ont pas compris que mon père livre son dernier combat avec la mort !
Sa façon de résister, c'est de dire non aux soignants.
Non, vous n'aurez pas le dernier mot, semble-t-il vouloir dire enfermé dans sa douleur et son incapacité à parler.
Je me heurte au pouvoir médical, à la toute puissance du spécialiste qui sait et qui me coupe la parole comme à un subalterne.
Mon père me dit qu'une infirmière lui a dit de dire s'il vous plait merci pour demander quelque chose.
Elle n'a pas compris qu'il est en train de mourir et qu'il n'a plus la force de faire des courbettes.

J'apprends fortuitement qu'un psychiatre est venu en consultation à son chevet le 22 septembre et qu'il a prescrit un anti-dépresseur (Norset) ! Un anti-dépresseur à un mourant, je ne comprend plus ou plutôt je comprend qu'ils sont dépassés...
Personne ne me parle de l'accompagnement du mourant, mais l'infirmière du service me glisse qu'il faut que j'amène des vêtements pour l'habiller quand il sera mort.
Le lendemain, j'accompagne ma mère qui a 89 ans et elle me dit cette phrase : "Puisqu'il ne mange plus et qu'il ne boit plus et qu'il veut mourir, pourquoi lui avoir mis un pace-maker ?"
La fulgurance de la pensée chez une femme qui ne connaît rien à la médecine.


Mon père sur son lit d'agonie et de mort le samedi 1e octobre 2016

Je suis désespéré, mon père est abandonné à son triste sort.
Il râle, il a mal, il agonise seul et abandonné !
Le Dr A Guichets Fermés* est parti en congé la veille, en laissant mon père agoniser sans traitement antaigique. avec comme seule médication un anti-dépresseur Norset, pour utiliser ses effets secondaires qui sont augmentation de l'appétit et prise de poids me dit l'infirmière !
Ouvrir l’appétit à un mourant ? est-ce de l'ironie ou de l'incompétence ?  
Je croyais savoir qu'il existait l'accompagnement du mourant et les soins palliatifs pour que les personnes ne souffrent pas à l'hôpital ! 
A ce moment, je ne sais plus rien, mais je veux me battre pour mon père, pour qu'il ne souffre plus !
Je demande à l'infirmière du service d'arrêter les traitements et en particulier l'anti-dépresseur et je veux voir le médecin remplaçant, mais il ne sera en service que le lundi 3 octobre.

Le lundi 3 octobre, je vais à l’hôpital pour voir le Dr Sons et Lumières* , je me présente et demande l'arrêt de tous les traitements en accord avec ma mère et ma sœur.
Le médecin me reçoit comme un chien dans un jeu de quille et il me dit que ce n'est pas son patient et que je dois m'adresser au médecin des Soins palliatifs. Il me plante là dans le couloir de l'hôpital et s'enfuit sans autre forme de procès. 
Je me heurte à la toute puissance médicale, à l'incompétence, à la lâcheté, à la déshumanisation totale des hôpitaux qui ne sont concernés aujourd'hui que par la rentabilité de l'hôpital-entreprise.
Quelle tristesse de voir cet hôpital que j'ai tant aimé, tant défendu et qui me fait horreur aujourd'hui !
Mon père lui agonise depuis 4 jours !
L'infirmière du service choquée par le comportement inhumain du médecin, alerte immédiatement le service des Soins palliatifs. Elle m'obtient un rendez-vous avec le médecin des Soins palliatifs le mercredi 5 octobre à 9h15.

Je rencontre le médecin responsable des Soins palliatifs, elle m'écoute pendant 1 heure raconter l'agonie de mon père depuis 4 mois, mon désarroi devant la situation.
Dans les 5 minutes qui suivent elle est au chevet de mon père et prescrit immédiatement 2 seringues automatiques, l'une de morphine, l'autre de sédatif et myo-relaxant, nous somme le mercredi 5 octobre, mon père agonise depuis 6 jours sans traitement, sans médecin avec seulement la bonne volonté des infirmières.
Le seul médecin qui a pris ses responsabilités avec professionnalisme, c'est le médecin des Soins palliatifs, il a fait preuve d'écoute, de compassion, d’humanité.


Le 9 octobre à 4h du matin, son calvaire se termine enfin.


Jean-Louis AGUILAR / son fils

les noms en italiques ont été travestis, mais les personnes citées se reconnaîtront !

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Mon père a toujours dit " Laissez-moi tranquille !", il voulait mourir dans la dignité et on l'a empêché de le faire ! En août, il avait demandé à l'infirmière de le faire mourir, mais personne ne l'a écouté et on a répondu à sa demande par un anti-dépresseur !
En France, on ne peut toujours pas décider de sa mort.
Je viens de comprendre en assistant à la lente agonie de mon père pendant 4 mois que la légalisation de l'euthanasie est nécessaire et urgente en France.
C'est de la maltraitance et de l'acharnement thérapeutique qui sont infligés en toute légalité aux personnes âgées en fin de vie.
Je pense à mon père et aux milliers de personnes abandonnés à ces pratiques dans des lieux qui sont en réalité des mouroirs.
Par humanité, par compassion, nous avons le devoir d'éviter cette souffrance aux malades qui en font la demande. Cette souffrance, c'est aussi la souffrance des familles.

Je vais aider l'Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité (ADMD), peser sur les politiques pour changer la loi, la loi Leonetti n'a rien changé :
- absence d'unités de soins palliatifs
- poursuite de l'acharnement thérapeutique
- surdité de certains médecins à l'égard des patients demandant un apaisement de leur douleur
- multiplication des drames de fin de vie.

Blog de l'ADMD :
http://www.admdblog.fr/Fin-de-vie-Droit-de-mourir-La-legislation-actuelle-favorise-les-derives-Corse-Matin_a3759.html

Les soignants sont dépassés par le vieillissement de la population, il convient de les aider.
Aidons aussi les infirmières qui sont seules et désespérées par ce que l'on leur impose et évitons qu'elles se suicident car on ne les écoute plus !
https://www.facebook.com/gerard.sanchez.16940?fref=ts#