mardi 14 juin 2016

DU COMPLEXE AU SYNDROME DE LA « MERE MORTE » Vincent Estellon

Du complexe au syndrome de la « mère morte » : Les effets d’une dépression maternelle sévère sur le fonctionnement psychique de l’enfant. 

Par le « complexe de la mère morte »[1] André Green désigne une expérience que peut traverser l’enfant lorsque sa mère, après avoir été un objet chaleureux, excitant, vivant, source de vitalité et de gaieté pour lui, devient subitement froide, éteinte, atone, comme morte. Présente et vivante, dévorée par une dépression sévère (liée à un deuil réel ou à une déception amoureuse), cette mère est subitement trop triste pour s’intéresser de façon vivante à son enfant. Même si elle est là et proche dans l’espace – de sorte qu’elle ne disparaît pas forcément du champ de perception – elle n’est pas là ; telle une poupée de cire absorbée en elle-même dans un sinistre ailleurs : elle a perdu le goût de vivre. De cette présence se dégage une atmosphère de dépression « à contre vie »[2]. Il ne s’agit donc pas des effets de l’absence de la mère, mais des qualités particulières de sa présence : une présence morte. Green précise qu’il s’agit d’une dépression soudaine (et non pas chronique), de sorte à exposer subitement l’enfant à la perte, au vide, à l’impuissance,  à la solitude, d’une façon comparable à ce qui peut être vécu dans l’expérience du deuil : « Le trait essentiel de cette dépression est qu’elle a lieu en présence de l’objet, lui-même absorbé par le deuil. (…) Ce qui se produit alors est un changement brutal, véritablement mutatif de l’imago maternelle. Jusque là, ainsi qu’en témoigne la présence chez le sujet d’une authentique vitalité qui a connu un brusque arrêt, un grippage où elle demeure désormais bloquée, une relation riche et heureuse s’était nouée avec la mère. L’enfant s’est senti aimé avec tous les aléas que suppose même la plus idéale des relations. Les photos du jeune bébé le montrent dans l’album de famille, gai, éveillé, intéressé, gros de potentialités, tandis que les clichés ultérieurs témoignent de la perte de ce premier bonheur. Ce changement de position subite, inhérent à une grave dépression maternelle entraîne chez l’enfant une transformation de l’imago maternelle. Cette catastrophe dans la relation mère-enfant a lieu à un moment où l’enfant est trop jeune pour élaborer psychiquement la situation. En plus de perdre une certaine qualité de lien, l’enfant perd le sens. » [3]Ne trouvant pas d’explication à cette perte, et se vivant comme centre de l’univers maternel, il peut s’imaginer responsable de ce changement. Green montre aussi que si cette catastrophe relationnelle apparaît au moment où le bébé découvre l’existence du tiers (le père), ce dernier sera susceptible d’être désigné coupable de ce changement ; ce qui n’arrangera rien du point de vue de la triangulation œdipienne. Dans d’autres cas, le bébé est pris entre la mère morte et le père inaccessible de telle sorte que du point de vue relationnel, plus rien ne tient. Ce désinvestissement massif, incompréhensible – souvent plus ou moins bien refoulé dans la psyché de l’enfant – aura des effets pathogènes dans la construction de son narcissisme et pèsera dans ses relations objectales futures. Comment confier plus tard son amour à un être susceptible de devenir subitement comme mort à la relation ? « Tout sera terminé comme pour les civilisations disparues, dont les historiens cherchent en vain la cause de la mort en faisant l’hypothèse d’une secousse sismique qui aurait détruit le palais, le temple, les édifices et les habitations, dont il ne reste plus que ruines. Ici, le désastre se limite à un noyau froid, qui sera ultérieurement dépassé mais qui laisse une marque indélébile sur les investissements érotiques des sujets en question. » [4] Parmi ces désastres, on note la perte de la vitalité des échanges, la fragilisation du socle narcissique (de la confiance en l’identité en tant qu’elle engage une mêmeté d’être), la perte du socle de la confiance en l’autre, fragilisation extrême de la croyance dans le lien, la perte du sens du lien amoureux. Chez ces sujets, on retrouve d’ailleurs souvent une grande difficulté à s’investir dans une relation amoureuse. Sur fond de narcissisme blessé, le sujet élabore souvent un idéal du moi démesuré. Il est essentiel de rappeler que l’identification de ce complexe de la mère morte devient lisible ou déchiffrable dans le transfert, par le transfert : c’est même une « révélation du transfert ». L’analyste peut éprouver une étrange discordance entre la dépression de transfert et un comportement à l’extérieur où la dépression ne s’épanouit pas. On serait proche de ce que Chabert qualifie de « dépression masquée ». Pour Green, l’enfant après avoir tenté de réanimer ce lien par diverses conduites de désespoir (agitation, insomnie, terreurs nocturnes etc.) va bien souvent développer deux types de réponses défensives :
La plus courante développe un mouvement unique à deux versants : le désinvestissement de l’objet maternel et l’identification inconsciente à la mère morte. Dans ce désinvestissement, assimilable à un meurtre psychique, l’objet est désinvesti sans haine. La destruction de cet objet fera place à un « trou psychique ». Là est un pas très important franchi par la pensée de Winnicott : la destruction ne se réduit pas toujours à une destruction de l’objet, elle peut prendre la forme de négation de l’existence de l’objet. (meurtre par néantisation de la présence en personne de l’autre). Le deuxième versant de ce mouvement consiste en une identification (inconsciente) à la mère morte : l’enfant mime en miroir – comme sur un mode empathique – cette mère morte. Il pourra développer ce potentiel de s’abstraire de la réalité affective ambiante de façon soudaine et inexpliquée. Le sens de la relation est comme perdu. Ces deux mouvements peuvent paraître superficiellement de nature contradictoire : Comment ou pourquoi s’identifier à un objet que l’on désinvestit ? Green montre habilement que cette identification est largement inconsciente. La mère morte, d’une certaine manière devient un objet incorporé. Et grâce à cette opération le sujet fait exister un lien vivant en lui avec cet objet morbide incorporé.

La deuxième solution touche à « la perte du sens » : l’enfant confronté à l’impuissance construit des interprétations erronées dans lesquelles il s’attribue la responsabilité de ce changement. Green écrit : « il y a un écart incomblable entre la faute que le sujet reprocherait d’avoir commise et l’intensité de la réaction maternelle. Tout au plus pourrait-il penser que cette faute est liée à sa manière d’être plutôt qu’à quelque désir interdit ; en fait, il lui devient interdit d’être.[5] » Cette perte du sens ouvre toutefois sur des contraintes à imaginer et/ou à penser qui développeront parfois de manière très précoce les potentialités à créer et/ou à intellectualiser. Le surinvestissement de la créativité peut s’entendre comme une manière d’éviter la rencontre et le partage avec l’objet. Pour Green, certains artistes choisissent la créativité par delà la relation amoureuse, et même pour s’affranchir de l’objet. Et pour cause ! L’objet est variable, incontrôlable, soumis à une activité désirante propre : il peut apparaître et disparaître à sa guise, vous aimer et ne plus vous aimer, s’installer progressivement dans votre monde interne pour disparaître au moment où ce dernier commence juste à faire une place pour cet objet… La créativité, elle, dépend uniquement de vous. Et même si elle contient l’espoir d’un retour positif de l’autre et permet parfois un partage émotionnel, ce partage a souvent lieu au plan de la gratification narcissique. Il ne s’agit pas d’un partage au sens fort du terme. Et sur un versant pervers, on pourrait même avancer que ce qui est recherché chez l’autre, c’est une forme de reconnaissance à valeur d’étayage narcissique. Ainsi, pervers et créateur refusent tous deux d’une certaine manière le monde tel qu’il est pour lui préférer un monde créé par eux.

Au-delà de ces deux types de réponses, on constate l’effet désorganisateur de ces traumatismes précoces sur la construction des phénomènes transitionnels chez l’enfant (parfois surinvestis) mais surtout sur la vie amoureuse du futur adulte marquée d’une grande difficulté à aimer et caractérisée par une excessive vulnérabilité dans la façon de vivre le lien. Comme si avait été perdu le sens d’une relation amoureuse. Dans certaines manifestations cliniques, la solution « créative » est loin d’être trouvée. On trouve alors des phénomènes d’ « hyperactivité », d’agitation maniaque, où le sujet est incapable de fixer son attention sur un seul objet, on trouve – dans un déguisement par contraire – la marque d’un même désespoir, le désespoir mélancolique. Comment faire tenir l’objet sans un minimum de croyance dans le fait que cet objet sera capable de tenir, d’exister, de survivre ? Dans l’expression mythomane, il y aurait cette tentative effrénée de maintenir présente l’illusion d’un moi idéal depuis longtemps blessé, abîmé, destitué, mais le sujet n’en veut rien savoir, car ce serait pour lui tomber dans le néant. C’est sans doute aussi le cas dans les conduites de dépendance où l’objet prothèse – béquille d’un Moi blessé – tente de lui faire croire qu’il peut tout, et qu’avec cet objet, il s’auto-suffit. L’énergie que pourra dépenser un sujet à s’accrocher désespérément à son objet d’élection est à la mesure du vide intérieur que laisserait la perte de cet objet, ou de la blessure hémorragique qu’elle ouvrirait dans un moi peu assuré de sa consistance. Ces solutions esquissées (agitation stérile, manies, dépendances, mythomanie) peuvent constituer d’autres destinées par lesquelles le sujet tentera de remplir et combler de façon désespérée et compulsive ces trous psychiques.

Green relève la présence de ce « syndrome » de la mère morte chez de nombreux artistes dont certains sont véritablement et authentiquement « créatifs » mais pourtant totalement incapables d’aimer. Ce fol investissement dans cette capacité créative de « jouer », « manipuler », « déformer » ou « produire » les objets inanimés peut être également entendue comme une tentative d’attirer l’attention de la mère pour la distraire ou la consoler. Ce « jouer –créer » se situerait plus du côté d’une attente de reconnaissance par l’autre que d’une possibilité de s’accomplir et de s’oublier dans la création. Cette stylisation singulière s’éloigne ainsi de l’optique kleinienne qui voit la « créativité » comme une réparation. Roland Barthes conforte l’intuition de Green lorsqu’il note : « Savoir qu’on n’écrit pas pour l’autre, savoir que ces choses que je vais écrire ne me feront jamais aimer de qui j’aime, savoir que l’écriture ne compense rien, ne sublime rien, qu’elle est précisément là où tu n’es pas – c’est le commencement de l’écriture. »[6]

Green aurait-il été marqué par la lecture de Roland Barthes ? Le chapitre Fading dans Fragments d’un discours amoureux (1977) ne parle pas d’autre chose que du complexe de la mère morte. Barthes écrit : « FADING : Épreuve douloureuse selon laquelle l’être aimé semble se retirer de tout contact, sans même que cette indifférence énigmatique soit dirigée contre le sujet amoureux ou prononcée au profit de qui que ce soit d’autre, monde ou rival. (…) Le fading de l’autre, quand il se produit, m’angoisse parce qu’il semble sans cause et sans terme. Tel un mirage triste, l’autre s’éloigne, se reporte à l’infini et je m’épuise à l’atteindre.»[7] Et se référant à Proust, Barthes évoque cette expérience de fading (barrage) déchirante lorsque peu avant de mourir, la grand-mère du Narrateur, par moments, semble absente au lien à l’autre, à sa reconnaissance : elle le regarde « d’un air étonné, méfiant, scandalisé. » (Proust, Le côté des Guermantes, p. 334). Il poursuit : « Il est des cauchemars où la mère apparaît, le visage empreint d’un air sévère et froid. Le fading de l’objet aimé, c’est le retour terrifiant de la Mauvaise mère, le retrait inexplicable de l’amour, le délaissement bien connu des mystiques : Dieu existe, la mère est présente, mais ils n’aiment plus. Je ne suis pas détruit, mais laissé là, comme un déchet. » [8] Barthes note : « La jalousie fait moins souffrir, car l’autre y reste vivant. Dans le fading, l’autre semble perdre tout désir, il est gagné par la Nuit. Je suis abandonné de l’autre, mais cet abandon se redouble de l’abandon dont il est saisi lui-même ; son image est de la sorte lavée, liquidée ; je ne puis plus me soutenir de rien, pas même du désir que l’autre porterait ailleurs : je suis dans le deuil de l’objet lui-même endeuillé (de là, comprendre à quel point nous avons besoin du désir de l’autre, même si ce désir ne s’adresse pas à nous). »[9]
« Lorsque l’autre se prend de fading, lorsqu’il se retire, au profit de rien, sinon d’une angoisse qu’il ne peut dire qu’à travers ces pauvres mots : « je ne me sens pas bien », il semble se mouvoir au loin dans un brouillard ; non point mort, mais vivant flou dans la région des Ombres ; Ulysse leur rendait visite, les évoquait (Nekuia) ; Parmi elles était l’ombre de sa mère ; j’appelle, j’évoque ainsi l’autre, la Mère, mais ce qui vient n’est qu’une ombre. »[10] Le seul amour possible gelé par le désinvestissement, donne lieu à une forme d’amour qui maintient l’animation de l’autre (l’objet aimé) en hibernation. L’objet aimé est selon Green, « hypothéqué par la mère morte »[11].

Le film de Stephen Daldry, The Hours, (2002) met en scène remarquablement le roman de Michael Cunningham qui traduit les idées ici développées. Laura Brown (interprétée dans le film par Juliane Moore) est une mère au foyer dans l’Amérique des années 50. Elle vit une intense dépression existentielle : hantée par son propre suicide qu’elle tente de commettre, elle préfère abandonner sa famille pour vivre sa vie de femme, loin des obligations familiales et ménagères. Le film comme le livre donnent à entendre comment son fils Richie perçoit de manière très aigue la dépression maternelle. Plus tard, on le retrouve adulte, (Ed Harris) écrivain, d’une lucidité sans nom,  séropositif, gay, seul, aimé par son amie éditrice, Clarissa Vaughan laquelle ne cesse de donner des réceptions « pour couvrir le silence ». The Hours donne à travers le destin de Richie devenu Richard, une illustration magistrale de la théorie de Green sur la mère morte. Ce qui est remarquable c’est que l’écrivain Richard, fait mourir sa mère dans son dernier roman. Ce désir de mort de la mère, vécu passivement par l’enfant, est retraité activement bien plus tard, grâce à l’écriture d’une fiction. On perçoit très justement dans ce film que la création artistique ne « répare pas » les blessures du désinvestissement. Green précise : « Arrêtés dans leur capacité d’aimer, les sujets qui sont sous l’emprise d’une mère morte ne peuvent plus aspirer qu’à l’autonomie. Le partage leur demeure interdit. Alors la solitude, qui était une situation angoissante change de signe. De négative, elle devient positive. Elle était fuie, elle devient recherchée. Le sujet se nide. Il devient sa propre mère, mais demeure prisonnier de son économie de survie. Il pense avoir congédié sa mère morte. En fait, celle-ci ne le laisse en paix que dans la mesure où elle est elle-même laissée en paix. Tant qu’il n’y a pas de candidat à la succession, elle peut bien laisser son enfant survivre, certaine d’être la seule à détenir l’amour inaccessible. » [12]
Un autre auteur – lui, psychanalyste – semble également avoir largement inspiré la formalisation d’André Green. Il s’agit de D. W. Winnicott. Ce dernier, dès 1971, relevait que les mères déprimées n’ont plus la possibilité d’offrir à leurs enfants de se voir dans leurs yeux. Les « yeux de la mère, considérés comme premier miroir pour les yeux de l’enfant » [13] sont devenus ternes, comparables à des miroirs sans teint ; ne disposant plus du pouvoir de refléter – et de contenir narcissiquement – l’appel au contact émotionnel émanant de l’enfant. Dans ces yeux obscurs, l’enfant ne perçoit plus son propre reflet mais plutôt l’humeur sinistre de la mère qui fait intrusion dans son espace et sa temporalité narcissique. Ces expériences répétées participeraient à la consolidation excessive du faux self et à la fixation à certaines composantes partielles (anales) des capacités transitionnelles. Dans une certaine mesure, la créativité se fonde sur la capacité à s’illusionner. Ceux qui n’ont pas eu la chance de s’illusionner dans les yeux de la mère, dans le regard de la mère plus exactement, éprouveront des difficultés à s’illusionner. Hors, Winnicott montre que pour accepter la désillusion, encore faut-il avoir été illusionné ! Dans cet article, il met en relation la capacité d’illusion et l’internalisation de l’objet maternel. Les bébés qui n’ont pu s’illusionner sont toujours en train de chercher dans le regard maternel des réactions leur indiquant si elle approuve ou désapprouve leur intention. On trouve ici sans doute une des origines possibles à ce trait du cas limite bien souvent comme « scotché » à la réalité externe. Plutôt que de s’appuyer sur un objet interne suffisamment constitué pour assurer une certaine constance, le sujet va s’appuyer sur des éléments de la réalité externe pour les interpréter (souvent projectivement) et réagir (de façon erronée). La porte d’entrée aux identifications projectives est grande ouverte, car peut-être, ce qui est recherché dans les identifications projectives c’est d’attendre de l’autre qu’il provoque l’illusion ou la désillusion. Or l’on ne peut obliger l’autre à devenir illusionniste forcé, et c’est ainsi qu’un grand nombre de cas limites souffrent d’une vie amoureuse complexe et chaotique, tant la place accordée à l’objet a du mal à se défaire de cette impérieuse demande (folle). Tout se passe comme si le rapport apparu/disparu dans l’espace de la réalité externe établissait une équivalence au plan de la réalité psychique avec le rapport mort/vivant. Ce rapport d’équivalence s’étendrait même à d’autres qualités définissant les objets vivants : « qui bouge/inerte », « qui parle/silencieux ». Dans son ouvrage Jouer avec Winnicott, André Green revient sur l’article de Winnicott de 1951 « Objets transitionnels et phénomènes transitionnels » ayant inspiré un grand nombre de développements présents dans Jeu et réalité (1971). La lecture de Green met en relief ce qui est présent en 1951 et absent dans la reprise théorique synthétique de 1971. Par exemple, cette présentation de l’objet transitionnel dès 1951 comme « possession non-moi » au sein de laquelle l’objet est défini comme un « négatif du Moi ». Green note : « Distinguer comme le fait Winnicott, le premier objet de la première « possession non-moi » élargit notre pensée, surtout si cette expérience se situe dans une zone intermédiaire entre deux parties de deux corps, bouche et sein, ce qui va créer un troisième objet entre eux, non seulement dans l’espace réel qui les sépare, mais aussi dans l’espace potentiel de leur réunion après leur séparation. »[14]. Green montre à partir d’un exemple clinique[15] présent dans l’article de 1951 mais absent dans Jeu et réalité, comment la construction des capacités transitionnelles nécessité que l’objet primordial soit suffisamment présent mais également suffisamment absent. Ce rapport entre absence et présence devant être suffisamment tempéré. Pas trop présent (empiétant, persécutant), mais pas trop absent (une absence trop longue pouvant être vécue comme une mort de l’objet). La constitution de l’objet interne dépendra du bon dosage (suffisamment tempéré) de cette rythmicité mais aussi de la qualité de présence de cet objet externe. Si la mère est absente trop longtemps (plusieurs jours), le souvenir de la représentation interne s’efface, les phénomènes transitionnels perdent alors toute signification pour l’enfant. Green souligne que l’on assiste alors au désinvestissement de l’objet. Pour jouer avec l’absence de l’objet, encore faut-il être capable de jouer avec l’illusion de sa présence ! Green en développant la notion de « sein rapporté » (in Narcissisme de vie, narcissisme de mort, 1980, Paris, Minuit, 1983, p 233) apporte un objet théorique essentiel pour comprendre la vie amoureuse de grand nombre d’artistes – authentiquement créatifs – mais totalement incapables d’aimer et de s’épanouir dans une relation objectale stable. Fréquemment, cette relation objectale est hypothéquée par le lien à la mère, véritable passion pour la mère – « passion folle » pour la mère ou plus exactement, pour la mère à l’intérieur- de sorte qu’aucun nouvel objet ne peut atteindre la dignité et la prégnance de cet objet fixé et idéalisé. L’idéalisation, une façon de se débarrasser de l’autre, ou plus exactement de l’altérité de l’autre.


[1]A. Green, 1987,  Narcissisme de vie, narcissisme de mort, Paris, minuit, 2007
[2] A. Green, 2010, Pourquoi les pulsions de destruction ou de mort ? Paris, Editions de l’Ithaque, p. 127.
[3]Kohon G. et all., 2009, Dialogue avec André Green, in Essais sur la mère morte, Paris, Ithaque, p. 87
[4] A. Green, 1987,  Narcissisme de vie, narcissisme de mort, Paris, minuit, 2007, p. 256.
[5] Ibidem pp. 258-259.
[6] Roland Barthes, 1977, Fragments d’un discours amoureux, Paris, Seuil, p 116.
[7] Roland Barthes, 1977, Op. cit.,  p. 129
[8] Barthes R, 1977, Ibidem, p. 130.
[9] Ibid., p. 130.
[10] Ibid., p. 130.
[11] Green A, 1980, Op. cit., p 236.
[12]Ibidem.,  p. 237.
[13]Winnicott D. W. (1971), « Le rôle de miroir de la mère et de la famille dans le développement de l’enfant », in Jeu et réalité, Paris, Gallimard, 1975, pp. 153-162.
[14] André Green, 2005, « L’intuition du négatif dans Jeu et réalité », in Jouer avec Winnicott, Paris, PUF, p.21
[15] Il est question de deux frères dont les destins à la transitionnalité diffèrent. Il est remarquable que celui ayant trouvé dans les ressources transitionnelles une signification performative se mariera, fondera une famille, tandis que l’autre frère restera célibataire.

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Les cahiers du D.E.P.S.

~ Revue en ligne du Diplôme d’État de Psychologie Scolaire de l'Université Paris Descartes