vendredi 11 mars 2016

La bientraitance au plein cœur de la narration systémique 2/3 par Adeline Gardinier

Adeline Gardinier-Salesse
psychologue clinicienne, psychothérapeute, thérapie familiale, thérapie systémique.


Un exemple clinique signifiant : le cas de Monsieur X

Le Docteur D avait exprimé une incompréhension et un réel désœuvrement lors d’une décompensation délirante de Monsieur X, un  de ses patients dépressifs chroniques. Alors qu’il exprimait une inquiétude importante pour celui avec qui il avait construit une alliance thérapeutique solide, je ne pouvais m’empêcher de commencer à espérer une vie meilleure pour ce patient. Certes, le chemin serait dangereux mais la rébellion de son psychisme marquait qu’il ne pourrait plus jamais emprunter les voies défensives chaotiques d’antan.

Le souffrant serait dorénavant obligé de faire face à ses fantômes inconscients afin de retrouver le bien être. Une psychothérapie de deux ans permit ce dénouement. Le patient passa par des étapes douloureuses et déstabilisantes. Il ne pouvait, en effet, se désengager très lentement d’une « manie psychique » héritée des anciens, pathologiquement défensive, et en lien avec une histoire familiale tri générationnelle complexe. La retraite et le départ des enfants avaient sans nul doute étaient des événements du cycle de la vie dangereusement précipitant mais paradoxalement constructifs durant ce réveil d’authenticité !

Monsieur X avait, dans son parcours de vie, traversé un grand nombre d’épisodes dépressifs. Les traitements signifiants administrés, à chaque temps aigu, lui avaient permis de récupérer un état de stabilité suffisant à la reprise des modalités de fonctionnement anciennes. Toutefois chaque période pathogène, soignée par ce leurre chimique, ne faisait qu’accentuer la problématique sous-jacente et rigidifier les dysfonctionnements ! De la même façon qu’un virus devient plus résistant aux médicaments lorsque le contexte environnemental de sa prolifération n’est pas suffisamment maîtrisé par les humains, un conflit interne s’enkyste davantage si les systèmes d’appartenance dans lesquels il se développe ne sont pas assez considérés. La camisole chimique est ainsi autant pour le virus que pour la souffrance psychique un remède éphémère ! La douleur morale est condamnée à s’intensifier si son contexte d’expression n’est pas traité!

Ce parallèle métaphorique est donc destiné à souligner l’importance d’une approche exhaustive d’un problème afin de l’appréhender de manière pertinente. Un regard trop médicalisé sur la maladie mentale conduit au non-sens, voire à l’accentuation des troubles !

Une aide pertinente respectant le rythme phobique du souffrant

L’état de tension massif, dans une problématique saturée, doit très lentement diminuer pour que l’élaboration de ce conflit interne puisse s’opérer. Chaque remaniement psychique mobilise un stress indispensable au dépassement du changement. Faire baisser trop rapidement la charge résistante, c’est se priver de l’ingrédient anxiogène indispensable à une adaptation progressive. Si la tension diminue trop vite, le souffrant ne dispose plus du carburant suffisant à l’élaboration du problème.

L’apaisement immédiat, dicté par le sédatif, ne peut alors se traduire que dans la pulsion de mort puisqu’il n’est pas possible d’effectuer ce soulagement psychique instantané par un travail introspectif express ! Le psychisme ne peut se mettre au diapason de cet état physiologique chimiquement apaisé qu’en s’inhibant totalement dans un sommeil profond : la mort. En effet, à partir du moment où la pensée fonctionne à minima, il ne peut y avoir que dissonance déstabilisante entre un mental non délivré de ses angoisses et un corps décontracté. Puisque le souffrant ne peut se libérer aussi rapidement de ses tensions conflictuelles, puisque des remaniements psychiques longs sont nécessaires, la guérison imminente dictée par la petite molécule ne peut trouver cohérence que dans le recours à l’inertie psychique totale ! La demande paradoxale de guérison dans la tension se trouve dans cet unique dénouement mortel trouvé par la psyché.

Sachant que dans la problématique très rigidifiée d’une crise enkystée, chaque mouvement minime d’avancement positif suscite un stress intense, le chemin est long et périlleux avant d’atteindre un nouvel équilibre stable et non contraignant.

Ma réflexion s’est davantage posé sur le traitement médical des troubles mentaux dans la mesure où mes patients souffrent plus de pathologies psychiatriques. Toutefois, je rencontre également des consultants atteints de maladies somatiques lourdes. La considération par les soignants, de la manière dont ces malades se positionnent dans leurs systèmes d’appartenance, est tout aussi importante dans la qualité de la prise en charge proposée.

Sachant que dans la problématique très rigidifiée d’une crise enkystée, chaque mouvement minime d’avancement positif suscite un stress intense, le chemin est long et périlleux avant d’atteindre un nouvel équilibre stable et non contraignant.

Ma réflexion s’est davantage posé sur le traitement médical des troubles mentaux dans la mesure où mes patients souffrent plus de pathologies psychiatriques. Toutefois, je rencontre également des consultants atteints de maladies somatiques lourdes. La considération par les soignants, de la manière dont ces malades se positionnent dans leurs systèmes d’appartenance, est tout aussi importante dans la qualité de la prise en charge proposée.

Cette co-construction thérapeutique du sens du symptôme, dans le contexte où il est apparu, permet d’extraire les fragilités défensives du patient afin de ne pas les alimenter au travers d’un dispositif médical non adapté.

Ainsi,  le système thérapeutique réunit l’aidant et l’aidé un travail de co-partenariat leur donnant une position symétrique. Le savoir du patient est aussi signifiant que le savoir de l’accompagnant. Le premier  détient la maîtrise des sciences humaines, le deuxième a accès au contexte le plus pertinent à établir pour faire opérer la pensée de l’autre. L’intérêt de ce partage est de créer une complicité où chacun osera questionner, détailler, approfondir car la censure de l’infériorité n’existe pas.

Les bienfaits d’une position basse ou symétrique de l’aidant
La position actuelle de l’aidant est malheureusement souvent ancrée dans un paternalisme révélant ses fragilités narcissiques. Les réunions cliniques sont remplies d’exemples où les fragilités du consultant sont systématiquement abordées. Par contre, les manques et les remises en question du soignant sont quasi absents. Ce constat souligne une réalité alertante. L’aidant ne s’autorise pas à apprendre et à à être curieux pour découvrir le plaisir d’avancer et de donner.

Les diagnostics nosographiques envahissent le discours des médecins lors des échanges cliniques. Ils révèlent le besoin de réassurance dans des schémas assez rudimentaires. Ils mettent surtout en relief la phobie des soignants à affronter leurs manques. Si la connaissance sur les processus psychiques n’en est qu’à ses balbutiements, c’est bien que l’homme a peur de se pencher sur ses fragilités. En effet, le fait de travailler les lacunes oblige systématiquement à un apprentissage et donc à un avancement. Le problème n’est donc pas le manque. Il est au contraire nécessaire à tout désir, à toute pulsion vitale. Le principal biais est la phobie de l’homme à élaborer ses failles. Ses groupes d’appartenance ne transmettent pas suffisamment l’idée d’un droit de défaillir, de la nécessité d’ailleurs de ne pas être parfait.

Au contraire, la société actuelle le presse davantage de tout maîtriser et de tout réussir ! Cette attitude systémique a de lourdes résonances puisqu'elle entrave le processus d’évolution de l’homme. Cette pensée alimente les fragilités narcissiques humaines puisqu’elle entretient l’idée délirante que le savoir doit se construire de façon innée et non sur des bases déficitaires. Ainsi, la stratégie défensive inconsciente, face à cette honte du manque, est de la projeter sur autrui. Les soignants comme les patients doivent apprendre à légitimer leurs faiblesses mais ils doivent aussi apprendre à refuser de les dénier.  C’est la condition pour intégrer un savoir constructif.

La position basse adoptée avec les consultants depuis plus de 15 ans m’a ainsi permis d’apprendre énormément. En effet, la capacité à reconnaître ses manques se traduit par une curiosité importante et une application constante à se remettre en question. Ainsi la compétence, à co-construire avec le patient des représentations systémiques structurantes, s’est étayée sur l’acceptation de mon inexpérience originelle. L’acceptation d’afficher une image de non expert auprès du patient a permis de questionner et de recueillir les informations nécessaires à la compréhension de nombreux processus psychiques.

L’investigation approfondie de l’histoire singulière de chaque consultant aide, en fait, à saisir la pertinence de la pensée systémique lorsqu’elle s’applique à ‘individu. Chaque jour, j’apprends car chaque jour le consultant livre une histoire de vie permettant d’élargir mon champ d’horizon sur les lois communicationnelles du bien-être. Le consultant a la solution dans son problème. Il détient le savoir essentiel. Le regroupement de nombreux récits de patients met, en effet, en relief des règles universelles à dégager du fonctionnement humain. Le soignant, fort de ce partage avec un grand nombre de souffrants, pourra alors aider ceux-ci à décoder leurs fragilités défensives.

Ainsi, chacun participe à la construction d’un savoir qui fait avancer. Le patient et le soignant puisent, mutuellement, dans les connaissances de l’autre les clés de l’avancement thérapeutique. Cette évolution ne serait donc pas possible si l’information n’était recherchée que d’une manière unidirectionnelle. Il faut, en effet, à la fois la grille de lecture du soignant et le témoignage de l’expérience intra et inter-subjective des patients.

La suite de cet article (3e et dernière partie) la semaine prochaine...

http://adeline-gardinier.blogspot.fr/2014/12/la-bientraitance-au-plein-cur-de-la.html