mardi 22 mars 2016

Roland Gori dans Pensées en résidence - Réseau Le Bunker

Maladies mentales : démêlons le vrai du faux

Maladies psychiatriques et neurologiques 21/03/2016


Déstigmatiser les maladies mentales, tel est le but des semaines de la santé mentale. Cycles de conférences, ateliers… partout en France, ont lieu des événements pour diminuer les fantasmes et les préjugés sur les maladies. Démêlons le vrai du faux à partir de cinq idées reçues.

Une maladie mentale, c’est juste la bipolarité et la schizophrénie :
Faux

Si ce sont les maladies mentales les plus connues, l’appellation recouvre aussi les troubles anxieux et dépressifs, mais aussi les troubles du spectre autistique.


Il y a assez de pédagogie : 
Faux

Ces deux semaines ont vocation à informer. Sur tout le territoire, plusieurs stands d’information ont vocation à faire connaître les associations, les aides disponibles et les moyens de s’en sortir.

Les problèmes psychiques peuvent toucher beaucoup de monde : 
Vrai

Selon le docteur Julien Dubreucq, psychiatre au centre de réhabilitation sociale de Grenoble, les pathologies psychiques peuvent potentiellement concerner n’importe qui. Rien à voir avec l’âge ni avec la catégorie sociale. Potentiellement, 20% de la population française souffrirait de maladies mentales.


Il y a souvent des retards au diagnostic : 
Vrai

En effet, le plus embêtant, c’est qu’on se rend pas toujours compte que l’on est concerné. On observe par exemple un retard diagnostic de quasiment 10 ans sur le sujet des troubles bipolaires.

Il y a un lien entre santé physique et santé mentale : 
Vrai

L’activité physique a un impact sur le mieux être et un effet protecteur sur les troubles anxieux. Cela n’exclut pas de suivre les traitements appropriés à sa pathologie. On peut vivre avec ces maladies, même si elles ne facilitent pas le quotidien, bien au contraire…


Source :  France Bleu
http://www.voixdespatients.fr/maladies-mentales-demelons-le-vrai-du-faux.html

lundi 21 mars 2016

La bientraitance au plein cœur de la narration systémique 3/3 par Adeline Gardinier

Adeline Gardinier-Salesse
psychologue clinicienne, psychothérapeute, thérapie familiale, thérapie systémique.

Le diagnostic systémique libéré des risques de mauvais traitement du diagnostic nosographique

L’alliance thérapeutique est l’ingrédient indispensable à l’établissement d’une prise en charge pertinente. La preuve solide de cette réalité réside dans le fait que des outils systémiques efficaces (tels que la pensée circulaire, la recherche de la fonctionnalité du symptôme, la maîtrise des phénomènes temporels paradoxaux du temps de crise) n’auraient jamais pu être inventés si ce co-partenariat médical n’avait pu exister.

En effet, l’analyse exhaustive de l’histoire du patient et son savoir exprimé sur les jeux interactionnels dans ses systèmes d’appartenance ont permis de dégager des principes thérapeutiques importants. Ils ont permis de se désengager d’une pensée linéaire biaisée pour s’ouvrir à une pensée circulaire plus parlante. Chaque partie du système s’influence mutuellement. Chacun est agi par l’autre et agit sur l’autre dans un même mouvement.

Donc si une action produit une réaction alors cette réaction, en retour, peut modifier cette action originaire dans un même mouvement. Ce savoir sur l’interdépendance des comportements, des émotions, des croyances, des représentations entre les êtres humains offrent une vision cohérente de la réalité. Il permet de déduire le sens du symptôme. De ce fait, il donne les pistes de travail afin de substituer au trouble du patient une solution moins sacrificielle afin de rééquilibrer son système.

Le diagnostic linéaire, se référant à une description figée des symptômes et des maladies, offre peu de possibilités d’avancement. Certes, il met en avant une information scientifique sur la nature du manque. Il requiert en cela la participation aidante du soignant. Par contre, l’implication du patient est nécessaire afin de donner sens à ce manque.

Chaque histoire est unique et ne peut être réduite à une classification sur les déficits. Le diagnostic nosographique entrave la prise de connaissance du récit de vie singulier des personnes rencontrées. Il conduit aux stéréotypes, au non-recueil d’informations dans leur exhaustivité. Il influence les regards et mène trop souvent à l’impasse thérapeutique. Le souffrant a tendance à s’enfermer dans un mouvement passif lorsqu’il décode sa souffrance à partir d’une nosographie. Il ne s’approprie pas sa douleur et l’attribue à des facteurs extérieurs et non maîtrisables. Il se fige alors dans sa problématique de manière victimisée « Si je n’étais pas bipolaire, cancéreux, je pourrai faire tant de choses ! ».

Ce discours parasite les possibilités d’avancement du sujet, non conscient de sa position d’acteur par rapport à son devenir. Seule une analyse profonde de l’histoire et du fonctionnement du sujet révèle les chemins à emprunter afin d’ouvrir un champ des possibles. Il n’y a pas un récit entendu qui n’ait dévoilé son sens et la légitimité de ses protagonistes lorsqu’il a été élaboré.

Chaque défense, réaction, ressenti, jeu relationnel, pensée, comportement, délire, symptôme sont, potentiellement, interprétables lorsqu’ils sont associés aux éléments historiques et contextuels périphériques leur donnant sens. L’importance de se livrer à une enquête détaillée concernant le vécu du consultant est alors primordiale. Cette narration guidée, par le thérapeute, donne les clés à son auteur. En échangeant, le patient découvre une logique et une pertinence à son fonctionnement et ses dysfonctionnements.

Le diagnostic nosographique fait, de ce fait, obstacle au déploiement de ce récit singulier puisqu’il généralise là où il faut encourager la mise en mot d’un vécu individuel. Sans cette dynamique d’expression, le consultant ne peut accéder aux raisons de ses actes et ressentis et par là même il ne peut trouver ses solutions. Il doit comprendre pourquoi ses anciennes stratégies défensives ne sont pas opérantes. La narration impliquée de son histoire permet une mise en lien génératrice de sens. Ainsi, il ne faut pas oublier d’envisager le diagnostic linéaire dans sa dimension défensive afin d’éviter l’enfermement dans des processus thérapeutiques schématisés non opérants.

Le diagnostic systémique est opérant dans la mesure, où le sujet est amené à travailler le problème à partir de ses richesses et de ses compétences. En effet, le symptôme est envisagé dans sa dimension pleine et non dans sa dimension manquante  (contrairement au diagnostic nosographique linéaire). Il est appréhendé dans sa connotation informative. Il renseigne sur les dysfonctionnements communicationnels. En cela, il livre les solutions au problème. Il permet de rechercher d’autres moyens non symptomatiques pour pallier aux défaillances relationnelles qu’il met en relief.

Le paradoxe thérapeutique né de processus adaptatifs laborieux
Un système d’appartenance à ne pas négliger, dans le système thérapeutique, constitue le système d’adaptation au changement. Sa prise en compte est essentielle afin d’assurer la bonne marche de la prise en charge. En effet, les lois d’intégration de  la nouveauté dans un cadre familier sont importantes à maîtriser afin d’aménager une dynamique d’aide pertinente. La prise en compte du système d’ajustement  évite bien des biais temporels et d’appréciation.  Des grands principes paradoxaux tels que la recrudescence des symptômes dans le début de leur résolution, la nécessité de l’introduction progressive de nouveaux schémas défensifs, se dégagent de la considération de ces propriétés systémiques.

Le symptôme, appel au changement, s’accentue dans les premiers temps de sa résolution puisqu’il intervient comme force opposée à la transformation. Dans la dynamique systémique, la recrudescence des troubles dans les débuts d’un traitement s’éclaire. Ce regard élargi permet au soignant de considérer les régressions comme des processus naturels sur le chemin d’avancement. Cette information évite bien des découragements du côté des soignants et des patients. Elle permet surtout d’être attentif à la nature et l’intensité des résistances contextuelles afin d’adapter le degré et la forme d’intervention thérapeutique.

En effet, plus le patient est dans une rigidité de transformation existentielle signifiante, plus l’élément étranger du traitement devra être intégré progressivement lorsque cela est possible. La systémique donne les codes d’un partenariat pertinent entre patient et soignant. L’écoute du souffrant dans son histoire de vie permet de comprendre la manière dont s’articulent ses troubles à ce vécu de crise. Elle donne les clés afin de respecter le rythme plus ou moins phobique du patient dans sa confrontation au changement. Cet ajustement est lui-même associé aux capacités adaptatives du sujet à réorganiser  ses fonctions dans ses systèmes d’appartenance. Le symptôme vient en effet révéler la rigidité du déséquilibre, les transformations interactionnelles signifiantes auxquelles le sujet doit se confronter et le rythme d’avancement.

Les résonances personnelles de l’aidant dans le système thérapeutique
Un dernier système très important à prendre en considération dans la démarche « bientraitance » est le système représentationnel de l’accompagnant.  Ses croyances et Ses divers schémas de pensée, construits sur son histoire de vie, vont en effet  impacter l’évaluation du traitement mis en place. Les interférences communicationnelles, engendrées par l’irruption du miroir déformant des problématiques non réglées de l’aidant, vont alors entraver la compréhension clinique de ce qui est vécu dans « l’ici et maintenant » de la relation thérapeutique.

Cette réalité  met en relief l’importance de ne pas négliger les fragilités personnelles de l’écoutant et leur résonance dans le système thérapeutique. Pour cela, il est essentiel que les aidants disposent d’outils de travail indispensables tels les supervisions et les groupes de parole. Seuls les temps de partage interpersonnel, de centration sur ses résonances internes, de prise de recul, d’analyse groupale permettent une étude pertinente des situations cliniques. Ils évitent le biais des déformations personnelles de l’accompagnant et l’écho émotionnel trop bruyant de certaines prises en charge. En effet, les dysfonctionnements du sujet fragilisé peuvent réveiller les propres fragilités de son interlocuteur. Dans cette dynamique, il est essentiel de proposer un espace où l’aidant pourra réfléchir à la manière dont ses manques personnels parasitent le soin.

Pour donner davantage support à la manière dont ces projections internes peuvent être signifiantes dans la qualité d’un suivi, voici quelques pistes de réflexion. Le sujet soutenant peut, entre autre, induire chez le souffrant des mouvements indifférenciés handicapants lorsqu’il présente une problématique d’affirmation non dénouée. Il peut éprouver des difficultés à suivre des souffrants au fonctionnement limite, hystérique, obsessionnel s’il est parasité par les résonances d’un conflit antérieur avec des protagonistes de même personnalité. Il peut occulter, dans ses échanges thérapeutiques, des informations importantes sur la fratrie, la relation de couple, l’attachement aux enfants si ces liens sont sensibles dans son histoire de vie. Il peut encore s’enfermer dans une évaluation stérile et critique des symptômes, expression d’une névrose non réglée !

Cette série d’exemples n’est qu’une ébauche furtive de la manière dont les résonances contraignantes de l’aidant peuvent parasiter les suivis. Ces illustrations diversifiées sont destinées à mettre en relief la manière dont l’histoire personnelle de l’accompagnant, dans ses dimensions obscures, peut facilement impacter la qualité des prises en charge ! Cette réalité clinique est  souvent occultée. Le corps médical est pris dans un paradoxe d’intervention.

Le soignant est son propre outil de travail. Il ne peut donc être compétent avec ses patients que s’il est un bon aidant vis-à-vis de lui-même. En effet, il doit guider le souffrant dans la prise en charge de ses dysfonctionnements. Il doit, pour cela, être capable de repérer ses propres fragilités et les maîtriser s’il ne les a pas encore dénouer. Il est indéniable que s’il n’a pas cette disposition, ses problématiques personnelles impacteront la qualité du suivi. Une des bases éthiques est donc de s’engager dans cet exercice de soin avec la motivation essentielle à travailler ses manques. Le recrutement des soignants devrait pouvoir s’étayer sur cette condition indispensable.

La politique actuelle est loin de l’aménagement prioritaire d’espaces de réflexions et d’introspection pour tout soignant. La société est piégée dans des principes erronés, des objectifs de rendement, de performance et d’urgence. Le biais temporel est là encore le principal acteur de cette dichotomie entre soin et travail. Le respect, donné au temps nécessaire à la réflexion avant d’agir, demeure un point capital à toute possibilité d’avancement. A quoi sert de se perdre dans une production inopérante car non élaborée ? La dimension de soin souligne encore plus l’importance d’un travail dans le bon rythme. L’efficacité médicale est intriquée au paradoxe temporel.

Plus les soignants lâchent prise, plus ils prennent le temps et le recul nécessaires afin d’analyser les situations cliniques, plus ils peuvent proposer des prises en charge pertinentes. La systémique met, ainsi, en relief la composante ralentie du soin : Plus de réflexions, moins d’actions pour de meilleurs soins et un meilleur travail.

Conclusion
Pour terminer, je voudrais simplement vous raconter une anecdote :

Un médecin justifie l’abandon d’une prise en charge par le fait que le patient ne lui parle pas. Il reproche à la psychologue d’entretenir une relation privilégiée avec le souffrant. A la question de sa collègue « Lui poses-tu des questions, comment t’intéresses-tu à son histoire de vie ? », il répond « non parce qu’il ne parle pas !»

Est-ce que cette anecdote vous aide à repérer les compétences essentielles de deux experts : celui qui détient les informations indispensables et celui qui sait les faire dire pour proposer une grille de lecture pertinente. La consultation partagée est alors au cœur de la réussite de l’acte de bientraitance ! Selon moi, il ne peut pas se concevoir une attitude d’aide, de respect, d’attention et d’implication positive auprès d’une personne fragilisée sans cette réflexion contextuelle et systémique !

dimanche 13 mars 2016

Exposition d’Art-Thérapie : ANIMO

Hôtel-Dieu Toulouse
13 au 17 avril 2016
de 9h00 à 19h00

Vernissage le 13 avril 2016 à 18h30

ANIMO



Anima est le souffle, avec lui c’est la vie ou la mort. Nous le partageons avec les animaux. Ils ont la même origine que nous. Mais notre espèce aujourd’hui risque de les supplanter. Pourtant nous avons toujours eu besoin d’eux, pour jouer et raconter de belles fables, pour se nourrir en les chassant, pour travailler en les domestiquant, pour alimenter notre imagination en leur attribuant des rôles symboliques. Mais est-ce que nous les respectons ? Ils nous font vivre toute la palette des émotions depuis la tendresse jusqu’à la peur. Ils peuvent se laisser apprivoiser ou rester sauvages. Nous ne pouvons pas vivre sans eux, mais ils peuvent vivre sans nous, chacun avec leur spécialisation. Ils ont toujours figuré dans les productions artistiques, réalistes ou susceptibles de transformations, métamorphoses. Ils ont eu un rôle dans toutes les religions, les croyances, les épopées. Tantôt dominateurs, tantôt victimes, du côté du bien ou du mal. On leur a donné la parole, mais leur situation est de plus en plus précaire. Ils ont servi la science, mais ils finiront en cage ou au zoo. Ils sont la nature, mais nous détruisons leur liberté et leur diversité, au risque de périr nous-mêmes tant nous en dépendons. Mais elle reprendra toujours, par-dessus notre orgueil, notre inconscience ou notre bêtise. Comment pourrions-nous atteindre leur sagesse, où chacun tient son rôle dans les limites de son territoire.
Qu’en apprendre à nos enfants qui tiennent tant à leurs nounours ?
Où sont les plus dangereux, à l’extérieur, ou à l’intérieur de nous-mêmes ?

GRANIER F.


Soirée - débat :

Librairie Ombres Blanches

5, rue Mirepoix – 31000 Toulouse

(1ère rue à droite dans la rue

Gambetta, en venant du Capitole)

Le lundi 11 / 04 / 16 à 18h00

Service de Psychiatrie, Psychothérapies et Art-thérapie
Dr F. GRANIER
330 avenue de Grande-Bretagne
TSA 70034 - 31059 TOULOUSE Cedex9
Tél: 05 34 55 75 06 Fax: 05 34 55 75 16
Mail : granier.f@chu-toulouse.fr

vendredi 11 mars 2016

La bientraitance au plein cœur de la narration systémique 2/3 par Adeline Gardinier

Adeline Gardinier-Salesse
psychologue clinicienne, psychothérapeute, thérapie familiale, thérapie systémique.


Un exemple clinique signifiant : le cas de Monsieur X

Le Docteur D avait exprimé une incompréhension et un réel désœuvrement lors d’une décompensation délirante de Monsieur X, un  de ses patients dépressifs chroniques. Alors qu’il exprimait une inquiétude importante pour celui avec qui il avait construit une alliance thérapeutique solide, je ne pouvais m’empêcher de commencer à espérer une vie meilleure pour ce patient. Certes, le chemin serait dangereux mais la rébellion de son psychisme marquait qu’il ne pourrait plus jamais emprunter les voies défensives chaotiques d’antan.

Le souffrant serait dorénavant obligé de faire face à ses fantômes inconscients afin de retrouver le bien être. Une psychothérapie de deux ans permit ce dénouement. Le patient passa par des étapes douloureuses et déstabilisantes. Il ne pouvait, en effet, se désengager très lentement d’une « manie psychique » héritée des anciens, pathologiquement défensive, et en lien avec une histoire familiale tri générationnelle complexe. La retraite et le départ des enfants avaient sans nul doute étaient des événements du cycle de la vie dangereusement précipitant mais paradoxalement constructifs durant ce réveil d’authenticité !

Monsieur X avait, dans son parcours de vie, traversé un grand nombre d’épisodes dépressifs. Les traitements signifiants administrés, à chaque temps aigu, lui avaient permis de récupérer un état de stabilité suffisant à la reprise des modalités de fonctionnement anciennes. Toutefois chaque période pathogène, soignée par ce leurre chimique, ne faisait qu’accentuer la problématique sous-jacente et rigidifier les dysfonctionnements ! De la même façon qu’un virus devient plus résistant aux médicaments lorsque le contexte environnemental de sa prolifération n’est pas suffisamment maîtrisé par les humains, un conflit interne s’enkyste davantage si les systèmes d’appartenance dans lesquels il se développe ne sont pas assez considérés. La camisole chimique est ainsi autant pour le virus que pour la souffrance psychique un remède éphémère ! La douleur morale est condamnée à s’intensifier si son contexte d’expression n’est pas traité!

Ce parallèle métaphorique est donc destiné à souligner l’importance d’une approche exhaustive d’un problème afin de l’appréhender de manière pertinente. Un regard trop médicalisé sur la maladie mentale conduit au non-sens, voire à l’accentuation des troubles !

Une aide pertinente respectant le rythme phobique du souffrant

L’état de tension massif, dans une problématique saturée, doit très lentement diminuer pour que l’élaboration de ce conflit interne puisse s’opérer. Chaque remaniement psychique mobilise un stress indispensable au dépassement du changement. Faire baisser trop rapidement la charge résistante, c’est se priver de l’ingrédient anxiogène indispensable à une adaptation progressive. Si la tension diminue trop vite, le souffrant ne dispose plus du carburant suffisant à l’élaboration du problème.

L’apaisement immédiat, dicté par le sédatif, ne peut alors se traduire que dans la pulsion de mort puisqu’il n’est pas possible d’effectuer ce soulagement psychique instantané par un travail introspectif express ! Le psychisme ne peut se mettre au diapason de cet état physiologique chimiquement apaisé qu’en s’inhibant totalement dans un sommeil profond : la mort. En effet, à partir du moment où la pensée fonctionne à minima, il ne peut y avoir que dissonance déstabilisante entre un mental non délivré de ses angoisses et un corps décontracté. Puisque le souffrant ne peut se libérer aussi rapidement de ses tensions conflictuelles, puisque des remaniements psychiques longs sont nécessaires, la guérison imminente dictée par la petite molécule ne peut trouver cohérence que dans le recours à l’inertie psychique totale ! La demande paradoxale de guérison dans la tension se trouve dans cet unique dénouement mortel trouvé par la psyché.

Sachant que dans la problématique très rigidifiée d’une crise enkystée, chaque mouvement minime d’avancement positif suscite un stress intense, le chemin est long et périlleux avant d’atteindre un nouvel équilibre stable et non contraignant.

Ma réflexion s’est davantage posé sur le traitement médical des troubles mentaux dans la mesure où mes patients souffrent plus de pathologies psychiatriques. Toutefois, je rencontre également des consultants atteints de maladies somatiques lourdes. La considération par les soignants, de la manière dont ces malades se positionnent dans leurs systèmes d’appartenance, est tout aussi importante dans la qualité de la prise en charge proposée.

Sachant que dans la problématique très rigidifiée d’une crise enkystée, chaque mouvement minime d’avancement positif suscite un stress intense, le chemin est long et périlleux avant d’atteindre un nouvel équilibre stable et non contraignant.

Ma réflexion s’est davantage posé sur le traitement médical des troubles mentaux dans la mesure où mes patients souffrent plus de pathologies psychiatriques. Toutefois, je rencontre également des consultants atteints de maladies somatiques lourdes. La considération par les soignants, de la manière dont ces malades se positionnent dans leurs systèmes d’appartenance, est tout aussi importante dans la qualité de la prise en charge proposée.

Cette co-construction thérapeutique du sens du symptôme, dans le contexte où il est apparu, permet d’extraire les fragilités défensives du patient afin de ne pas les alimenter au travers d’un dispositif médical non adapté.

Ainsi,  le système thérapeutique réunit l’aidant et l’aidé un travail de co-partenariat leur donnant une position symétrique. Le savoir du patient est aussi signifiant que le savoir de l’accompagnant. Le premier  détient la maîtrise des sciences humaines, le deuxième a accès au contexte le plus pertinent à établir pour faire opérer la pensée de l’autre. L’intérêt de ce partage est de créer une complicité où chacun osera questionner, détailler, approfondir car la censure de l’infériorité n’existe pas.

Les bienfaits d’une position basse ou symétrique de l’aidant
La position actuelle de l’aidant est malheureusement souvent ancrée dans un paternalisme révélant ses fragilités narcissiques. Les réunions cliniques sont remplies d’exemples où les fragilités du consultant sont systématiquement abordées. Par contre, les manques et les remises en question du soignant sont quasi absents. Ce constat souligne une réalité alertante. L’aidant ne s’autorise pas à apprendre et à à être curieux pour découvrir le plaisir d’avancer et de donner.

Les diagnostics nosographiques envahissent le discours des médecins lors des échanges cliniques. Ils révèlent le besoin de réassurance dans des schémas assez rudimentaires. Ils mettent surtout en relief la phobie des soignants à affronter leurs manques. Si la connaissance sur les processus psychiques n’en est qu’à ses balbutiements, c’est bien que l’homme a peur de se pencher sur ses fragilités. En effet, le fait de travailler les lacunes oblige systématiquement à un apprentissage et donc à un avancement. Le problème n’est donc pas le manque. Il est au contraire nécessaire à tout désir, à toute pulsion vitale. Le principal biais est la phobie de l’homme à élaborer ses failles. Ses groupes d’appartenance ne transmettent pas suffisamment l’idée d’un droit de défaillir, de la nécessité d’ailleurs de ne pas être parfait.

Au contraire, la société actuelle le presse davantage de tout maîtriser et de tout réussir ! Cette attitude systémique a de lourdes résonances puisqu'elle entrave le processus d’évolution de l’homme. Cette pensée alimente les fragilités narcissiques humaines puisqu’elle entretient l’idée délirante que le savoir doit se construire de façon innée et non sur des bases déficitaires. Ainsi, la stratégie défensive inconsciente, face à cette honte du manque, est de la projeter sur autrui. Les soignants comme les patients doivent apprendre à légitimer leurs faiblesses mais ils doivent aussi apprendre à refuser de les dénier.  C’est la condition pour intégrer un savoir constructif.

La position basse adoptée avec les consultants depuis plus de 15 ans m’a ainsi permis d’apprendre énormément. En effet, la capacité à reconnaître ses manques se traduit par une curiosité importante et une application constante à se remettre en question. Ainsi la compétence, à co-construire avec le patient des représentations systémiques structurantes, s’est étayée sur l’acceptation de mon inexpérience originelle. L’acceptation d’afficher une image de non expert auprès du patient a permis de questionner et de recueillir les informations nécessaires à la compréhension de nombreux processus psychiques.

L’investigation approfondie de l’histoire singulière de chaque consultant aide, en fait, à saisir la pertinence de la pensée systémique lorsqu’elle s’applique à ‘individu. Chaque jour, j’apprends car chaque jour le consultant livre une histoire de vie permettant d’élargir mon champ d’horizon sur les lois communicationnelles du bien-être. Le consultant a la solution dans son problème. Il détient le savoir essentiel. Le regroupement de nombreux récits de patients met, en effet, en relief des règles universelles à dégager du fonctionnement humain. Le soignant, fort de ce partage avec un grand nombre de souffrants, pourra alors aider ceux-ci à décoder leurs fragilités défensives.

Ainsi, chacun participe à la construction d’un savoir qui fait avancer. Le patient et le soignant puisent, mutuellement, dans les connaissances de l’autre les clés de l’avancement thérapeutique. Cette évolution ne serait donc pas possible si l’information n’était recherchée que d’une manière unidirectionnelle. Il faut, en effet, à la fois la grille de lecture du soignant et le témoignage de l’expérience intra et inter-subjective des patients.

La suite de cet article (3e et dernière partie) la semaine prochaine...

http://adeline-gardinier.blogspot.fr/2014/12/la-bientraitance-au-plein-cur-de-la.html

mercredi 9 mars 2016

Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon : évasion fiscale, oligarchie, violence des riches - l’humanité en danger ?

par Sonya Vardikula  / mardi 1er décembre 2015

« La fraude fiscale n'a fait que s'intensifier pendant la crise financière (...) Il nous a semblé qu'avec la préparation du TAFTA*, du Traité Transatlantique, où les multinationales auront un pouvoir supérieur aux États-Nations, il était temps que nous nous penchions sur la fraude fiscale des plus riches, pour montrer que il s'agissait là du choix, de la volonté d'une oligarchie, aujourd'hui mondialisée, pour contourner, pour ne plus répondre aux demandes de solidarité des États-Nations. » 

« La corruption est consubstantielle au fonctionnement de la classe dominante ; cette corruption est le résultat de fait entre les différentes composantes du pouvoir (...) Il n'y a pas la loi et le droit, il y a leur loi et leur droit. Aujourd'hui, même avec un soi-disant pouvoir socialiste, vous n'avez pas 2% d'ouvriers et d'employés dans les assemblées parlementaires, alors que les employés et les ouvriers représentent 50% de la population active française.  » 



"Une oligarchie déguisée en démocratie" : Monique Pinçon-Charlot, sociologue. 

Source : "Corruption, ça suffit !" : 3 heures et 8 minutes :

https://www.youtube.com/watch?v=LLXpXNy7agc

« Comment les riches nous livrent une guerre sans merci...  »

« Aujourd'hui cette phase extrêmement violente du système capitaliste est également le résultat de la construction d'une classe dominante, qui en veut toujours plus dans la prédation du travail des ouvriers, des classes moyennes, des intellectuels... et ce n'est pas naturel, c'est des constructions sociales. On a une classe sociale qui mène la guerre contre les autres, et qui crée pour ça l'enfer fiscal pour nous et le paradis fiscal pour elle, s'approprie complètement les ressources publiques des États, qui lamine les territoires nationaux, les souverainetés politiques, au bénéfice d'une circulation libre de leurs profits, du capital et de leur propre personne (...) Ceux qui sont pauvres se heurtent à des murs (...) Nous pouvons démolir ce système pour construire quelque chose d'autre. Simplement, c'est plus difficile de construire quelque chose d'autre face à ce qui a été construit par cette classe... Le système capitaliste qui a envahi toute la planète.  »



Voici un couple de sociologues qui cogne dur et parle clair. Entretien avec Monique et Michel Pinçon-Charlot, autour de leur livre « La violence des riches - Chronique d'une immense casse sociale » (Editions Zones - La Découverte 2013).
Réalisation : Yannick Bovy — Janvier 2014 - 26 mn.

Une émission proposée par la FGTB wallonne & produite par le CEPAG

« La finance spéculative prend le pouvoir sur les politiques et sur l'économie réelle.
 Le PIB mondial représente 85 000 milliards de dollars (notre monde à nous). 

Eux, leur monde, avec des inventions de produits financiers hautement spéculatifs, qui ne sont basés sur rien de l'économie réelle, même plus les réserves d'or, eh bien, rien qu'un seul produit financier, les produits dérivés dont vous vous avez dû entendre parler avec la crise de 2008, représente à lui seul aujourd'hui 700 000 milliards de dollars ; c'est-à-dire 10 fois le Produit Intérieur Brut mondial. (...) Si tout ça s'écroule, ce qui va arriver, est-ce que vous pouvez vous imaginer la crise, ce qui va arriver de nos économies, de notre monde et de notre humanité ?  » 

Captation vidéo de la rencontre publique organisée par le CEPAG et Barricade le 28 novembre 2014 à la Cité Miroir, à Liège, avec Monique et Michel Pinçon-Charlot, à propos de leur ouvrage "La Violence des Riches" (Editions Zones-La Découverte).

Animation du débat : Geoffrey Geuens, chargé de cours au département des Arts et Sciences de la Communication de l'Université de Liège et vice-président du Lemme.


Captation (image et son) et montage : GSARA.

Monique Pinçon-Charlot, sociologue, ancienne directrice de recherche au CNRS, a notamment publié avec Michel Pinçon (sociologue, ancien directeur de recherche au CNRS) 
Grandes Fortunes. Dynasties familiales et formes de richesse en France (Payot, 1996), 
Sociologie de la bourgeoisie (La Découverte, « Repères », 2000),
Les Ghettos du Gotha. Comment la bourgeoisie défend ses espaces (Le Seuil, 2007), 
Le Président des riches. Enquête sur l'oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy (Zones/La Découverte, Paris, 2010) 
La Violence des riches. Chronique d'une immense casse sociale (Zones/La Découverte, Paris, 2013).
Source : La Découverte 

Derniers livres publiés : 

Michel PINÇON, Monique PINÇON-CHARLOT
La violence des riches - Chronique d'une immense casse sociale (2013)

Michel PINÇON, Monique PINÇON-CHARLOT
Tentative d'évasion (fiscale) (2015)


Pour voir les vidéos aller sur le lien :
http://www.agoravox.tv/actualites/societe/article/monique-pincon-charlot-et-michel-51737

mardi 8 mars 2016

10 femmes oubliées par les manuels scolaires qui ont pourtant révolutionné la science (6)

Elsie Widdowson (1906-2000) : Diététicienne



Elle a participé à l’élaboration d’un régime utilisé par le gouvernement britannique lors de la Seconde Guerre mondiale, à base de chou, de pommes de terre et de pain avec de la craie. Elle testait les effets de différents minéraux et vitamines sur son propre corps en se faisant des injections. Son travail a jeté les bases de la diététique et est à l’origine de l’idée de l’alimentation saine.

http://soocurious.com/fr/

lundi 7 mars 2016

10 femmes oubliées par les manuels scolaires qui ont pourtant révolutionné la science (5)

Hilde Mangold (1898-1924) : Embryologue



L’embryologue allemand Hans Spemann, a reçu en 1935 un prix Nobel de médecine pour la découverte de l’effet organisateur dans le développement des embryons. Lors de son discours il n’a prononcé que deux fois le nom de son étudiante Hilde Mangold, alors que c’est sur la thèse de celle-ci que repose la base de ce succès. Elle a réussi en 1920, lors d’expériences, à transplanter un morceau de tissu embryonnaire d’une espèce sur une autre avec pour résultat la formation de jumeaux siamois génétiquement différents. Hilde a ainsi prouvé que l’embryon avait une section de cellules responsables du développement du système nerveux central et de la colonne vertébrale. Malheureusement Hilde est morte suite à l’explosion d’un réchaud à gaz l’année de la publication de son travail scientifique.

http://soocurious.com/fr/

dimanche 6 mars 2016

10 femmes oubliées par les manuels scolaires qui ont pourtant révolutionné la science (4)

Inge Lehmann (1888-1993): Sismologue


Passionnée par les mouvements terrestres, elle étudiait les ondes sismiques émanant de l’autre côté de la Terre, alors qu’elle vivait au Danemark, un pays très calme en termes de catastrophes naturelles. C’est de cette manière qu’elle a pu découvrir le noyau interne de la Terre. Elle a pu arriver à la conclusion qu’au centre de la Terre se trouvait un noyau solide, complétant ainsi les recherches du sismologue allemand Beno Gutenberg qui a démontré en 1930 que la Terre possédait un noyau liquide.

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samedi 5 mars 2016

La bientraitance au plein cœur de la narration systémique 1/3 par Adeline Gardinier

Adeline Gardinier-Salesse
psychologue clinicienne, psychothérapeute, thérapie familiale, thérapie systémique.


Introduction
La pensée systémique a pour ambition d’approcher les différents champs d’influences déterminant l’individu dans son fonctionnement. Ce regard exhaustif sur l’histoire du sujet garantit un confort éthique indéniable. Il évite les biais de la déformation,  de l’injustice et de la confusion dans l’appréhension d’une situation fragilisante. La bientraitance passe, selon moi, par cette approche globale des systèmes. Celle-ci  permet, en effet,  une reconnaissance et une compréhension « bienveillante » des manques contraignants vécus par une personne.

Les systèmes sont des ensembles d’éléments en interaction formant une unité et œuvrant à un but commun. La famille, le corps ou le groupe sont des  sous-systèmes et des systèmes dans lesquels l’individu est inclus.  Leur fonctionnement impacte  les réactions de celui-ci. Ainsi, la prise en compte de ces facteurs dans l’histoire d’une personne amène à considérer ses fragilités sous un angle singulier.

Selon les propriétés homéostasiques, la difficulté survient à une période de déséquilibre systémique. Il indique un appel au changement mais aussi, dans un même mouvement, des résistantes signifiantes à ces changements. Ainsi, les diverses propriétés d’un système attribue au symptôme une place fonctionnelle. Le trouble est défini comme un besoin de changement dans un système rigide et en déséquilibre. Il traduit également des résistances signifiantes à ces changements. Dans ce cadre contextuel, le trouble perd sa dimension illogique pour révéler tout son sens.

L’individu puise dans cette lecture des pistes de réflexion sur la manière pertinente de traiter ses fragilités. Cette approche met en relief la nécessité d’un partenariat étroit entre l’aidant et l’aidé. Le consultant détient, en effet, les solutions au problème dans l’histoire de son parcours de vie et dans le récit de ses manques. Il est le seul à avoir les informations pertinentes permettant de comprendre l’apparition, l’évolution et les possibilités d’extinction des troubles. En effet, les jeux interactionnels du souffrant avec ces différents groupes d’appartenance permettent de repérer la manière dont le stress de ses systèmes se condense sur lui. Le trouble physique ou psychique s’inscrit alors comme un signal d’alarme traduisant la nécessité d’une meilleure redistribution des tensions, trop condensées sur le souffrant et pas assez sur son groupe.

Le handicap est donc contraignant mais il est aussi utile sous l’angle de la systémique. De façon paradoxale le symptôme permet à long terme un réajustement plus adapté des fonctions du souffrant dans ses groupes d’appartenance. Sa dimension résistante permet, en effet, d’assurer un changement très progressif. La brutalité de la nouveauté, entraînerait autrement des pulsions régressives et hostiles fort handicapantes.

Le chemin de l’avancement reste toutefois dangereux car les changements signifiants engendrés par l’apparition de la  pathologie peuvent créer, transitoirement et au tout début, une tension optimale attisant des pulsions morbides et mortelles  L’assimilation de la contrainte pathologique peut engendrer un tel stress ponctuel que les fonctions d’ajustement progressives et positives, rendues possible par le symptôme, n’ont pas le temps de s’exprimer immédiatement dans leur valeurs salvatrices.

Les grandes lignes systémiques de la bientraitance
Dans ce cadre d’une observation systémique, l’accompagnant a une grille de lecture pertinente afin d’étayer la personne en difficultés. En effet, cette dynamique systémique permet de dégager des principes essentiels dans l’approche d’une posture de bientraitance:

-Le symptôme est fonctionnel et il survient à un moment de nécessaires mais de difficiles réaménagements de la place du souffrant dans ses systèmes.
- La résolution du symptôme passe par sa recrudescence dans les débuts du traitement (sous l’effet des résistances au changement).
- Le traitement du symptôme ne doit pas être invasif car une caractéristique essentielle du symptôme est d’être une phobie du changement.

Ses repères systémiques mettent en relief l’importance d’un partenariat étroit entre l’aidant et l’aidé afin de démanteler les résistances symptomatiques. L’information pertinente est détenue par le souffrant. Lui seul sait où cela résiste en lui. L’écoute attentive de l’accompagnant permet de circonscrire la zone phobique et de la prendre en considération dans les décisions thérapeutiques prises. En effet, le système physiologique est intriqué aux autres systèmes externes du souffrant. Les réactions au traitement sont donc dépendantes du vécu singulier du sujet, de ses défenses et de son contexte de vie actuelle.

Cette réalité remet au centre des préoccupations d’aide la dimension temporelle de l’accompagnement :

- La qualité de la prise en charge est associée à une écoute attentive, exhaustive de l’histoire permettant de repérer les fragilités systémiques du patient. La compréhension suffisante des rigidités fonctionnelles du sujet participent à proposer un cadre adapté à ses capacités d’avancement.
- Le démantèlement des symptômes doit se poser progressivement et lentement pour ne pas déchaîner les résistances au changement.
- Le bon accompagnement demande également une implication importante de l’aidant dans un travail d’introspection et de supervision personnelle car il fait partie intégrante du système thérapeutique. Il doit pouvoir maîtriser ses manques afin de ne pas les faire porter au souffrant avec qui il est en interdépendance systémique.

Ainsi, la pathologie ou les vulnérabilités diverses parlent  des dysfonctionnements interactionnels du souffrant. Elle met, par conséquent, en écho les problématiques personnelles non réglées de l’aidant. Elle attise alors les résistances inconscientes de chacun (aidant/aidé) à l’élaboration des vrais manques. L’accompagnant est son propre outil de travail. La difficulté de son exercice est d’accepter que sa compétence passe par un travail et un soin sur soi.

Dans une société piégée dans le rendement et la performance, il trouve malheureusement trop souvent matière afin de fuir, dans l’action, ses parties vulnérables. L’aidant est alors pris dans le paradoxe « d’un soin qu’il veut mais qu’il ne peut pas donner ».

Soigner, bien-traiter, c’est s'occuper du bien-être d’une personne vulnérable, être attentif à prévenir ses besoins et ses désirs. Or, l’aidant, non conscient de ses propres faiblesses, ne peut décoder les moyens pour parvenir à satisfaire son patient. L’outil systémique est alors un formidable stimulant pour aider à repérer où sont les manques, qui doit les travailler et à quel rythme afin d’être dans une prise en charge co-constructrice aidant/aidé  la plus opérante possible.

La suite de cet article la semaine prochaine...

Publié par Adeline Gardinier à 21:17 http://adeline-gardinier.blogspot.com/2014/11/la-bientraitance-au-plein-cur-de-la.html

Le néolibéralisme est un fascisme

La carte blanche de Manuela Cadelli, présidente de l’Association syndicale des magistrats.


Le temps des précautions oratoires est révolu ; il convient de nommer les choses pour permettre la préparation d’une réaction démocrate concertée, notamment au sein des services publics.


Le libéralisme était une doctrine déduite de la philosophie des Lumières, à la fois politique et économique, qui visait à imposer à l’Etat la distance nécessaire au respect des libertés et à l’avènement des émancipations démocratiques. Il a été le moteur de l’avènement et des progrès des démocraties occidentales.

Le néolibéralisme est cet économisme total qui frappe chaque sphère de nos sociétés et chaque instant de notre époque. C’est un extrémisme.

Le fascisme se définit comme l’assujettissement de toutes les composantes de l’État à une idéologie totalitaire et nihiliste.

Je prétends que le néolibéralisme est un fascisme car l’économie a proprement assujetti les gouvernements des pays démocratiques mais aussi chaque parcelle de notre réflexion. L’État est maintenant au service de l’économie et de la finance qui le traitent en subordonné et lui commandent jusqu’à la mise en péril du bien commun.

L’austérité voulue par les milieux financiers est devenue une valeur supérieure qui remplace la politique. Faire des économies évite la poursuite de tout autre objectif public. Le principe de l’orthodoxie budgétaire va jusqu’à prétendre s’inscrire dans la Constitution des Etats. La notion de service public est ridiculisée.

Le nihilisme qui s’en déduit a permis de congédier l’universalisme et les valeurs humanistes les plus évidentes : solidarité, fraternité, intégration et respect de tous et des différences. Même la théorie économique classique n’y trouve plus son compte : le travail était auparavant un élément de la demande, et les travailleurs étaient respectés dans cette mesure ; la finance internationale en a fait une simple variable d’ajustement.

Déformation du réel
Tout totalitarisme est d’abord un dévoiement du langage et comme dans le roman de Georges Orwell, le néolibéralisme a sa novlangue et ses éléments de communication qui permettent de déformer le réel. Ainsi, toute coupe budgétaire relève-t-elle actuellement de la modernisation des secteurs touchés. Les plus démunis ne se voient plus rembourser certains soins de santé et renoncent à consulter un dentiste ? C’est que la modernisation de la sécurité sociale est en marche.

L’abstraction domine dans le discours public pour en évincer les implications sur l’humain. Ainsi, s’agissant des migrants, est-il impérieux que leur accueil ne crée pas un appel d’air que nos finances ne pourraient assumer. De même, certaines personnes sont-elles qualifiées d’assistées parce qu’elles relèvent de la solidarité nationale.

Culte de l’évaluation
Le darwinisme social domine et assigne à tous et à chacun les plus strictes prescriptions de performance : faiblir c’est faillir. Nos fondements culturels sont renversés : tout postulat humaniste est disqualifié ou démonétisé car le néolibéralisme a le monopole de la rationalité et du réalisme. Margaret Thatcher l’a indiqué en 1985 : «  There is no alternative  ». Tout le reste n’est qu’utopie, déraison et régression. Les vertus du débat et de la conflictualité sont discréditées puisque l’histoire est régie par une nécessité.

Cette sous-culture recèle une menace existentielle qui lui est propre : l’absence de performance condamne à la disparition et dans le même temps, chacun est inculpé d’inefficacité et contraint de se justifier de tout. La confiance est rompue. L’évaluation règne en maître, et avec elle la bureaucratie qui impose la définition et la recherche de pléthore d’objectifs et d’indicateurs auxquels il convient de se conformer. La créativité et l’esprit critique sont étouffés par la gestion. Et chacun de battre sa coulpe sur les gaspillages et les inerties dont il est coupable.

La Justice négligée
L’idéologie néolibérale engendre une normativité qui concurrence les lois du parlement. La puissance démocratique du droit est donc compromise. Dans la concrétisation qu’ils représentent des libertés et des émancipations, et l’empêchement des abus qu’ils imposent, le droit et la procédure sont désormais des obstacles.

De même le pouvoir judiciaire susceptible de contrarier les dominants doit-il être maté. La justice belge est d’ailleurs sous-financée ; en 2015, elle était la dernière d’un classement européen qui inclut tous les états situés entre l’Atlantique et l’Oural. En deux ans, le gouvernement a réussi à lui ôter l’indépendance que la Constitution lui avait conférée dans l’intérêt du citoyen afin qu’elle joue ce rôle de contre-pouvoir qu’il attend d’elle. Le projet est manifestement celui-là : qu’il n’y ait plus de justice en Belgique.

Une caste au-dessus du lot
La classe dominante ne s’administre pourtant pas la même potion qu’elle prescrit aux citoyens ordinaires car austérité bien ordonnée commence par les autres. L’économiste Thomas Piketty l’a parfaitement décrit dans son étude des inégalités et du capitalisme au XXIe siècle (Seuil 2013).

Malgré la crise de 2008, et les incantations éthiques qui ont suivi, rien ne s’est passé pour policer les milieux financiers et les soumettre aux exigences du bien commun. Qui a payé ? Les gens ordinaires, vous et moi.

Et pendant que l’État belge consentait sur dix ans des cadeaux fiscaux de 7 milliards aux multinationales, le justiciable a vu l’accès à la justice surtaxé (augmentation des droits de greffe, taxation à 21 % des honoraires d’avocat). Désormais pour obtenir réparation, les victimes d’injustice doivent être riches.

Ceci dans un Etat où le nombre de mandataires publics défie tous les standards mondiaux. Dans ce secteur particulier, pas d’évaluation ni d’études de coût rapportée aux bénéfices. Un exemple : plus de trente ans après le fédéralisme, l’institution provinciale survit sans que personne ne puisse dire à quoi elle sert. La rationalisation et l’idéologie gestionnaire se sont fort opportunément arrêtées aux portes du monde politique.

Idéal sécuritaire
Le terrorisme, cet autre nihilisme qui révèle nos faiblesses et notre couardise dans l’affirmation de nos valeurs, est susceptible d’aggraver le processus en permettant bientôt de justifier toutes les atteintes aux libertés, à la contestation, de se passer des juges qualifiés inefficaces, et de diminuer encore la protection sociale des plus démunis, sacrifiée à cet « idéal » de sécurité.

Le salut dans l’engagement
Ce contexte menace sans aucun doute les fondements de nos démocraties mais pour autant condamne-t-il au désespoir et au découragement ?

Certainement pas. Voici 500 ans, au plus fort des défaites qui ont fait tomber la plupart des Etats italiens en leur imposant une occupation étrangère de plus de trois siècles, Nicolas Machiavel exhortait les hommes vertueux à tenir tête au destin et, face à l’adversité des temps, à préférer l’action et l’audace à la prudence. Car plus la situation est tragique, plus elle commande l’action et le refus de « s’abandonner » (Le prince, chapitres XXV et XXVI).

Cet enseignement s’impose à l’évidence à notre époque où tout semble compromis. La détermination des citoyens attachés à la radicalité des valeurs démocratiques constitue une ressource inestimable qui n’a pas encore révélé, à tout le moins en Belgique, son potentiel d’entraînement et sa puissance de modifier ce qui est présenté comme inéluctable. Grâce aux réseaux sociaux et à la prise de parole, chacun peut désormais s’engager, particulièrement au sein des services publics, dans les universités, avec le monde étudiant, dans la magistrature et au barreau, pour ramener le bien commun et la justice sociale au cœur du débat public et au sein de l’administration de l’État et des collectivités.


Le néolibéralisme est un fascisme. Il doit être combattu et un humanisme total doit être rétabli.

Manuela Cadelli, présidente de l’Association Syndicale des Magistrats
Mis en ligne jeudi 3 mars 2016, 10h02

http://www.lesoir.be/node/1137303

jeudi 3 mars 2016

Charles Sanders Peirce : le philosophe de la philosophie.

Article de John Dewey , le 3 février 1937 dans The New Republic Vol. 89 N°1157


Le travail de Charles Sanders Peirce a mis longtemps a s’imposer de lui-même ; cependant il y a toutes les raisons de croire que le processus débute seulement et d’espérer que son influence va largement augmenter dans le futur. La raison fondamentale de cette longue période de désintérêt est qu’il était en avance sur son temps. Le climat de l’opinion n’était pas favorable à la réception de ses idées. Le terrain intellectuel et moral n’était pas préparé. Pourtant, même si le terrain est récalcitrant à une période donnée en raison de préoccupations et d’idées préconçues, il est néanmoins travaillé et cultivé sans cesse si bien que finalement des zones apparaissent où des graines qui n’auraient pas pu pousser plus tôt s’implantent et se développent.

Mais cela n’est pas la seule raison qui explique que Peirce ait été négligé. Il faut avouer qu’il a jeté autour de lui beaucoup de pierres, parfois des cailloux, parfois des rochers pendant qu’il était en train de semer des idées germinales. Il anticipait la direction que prenait la science, en déduisait ses conséquences et les mixait avec des questions qui apparaissaient non seulement extraordinaires pour l’époque, mais, et on peut le supposer, seront toujours extraordinaires. Il y a beaucoup de choses superflues et arbitraires dans ses écrits. Ils montrent un curieux mélange d’un travail inhabituel et d’une pensée totalement systématique associés à une incapacité d’aller jusqu’au terme d’à peu près chaque ligne de pensée qui a été commencée. On peut dire qu’il associait un esprit discipliné à une personnalité qui ne l’était pas. Cette combinaison n’est pas fréquente. Cela provoque dans l’apparence de ses écrits non seulement des difficultés comme on peut s’y attendre quand un penseur explore de nouveaux champs mais aussi des contradictions troublantes et une multitude de départs qui vont à peu près nulle part. De plus, il n’y a à peu près aucun sujet auquel il n’a pas touché. Ce que j’ai à dire omet tout sauf un petit nombre d’idées directrices.

Peirce restera toujours le philosophe de la philosophie. Ses idées n’atteindront le grand public que par la médiation et les traductions d’autres personnes. Ce fait est d’autant plus paradoxal que Peirce, plus qu’aucun autre philosophe des temps modernes, insistait pour que la philosophie commence avec le monde du sens commun et de ses conclusions et se termine par l’application à ce monde du sens commun. Toutefois il alliait ce point de vue à une approche extraordinairement technique qui n’était pas confinée aux technicités de l’expression, -qu’il inventait ad hoc s’il ne pouvait pas en trouver de déjà faites-, ce à quoi souvent une remarquable connaissance de la pensée scholastique aussi bien que de celle de Kant lui permettait d’accéder.

J’imagine qu’une certaine prise en compte de sa conception du sens commun et de sa relation à la philosophie constitue la meilleure introduction à ses idées. Il ne pensait pas le Sens Commun de la façon dont le pensait l’école écossaise (ainsi nommée). Il consistait pour lui non pas tant comme un corps d’opinions largement répandues que comme les idées qui nous sont imposées dans les processus de la vie par la nature même du monde dans lequel on vit. Les hommes pourraient être théoriquement sceptiques vis à vis d’elles, mais aussi longtemps qu’ils vivent, ils agissent en fonction d’elles. Il accordait donc une importance fondamentale à ce qu’il appelait les instincts, non pas en tant que formes de savoir, mais comme façon d’agir à partir de quoi le savoir s’accroît.

Je me souviens d’une fois où il disait que « les instincts qui sont favorables à l’assimilation de nourriture et ceux qui sont favorables à la reproduction ont dû depuis le début, impliquer certaines tendances à penser vraiment la physique d’un côté et le psychique de l’autre ». Puisque l’homme ne peut pas vivre sans un certain degré d’adaptation pratique aux conditions réelles du monde, qu’elles soient physiques ou sociales, les idées des hommes en dépit de toutes les extravagances avec lesquelles elles sont brodées doivent aussi avoir un certain degré d’adaptation naturelle au monde et à la société. La Philosophie pourrait être, toutefois, le Sens Commun Critique, un terme de Peirce dans lequel l’adjectif critique est hautement important. Le sens commun non critiqué est à la fois trop vague pour servir de guide sûr à l’action dans de nouvelles conditions et trop rigide pour autoriser le libre jeu de l’enquête, qui commence toujours avec le doute. La première règle de la raison, dit-il, est de ne pas bloquer l’enquête. Le sens commun non critiqué est souvent le grand blocage de l’enquête.

Bien que Peirce, comme la plupart des autres philosophes maintienne que la philosophie a affaire d’une certaine façon à ce qui est universel, il conçoit ce qui est universel dans un sens différent de la plupart des philosophes. Le sens commun est essentiellement une affaire d’expérience, et non pas comme la plupart des précédents empiristes l’avaient conçu, une affaire de sensations. Dans un passage, il le décrit comme consistant en ces idées et croyances que la situation de l’homme lui impose –une citation qui pourrait être paraphrasée ainsi : le sens commun représente les idées et croyances que l’homme doit avoir afin de rencontrer dans ses activités les injonctions urgentes et impératives amenées par sa situation. Il s’ensuit que le thème universel ou commun de la philosophie consiste dans ces observations que chaque personne peut faire à chaque heure de sa vie éveillée. Bien que Peirce fût avant tout un scientifique et possédât ce qu’il appelait un esprit de laboratoire par opposition à « l’esprit de séminaire », il n’avait aucune sympathie pour ceux qui affirment que la philosophie doit être basée sur les conclusions de la science. Au contraire, chaque science, selon lui, repose sur d’importants principes tenus pour acquis. Rejetant la notion que ces principes sont un système d’axiomes ou de vérités auto-évidentes, l’examen critique du sens commun reste la seule méthode avec laquelle les principes scientifiques peuvent être organisés.

Bien que le matériel de la philosophie dérive des observations que chacun peut faire, il ne s’ensuit pas cependant que ces observations soient faciles à faire. Je ne connais rien qui ne tranche plus que sa remarque : « il est extrêmement difficile de porter notre attention aux éléments de l’expérience qui sont constamment présents… nous devons avoir recours à des moyens indirects, afin de nous rendre capables de percevoir ce qui nous crève les yeux avec un éclat qui, une fois remarqué, devient presque oppressant par son insistance ». Par conséquent le sens commun non critiqué est un sujet très hétéroclite. La difficulté de voir de quoi sont faits ses composants nous fait croire que nous les voyons alors qu’en fait, nous les voyons à travers les lunettes de notions philosophiques qui ont été recueillies par l’éducation et la tradition.

En dehors de ses écrits logiques, les volumes publiés consistent dans une grande mesure en l’exposé des éléments qu’il pensait pouvoir être trouvés dans l’expérience de chaque homme. Même ses écrits logiques n’étaient pas, dans son esprit, des matières séparées mais connectées à l’expérience commune, même la plus formelle. L’un des éléments est l’existence dans toute chose quelles que soient les potentialités qui ne sont pas actualisées à ce moment, qui n’ont pas été actualisées dans le passé et qui peuvent ne pas être actualisées dans n’importe quel temps futur fini. D’où l’émergence continuelle du nouveau et de l’imprévu. Avant William James, il parlait de la doctrine de l’Univers Ouvert basant celle-ci sur l’expérience que chacun a.

Il appelait le second élément majeur actualité, prenant le mot dans son sens le plus littéral et le plus brut. La « preuve » de l’existence en général et en particulier se trouve dans le fait que nous sommes forcés de réagir et que les choses réagissent sur nous en retour de notre réaction à elles. C’est l’élément non intellectuel, non rationnel de notre expérience. Il ne peut pas être expliqué, encore moins justifié. Simplement il est ; nous ne pouvons pas le laisser car nous devons le saisir. Il ne peut même pas être décrit en ses propres termes ; il peut seulement être expériencé et ensuite être désigné à d’autres (qui subissent les mêmes interactions brutes) au moyen de mots démonstratifs comme ceci, cela, maintenant, ici, et des noms de couleurs, de sons, etc. Nos sensations ne sont pas une connaissance ni une source de connaissance, elles sont.

S’il n’y avait aucun autre élément dans l’expérience, alors la pensée et la connaissance seraient impossibles. Mais il y a un troisième élément, car chaque expérience comporte un élément d’attente, de prédiction virtuelle. Chaque réaction brute a des conséquences qui sont anticipées comme des parties de l’expérience. Cet élément constitue la phase de continuité ; c’est l’élément rationnel qui rend possible la réflexion et c’est le socle de la connaissance, qui exprime toujours une généralité. C’est le travail de l’enquête de développer cet élément de prémonition du futur qui ne serait sans elle qu’une expérience des plus stupides. Comprendre la continuité de la chose expériencée avec les autres choses rend l’action subséquente plus intelligente et cette action crée en retour une plus grande continuité et une plus grande vraisemblance dans la nature. La science se manifeste dans les activités qui mettent les choses en lien plus étroit les unes avec les autres. C’est donc essentiellement une entreprise morale. Car le principe de base de la morale est l’identification croissante de l’individu avec tous les modes de pensées et d’actions qui rendent la communauté existante encore plus pleinement une communauté. De telles attitudes sont à l’opposée de celles avec lesquelles les individus se conforment simplement à ce qui est déjà pensé et fait dans une communauté. Peirce était vivant quand l’idée de l’évolution était à son acmé dans l’esprit de sa génération. Il l’appliqua partout. Mais pour lui, cela signifiait une croissance continue en termes d’interrelations que ce soit dans l’univers de la nature, de la science ou de la société, et qu’il appelait continuité. Bien que les conclusions de l’enquête ne soient validées que si elles sont reproduites par d’autres individus qui mènent les mêmes enquêtes expérimentales, l’existence de la communauté est impliquée dans toute connaissance. « Le principe social est enraciné intrinsèquement à la logique »- il n’y a pas de logique en dehors de lui. S’il y avait quelque chose comme un individualiste farouche, celui-ci n’aurait ni langage, ni pensée ni connaissance. D'où, soit dit en passant, l’importance fondamentale que Peirce accordait dans ses écrits logiques aux signes et aux symboles ainsi qu’à faire de toute logique une logique de relations.

L’insistance sur la continuité toujours croissante ou la généralité sur les voies d’action et de disposition différencie le pragmatisme de Peirce de celui de James. Ce dernier avait raison d’attribuer sa doctrine pragmatique à Peirce dans la mesure où elle insiste sur les conséquences et l’inclusion de l’élément d’action qui sont concernés dans toute connaissance. En dehors de ces considérations, il y a deux différences de base entre elles. Peirce était plus un pragmatiste dans le sens littéral du mot, qui exprime l’action ou la pratique. Pour James, quelque action était indispensable pour garantir l’action : c’était une voie indispensable. Pour Peirce, les habitudes d’une action raisonnable ou les modes généraux d’action étaient la fin de toute connaissance. Le fait que la conséquence de la connaissance est générale marque l’autre différence. La connaissance tend à produire des moyens d’actions et ces moyens d’agir sont infiniment plus importants que n’importe quel résultat effectué par l’action.
L’autre aspect important de la philosophie de Peirce était ce qu’il appelait le Probabilisme qu’il opposait à l’Infaillibilisme dans toutes ses innombrables formes. Dans son affirmation que chaque proposition scientifique n’est que probable, quel que soit ce en quoi elle est exacte en elle-même et la justesse du raisonnement produit pour l’atteindre, il a anticipé la conclusion à laquelle la science dans son développement propre (largement contre la volonté des scientifiques) a été depuis contrainte d’aboutir. Dans certains cas, même la proposition 2 et 2 font 4 n’est pas parfaitement certaine.

L’apport de la doctrine du probabilisme, en accord avec la position pragmatique générale réside dans les attitudes générales et les moyens d’action qui découlent de son acceptation. Ces attitudes, comme toutes les attitudes, sont en fin de compte morales. Elles transcendent tout dogmatisme, toute condescendance, tout appel à l’autorité et aux premières vérités ultimes ; elles maintiennent vivace l’esprit du doute comme tout jaillissement du travail d’enquête continuellement renouvelé- qui est un travail et non un scepticisme argumenté. La science ne consiste pas en un quelconque corps de conclusions mais en un travail de recherche toujours renouvelée qui ne proclame ni ne permet jamais de finalité mais conduit à de toujours nouveaux efforts pour apprendre. L’unique et ultime justification de la science comme méthode d’enquête est que si elle persiste, elle se corrige d’elle-même et tend à se rapprocher toujours plus d’un accord stable et commun de croyances et d’idées. Parce que la science est une méthode d’apprentissage et non un corps fixé de vérités, elle est l’espoir du genre humain.

A certains égards, cette idée prise pragmatiquement, c’est-à-dire en termes de conséquences qui résulteraient si elle était acceptée généralement dans l’action, est la plus révolutionnaires de toutes les idées possibles. Elle est bien plus révolutionnaire pour le futur des relations sociales que ne le sont les prescriptions qui reposent sur l’acceptation d’une doctrine rigide, même si cette doctrine est révolutionnaire quant aux conditions existantes. Cette idée est si loin d’être acceptée dans la pratique courante que dans presque tous les secteurs – parmi les adhérents des doctrines politiques et économiques « révolutionnaires » comme parmi ceux dont les croyances survivent des anciennes conceptions conservatives ecclésiastiques – qu’on considère qu’elle conduit à une perplexité et une confusion quasi complète plutôt que d’amener à un accord progressif et à la concorde. L’insécurité et la peur font que les gens adhèrent à un certain corps fixé de vérité sociale supposée être déjà établie scientifiquement. Le désaccord sur quelles sont les vérités fixées autoritairement qui doivent diriger l’action sociale provoque la confusion et la discorde qui sont les traits marquants de la vie sociale actuelle au sein des nations et entre elles.

Je ne peux pas conclure ce simple aperçu de la contribution potentielle de Peirce à la pensée vivante sans remercier profondément les Drs Hartsborne et Weiss d’avoir édité les textes éparpillés de Peirce ainsi que l’Université de Harvard pour avoir rendu possible leurs travaux et la publication des résultats.

Traduction de Laurence Fanjoux-Cohen (avec la collaboration de Michel Balat).

P.-S.
Cet article fait suite à la publication aux États-Unis des 6 premiers tomes des Collected Papers of Charles Sanders Peirce.

Dans la même rubrique :

Article de John Dewey , le 3 février 1937 dans The New Republic

Le lac de Peirce : une métaphore de la conscience

Pourquoi punissons-nous les criminels ? Charles S. Peirce, 4 Mai 1892

Peirce : logique des mathématiques

Peirce : New Elements

"Comment se fixe la croyance" et "Comment rendre nos idées claires"

Prolégomènes à une apologie du Pragmaticisme