mercredi 10 juin 2015

GR2 : Co-vision en art-thérapie

Le GR2 est un groupe de travail et de recherche de l'ARAT, il est animé par Caroline Germain.


Ce groupe de co-vision s’est tenu dimanche 19 avril de 10h à 17 h à Montpellier.
Il a commencé par un atelier  animé par Caroline. A la suite du repas, nous avons échangé, comme à notre habitude sur nos pratiques et nos “patients”.
Bénédicte, dans le texte suivant, résume le résultat de nos échanges.
Séance avec Alice (nom substitué) avec Bénédicte
Une fillette de 7 ans raconte son ami imaginaire, John : tout n’est que mort et  fantômes autour de cet ami. Nous débattons autour de la facilité d’expression de cette enfant qui, il y a peu de temps encore, avait une parole et une production très pauvre et archaïque en terme d’expression plastique.
Que s’est-il passé ? Elle vient bien plus régulièrement. Elle est entrée dans la relation de transfert. Lors d’un jeu d’associations libres, elle me dit : «Je t’aime- mon chien-mon père-maman-mamie »
Le chien revient souvent dans la parole, il semble être la métaphore d’une relation idéale ou la façon dont est traitée cette enfant : « j’aimerais qu’il devienne un chien (à propos de l’ami imaginaire) et qu’il soit mon animal. Je  le caresserais et je lui dirais halte, couché, assis. »

C’est une fillette que je reçois depuis près de 4 ans, par intermittence.
Dans un premier temps, elle souhaitait toujours peindre. Elle remplissait alors une feuille, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus aucun blanc. Nous avons ensuite beaucoup joué avec des figurines, toujours les mêmes. Puis elle a découvert les tissus, la couture,  qui semblent avoir fait sur elle grande impression.
 
Nous entendons les problèmes de communication dans cette famille de femmes  « tuyau de poêle » (4 générations de femmes vivent sous le même toit) où chacune donne son avis et s’occupe de la fillette, ne lui laissant que peu de place. En effet, elle vient en séance parce « qu‘elle crie tout le temps » et « qu’elle n’écoute rien ». 
« L’orque de John est mort, il avait une balle dans la gorge ».
Les hommes sont inexistants dans son univers, ils ne sont pas parlés, hormis le papa de la fillette, qu’elle adore et voit par quinzaine le week-end, qui vit dans une autre ville et est haï par toute la famille.
Nous pensons qu’au delà d’une grande insécurité psychique et une confusion apparente des genres, cette enfant cherche un chemin de métabolisation symbolique du monde qui l’entoure : «John, il a une amoureuse qui est aussi ma chérie. Elle a 2 maris, moi et John ! ».                           
 En disant cela, elle semble toute contente de cette trouvaille. A-t-elle trouvé une solution pour se supporter, supporter ce que lui renvoient les femmes de la maison ?
Elle parait, au milieu de tous ces avis sur elle, se trouver dans une grande solitude : « à part moi, John n’a plus d’amis. Comme il est malade, ses amis ne veulent plus de lui. Sa maladie, c’est là où il a ses cicatrices. » Elle dessine un bonhomme patate avec des dizaines de cicatrices et une bouche pleines de dents pointues. Elle dit : « Il a des dents pointues. Il n’arrête pas de casser ses jouets, mais il est gentil quand même ». 

Pour finir, elle dit, comme dans une tentative de réparation :  « quand on se voit, on se dit des bonnes choses, on fait des jeux : le loup glacé, le trésor est à moi... On s’amuse bien ! »
Cf photo d’Alice en costume de « Superhéronique », costume qu’elle s’est fabriqué en séance, très richement orné. Elle n’a pas eu le temps de jouer au super héros, ayant consacré tout son temps à l’élaboration du costume.
On peut penser à Didier Anzieu et au concept de Moi-peau dans la transfiguration et la capacité créative d’Alice, alors qu’elle ne dessine encore que des bonhommes patate.
Suite au partage de la séance d’ Alice, Purita nous parle d’un adolescent psychotique qu’elle suit en séance dans l’établissement où elle travaille.
Ce jeune homme pose problème à toute l’équipe. Il est « ingérable », il crie, menace, détruit.
En séance, son comportement s’apaise. Un transfert maternel et tranquillisant semble lui permettre de se poser. A tel point, qu’il vient un jour avec toutes ses affaires : sac de voyage, valise, sac à dos !
Il s’installe dans la séance, comme s’il venait y passer quelques jours : il sort son radio réveil, le met à l’heure, il récupère son doudou, montre ses caleçons, fin prêt pour débuter la séance. Il recommence la semaine suivante, et fait courir le bruit que Purita lui accorde une deuxième séance chaque semaine.
Purita a su tenir tête à l’adolescent lorsqu’il criait, sans s’énerver, sans bouger alors qu’il se tenait à quelques centimètres de son visage : elle n’a montré ni peur, ni rejet ; le transfert s’est ainsi accroché , là  où il n’y avait que refus de relation chez les autres personnes.
Nous espérons que cet espace thérapeutique saura faire translation dans son quotidien. Maintenant qu’il a testé la validité du cadre, il apprend à être dans la relation,  celle-ci peut « tenir » malgré tout.

Nous évoquons ensemble les expériences de suivis sur le long terme, et, dans ce cadre, ce qu’il advient parfois comme conséquence : un attachement affectif au patient, et bien sûr, vice versa...
Nous pensons que cette affectivité doit être parlée, ne doit pas rester dans l’ordre du non dit. S’il est vrai qu’un rapprochement affectif demande à retravailler sans cesse et le lien, et le cadre, il n’en reste pas moins que les séances deviennent alors très riches.
La difficulté ne réside pas alors dans le fait de tenir le cadre et la distance, mais, dans le fond, de ne pas se laisser envahir ou glisser dans l’affect.
Par exemple, ne pas laisser filer le temps de la séance, dans le plaisir que nous procure la rencontre, la relation.

La tentation est grande, alors, de s’investir plus qu’il ne le faudrait, de parler plus, de faire plus.
Nous concluons ainsi : la relation au patient nous castre littéralement en faisant barrière à notre jouissance. Pas toujours confortable, notre métier d’art-thérapeute !
Tout cela nous conduit à terminer cette journée de co-vision en nous questionnant sur le terme de « patient », qui induit de se positionner ou non comme soignants.
Certains disent client, en raison de la relation d’argent qui nous lie à la personne, d’autres s’insurgent sur le terme discriminant de patient. Faut-il dire personnes, sujets... ?
Sur quoi travaillons-nous ? Certainement pas sur la structure, ni sur le comportement. La préoccupation fondamentale de notre accompagnement réside dans une tentative de relation transférentielle, grâce à l’utilisation d’un médium qui ouvre à la créativité, et, nous l’espérons, à plus de malléabilité psychique. Nous en espérons également un apaisement des conflits internes, ou, tout du moins, un apaisement des tensions et des souffrances qui en découlent.
Si nous nous disons « personne », est-ce que nous ne banalisons pas le travail minutieux et sur le long terme que nous menons quotidiennement, ainsi que notre méthodologie, notre savoir psychanalytique, voir psychopathologique ?
Si nous disons « sujet »,nous nous situons très clairement du côté de la psychanalyse et du sujet de l’inconscient. Ne prenons-nous pas la place du psychanalyste, en analysant trop, ce qui n’est pas notre place ? 

En psychanalyse, un objet existe bel et bien dans la relation analysant/analysé, « das ding », l’objet de désir premier. Or, cet objet reste sans forme, alors que l’art-thérapeute donne une opportunité au « sujet » de pouvoir tester dans la matière sa malléabilité et son investigation.
Le terme client nous inclue radicalement dans la vente d’un service, dans le mercantilisme et ne nous semble pas porteur d’une symbolisation adéquate en ce qui concerne l’intitulé d’une relation thérapeutique.
Car c’est bien là que nous choisissons de nous situer : que l’on ne se soigne pas d’être en vie, cela va de soi, et nous savons que la condition de l’être est de courir, fatalement et sans jamais l’assouvir, derrière son désir.
La souffrance fait donc partie de la condition humaine. Pour autant, les personnes que nous accompagnons se trouvent dans des souffrances face auxquelles elles n’arrive pas ou plus à faire face.
A ce titre là, nous considérons légitimement que nous accueillons des patients, qui patientent dans l’entre deux des séances, dans  la salle d’attente, dans la relation insatisfaisante du transfert. Ils patientent activement, puisqu’ils « s’occupent » d’eux, considérés comme malades ou non, en effectuant une démarche thérapeutique, que la demande soit la leur ou celle de l’institution. 

Le cadre que nous proposons se positionne ainsi clairement du côté du soin, en venant border cette demande.
Notre prochaine rencontre est prévue le 28 juin 2015 à Manosque, vraisemblablement dans l’institution où travaille Purita.

Présentes :
Bénédicte Carrière
Purita Munoz
Caroline Germain