jeudi 23 octobre 2014

Psychanalyse et Médiation Artistique par Sylvia FERRARO (chapitre 3)

Chapitre 3 -suite

  LA MUSIQUE.

 Dans la plupart des cas que j'ai cité la musique est présente. Quel poids relatif lui octroyer comme variable dans chaque dispositif thérapeutique est objet de recherche et débat dans la Musicothérapie.
En prenant en compte la grande diversité du panorama que la Musicothérapie offre actuellement comme Kenneth Bruscia (4) l'expose, je me situe entre ceux qui placent la Musicothérapie dans le cadre de la constellation de l’Art-thérapie
Comme en relation à tous les arts, l’on analyse et l’on discute dans les différents domaines du savoir les possibles déterminants biologiques, psychologiques, sociaux et spirituels de la Musique; existe des points de vue  très différents à ce sujet.

Dans la tradition philosophique, la Musique s'est largement associée à la Métaphysique.
Elle est considéré soit comme une science ou un art privilégié puisqu'elle  à pour objet la réalité suprême ou divine (Dieu, un principe cosmique, une Raison consciente de soi-même), soit comme une révélation à l'Homme de la dite réalité, qui peut acquérir la forme de la connaissance ou du sentiment.

La croyance que la Musique possède un pouvoir extraordinaire, merveilleux ou redoutable, est peut-être l'un des aspects les plus essentiels du mythe de la Musique, qui possède cependant aussi la qualité paradoxale d'être éphémère, fragile, intangible.

Elle était considérée par les Grecs comme quelque chose de précieux par sa capacité de régler l'âme et de produire des bonnes qualités chez ses auditeurs; mais elle était aussi considérée dangereuse par sa capacité de droguer et porter aux excès dans la conduite.
Damón d'Athènes *5, l'un des maîtres de Socrate, a été un des premiers à suggérer une connexion spécifique entre la Musique et la formation du caractère : "Le chant et la danse surgissent nécessairement quand l’esprit est ému; des chansons et des danses libres et belles créent une âme semblable et l'espèce opposée crée une espèce d'âme opposée".
 Platon considérait la Musique comme un "auxiliaire de l'âme, quand celle-ci a perdu son harmonie, pour l’aider à la restaurer ... et qu’elle soit en harmonie avec elle-même" *6.
Il parlait comme le feront un peu plus tard Schopenhauer, Hegel et Plotin, de « l’essence » de la Musique, de sa nature universelle et éternelle, séparable des moyens expressifs par lesquels elle prend corps comme Art.

Pour Hegel, la Musique constitue la manifestation la plus authentique qui adopte le subjectif en tant que tel,  tant dans le contenu comme dans la forme : étant fait d'un matériel sonore, il n'est pas fixé dans des formes spatiales et il s'écoule dans le temps, comme le sentiment. Voilà pourquoi elle est si adéquate pour l'exprimer.
 "La musique … est l'Art de l'âme qui retourne immédiatement à l'âme même" (13) : le son intériorisé à l'instant même qu’il est produit. Puisque le moi est dans le temps, et celui-ci est l'élément dans lequel la Musique acquiert une existence, elle pénètre dans le moi lui-même et le met en mouvement. C’est là où réside le fondement essentiel du pouvoir de la Musique pour Hegel.
"Oui … nous pouvons considérer (l'Art) comme une libération de l'âme... aussitôt que ... il adoucit les destinations les plus violentes et tragiques au moyen des formes contemplatives et peut se convertir en jouissance, ainsi la Musique porte cette liberté au dernier sommet" (13).

 La musique comme médiateur thérapeutique.

Du point de vue clinique et surtout empirique, il existe un consensus traditionnel depuis longtemps en ce qui concerne l'indication privilégiée de la Musique dans le traitement de l'autisme, des psychoses, des addictions, des handicaps physiques sévères, c'est-à-dire l’on reconnaît en elle la capacité d'accéder précisément à ce qui échappe au langage et le véhicule.

 De la même manière l’on souligne sa valeur de permettre une expression cathartique des affections, des émotions, d'une médiation pré ou non verbale dans le lien thérapeutique, capable d'être vécu comme non dangereuse pour certains patients graves.

 Qu'est-ce que la Psychanalyse a à dire à ce propos ?

Un des rares auteurs qui ont investigué dans la compréhension psychanalytique de la Musique a été Heinrich Racker, psychiatre, psychanalyste et musicien allemand qui s'est établi en Argentine à l'époque de la deuxième guerre mondiale étant l'un des fondateurs de la Psychanalyse au Río de la Plata. (Argentine et Uruguay, note de traduction)
 Racker lui même exprime que la Psychanalyse a pris que peu de fois  la musique comme objet de recherche et que à leur tour les causes de ce phénomène ont été peu enquêtées.
L'une des difficultés consiste, selon lui, en ce que le contenu de la Musique n'est pas d'une nature objectale, mais son caractère serait narcissique et autoérotique; elle peut "exprimer les processus dans le moi qui se chargent d'une libido narcissique, spécialement les vicissitudes des instincts aussitôt qu’ils (26) se rapportent au moi".

Dans son article en 1952 (26), il réalise une étude soigneuse du matériel surgi dans l'analyse d'une patiente musicienne. Basé sur cela, dans l'expérience d'autres musiciens et dans la sienne, il établit à grands traits les hypothèses suivantes : la Musique constitue une défense contre des objets mauvais, des objets séducteurs, frustrants, destructeurs et punisseurs, ou bien, contre les dangers des instincts érotiques et agressifs. C'est aussi un moyen pour la récupération de l'objet perdu (ou bien la récupération du moi perdu).

Racker rappelle que "Faust (de Goethe) est arrêté dans son intention de se suicider, en se maintenant vivant à cause d’un chant choral et grâce au son des quelques cloches." La musique et la foi, une chanson et une prière apparaissent ici à nouveau  fondus (comme chez son patient). Ils signifient pour lui "le baiser de l'amour céleste" et le portent a nouveau à une "expérience heureuse de sa jeunesse" :
 "Continuez de sonner, douces chansons du ciel!
 La larme pousse, la terre m'a à nouveau! "
La Musique apparaît comme le bon objet, Faust reçoit son amour, en pouvant ainsi pleurer et aimer à nouveau ".
 "D'une manière similaire Schiller, dans son poème" Le pouvoir du chant ", compare l'effet de la musique à la réunion de l’enfant avec la mère" (27).

Racker montre comment, dans l'analyse de son patient  la Musique apparaît aussi comme une opposition et une transformation de l'instinct indompté, dans le noble; du terrifiant et l'affreux, dans le beau; et de la haine, dans l'amour. C'est-à-dire que l'esprit de la Musique est vu comme opposition et transformation de tout ce qui constituait en elle un "fond de la dépression et de la paranoïa" (26).
  
 Devant les conflits avec les objets réels et introspectifs, l'Homme cherche un monde au-delà des relations objectales. "Génétiquement il doit être l’état narcissique dans le ventre maternel et probablement aussi certains états passagers de paix interne de la première époque de la vie qu’il cherche à récupérer dans la connexion avec la Musique. Une relation heureuse semble être contenue dans celle-ci avec un bon objet qui n’est même pas  perçu comme tel, c'est-à-dire comme objet" (26). 
 Ce bonheur "au-delà de ce monde" est celui que plusieurs musiciens décrivent quand ils parlent de ses états d'inspiration musicale créatrice et aussi reproductive et réceptive.
"… Cette sensation d'aimer et d'être aimé, comparé à l'extase sexuelle et comparable aussi au bonheur rêvé de l'état  narcissique dans le ventre maternel, cette sensation d'une unité heureuse à un bon objet, nous fait affirmer que la Musique ne représente pas seulement un moyen de défense face à des objets mauvais et un moyen de récupérer les bons objets, mais de plus elle représente au bon objet lui-même" (26).

*5 Cité par Rowell (20)  *6 Idem (20)

Fin du chapitre 3.